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Ivory Coast Referendum © Elections officials prepare, prior to the start of the Ivory Cost referendum in Abidjan, Ivory Coast, Sunday, Oct. 30, 2016. Voters in Ivory Coast are weighing in on the country’s new constitution, which is expected to be approved despite several violent demonstrations by the opposition. The new constitution being considered in Sunday’s referendum makes several key changes to the requirements for presidential candidates including the issue of nationality. (AP Photo/Diomande Bleblonde)/AIVO103/16304410236594/1610301337

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Côte d’Ivoire : effervescence générale à l’approche de la présidentielle de 2020

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Côte d’Ivoire : Ouattara, Bédié et Gbagbo, incontournables acteurs de la présidentielle 2020

De prime abord, les trois grands blocs qui devraient s’affronter à la présidentielle d’octobre 2020 en Côte d’Ivoire ressemblent fort à ceux qui avaient concouru en 2010. Pourtant, les dynamiques politiques ne sont plus du tout les mêmes. Décryptage.

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Par - à Abidjan
Mis à jour le 12 novembre 2019 à 16:06

Henri Konan Bédié (à g.), Alassane Dramane Ouattara, Laurent Gbagbo. © Montage JA/REUTERS/AP SIPA/ Sylvain Cherkaoui pour JA

Alassane Dramane Ouattara (ADO), Henri Konan Bédié (HKB), Laurent Gbagbo. Le premier a été le seul chef de gouvernement de Félix Houphouët-Boigny, le deuxième lui a succédé à la présidence après son décès, en 1993, le troisième fut son principal opposant. Tous trois animent la vie politique ivoirienne depuis trente ans.

Après avoir assuré l’intérim d’Houphouët pendant deux ans, Bédié, élu en 1995, est chassé du pouvoir par un coup d’État militaire en décembre 1999. Dix mois plus tard, Gbagbo est élu à la tête du pays. Dix ans plus tard, il chute à son tour : il est arrêté le 11 avril 2011, après quatre mois d’une grave crise électorale, à l’issue de laquelle Alassane Ouattara, reconnu vainqueur par la communauté internationale, est investi. Il sera réélu en 2015.

Un remake de 2010 ?

Pendant longtemps, il fut acquis que le scrutin d’octobre 2020 serait l’occasion d’un passage de témoin apaisé d’une génération à une autre. Ce n’est hélas plus du tout une certitude. Et on évoque même l’hypothèse de voir les trois leaders s’affronter de nouveau, dans un remake de 2010…

Après avoir assuré dans un premier temps qu’il ne serait pas candidat à un troisième mandat, ADO (77 ans) maintient le suspense et a annoncé qu’il prendrait sa décision au premier trimestre de 2020. En attendant, il semble souffler le chaud et le froid ; ses proches assurent qu’il ne veut pas se représenter… mais qu’il n’hésitera pas si HKB (85 ans) décide de se lancer dans la course. Or, en janvier, le président du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) a déclaré qu’il n’excluait pas cette possibilité.

Alassane Ouattara (1er g.), Laurent Gbagbo (au centre) et Henri Konan Bédié (2e d.), le 28 février 2006 à Yamoussoukro. © KAMBOU SIA/AP/SIPA

Alassane Ouattara (1er g.), Laurent Gbagbo (au centre) et Henri Konan Bédié (2e d.), le 28 février 2006 à Yamoussoukro. © KAMBOU SIA/AP/SIPA

Au-delà de la question de leurs candidatures, ADO, HKB et Gbagbo demeurent les maîtres du jeu dans leurs camps respectifs

Il reste le cas Gbagbo (74 ans), dont l’avenir est suspendu à la procédure judiciaire devant la Cour pénale internationale (CPI). Libéré sous conditions en janvier, il ne s’est toujours pas exprimé sur ses intentions, même s’il a donné le sentiment à certains de ses interlocuteurs de ne pas vouloir être candidat.


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Au-delà de la question de leurs candidatures, ADO, HKB et Gbagbo demeurent les maîtres du jeu dans leurs camps respectifs. Alassane Ouattara est le président du Rassemblement des houphouétistes pour la démocratie et la paix (RHDP), désormais parti unifié, et, en refusant que le PDCI intègre ce dernier, le Sphinx de Daoukro a indirectement renforcé l’emprise du chef de l’État – lequel n’a plus à partager la gestion du RHDP avec son ancien allié. Contesté en interne à plusieurs reprises, Bédié possède de son côté tous les instruments pour régner sur sa formation ; depuis le congrès ordinaire du PDCI de 2013, il est à lui seul un organe du parti, dont il peut directement modeler les structures dirigeantes.

On pourrait se retrouver en 2020 avec trois blocs similaires à ceux de 2010

Enfin, Gbagbo a été renforcé au sein de son parti. L’ex-chef de l’État, qui depuis son accession au pouvoir avait toujours délégué la gestion du Front populaire ivoirien (FPI), en a été élu président le 4 août 2018. C’est donc lui qui dirige le FPI et transmet ses directives à Assoa Adou, son secrétaire général. Ce qui a affaibli Pascal Affi N’Guessan, bien qu’il demeure le seul dépositaire légal du logo et du nom du parti.

« Tous trois donnent l’impression qu’ils seront candidats. Ils ne font rien pour préparer une nouvelle génération. Et on pourrait se retrouver en 2020 avec trois blocs similaires à ceux de 2010 », estime le politologue Sylvain N’Guessan, directeur de l’Institut de stratégies d’Abidjan.

Alassane Ouattara, lors de son allocution télévisée du 7 mars 2018. © DR / Présidence Côte d’Ivoire.

Alassane Ouattara, lors de son allocution télévisée du 7 mars 2018. © DR / Présidence Côte d’Ivoire.


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Evolution des attelages

Sans doute aussi les trois leaders estiment-ils leur présence indispensable pour permettre à leurs partis de tirer profit de la recomposition politique en cours. Car derrière eux les attelages évoluent.

Le RHDP est principalement composé du Rassemblement des républicains (RDR), de l’Union pour la démocratie et la paix en Côte d’Ivoire (UDPCI, d’Albert Toikeusse Mabri) et d’une grosse dizaine de cadres du PDCI (dont le président du Sénat, Jeannot Ahoussou-Kouadio, qui a annoncé le 22 mai qu’il rejoignait le RHDP, auxquels il faut ajouter des personnalités venues d’horizons politiques divers (comme Alcide Djédjé, ex-proche de Gbagbo), dont le poids électoral est relativement modeste.

En revanche, le parti unifié a enregistré quelques départs, en particulier celui de Guillaume Soro, l’ex-président de l’Assemblée nationale, qui fait désormais cavalier seul. De son côté, en refusant d’intégrer le RHDP, le PDCI a perdu des plumes, mais il a réussi à « faire bloc ». On peut en effet estimer que, bien que divisé, le parti de Bédié a limité la casse. Toutefois, pour le moment, la plateforme de l’opposition qu’il souhaitait mettre en place pour compenser son nouveau positionnement reste limitée à un organe de discussion, et aucune alliance n’a encore été entérinée.

La question est de savoir si le poids du RHDP sera suffisant pour réunir au moins 40 % des suffrages au premier tour en 2020

Une comparaison du nombre de voix récoltées aux élections municipales de 2013 et de 2018 permet de visualiser cette évolution. En 2013, PDCI et RDR avaient déjà présenté des candidats séparément dans la plupart des circonscriptions. Toutefois, ils s’étaient réparti les zones, et leurs chefs étaient alors alliés. En octobre 2018, le divorce était entériné.

« Lors du scrutin de 2013, le RDR avait recueilli 38,70 %, contre 30,16 % pour le PDCI. Cinq ans plus tard, le RHDP a conforté son avance, avec 39,87 % des voix, contre 21,85 % pour le PDCI », explique le Français Christian Bouquet, professeur de géographie politique à l’université de Bordeaux, qui compile les résultats des scrutins ivoiriens depuis 2000.

« À l’heure actuelle, le RHDP représente la première force politique du pays. La question est de savoir si son poids sera suffisant pour réunir au moins 40 % des suffrages au premier tour en 2020, car, au second tour, il aura une réserve de voix faible », souligne Arthur Banga, enseignant-chercheur à l’université Félix-Houphouët-Boigny d’Abidjan.

Possible rapprochement Ouattara-Bédié ?

Tout comme les rééquilibrages qui s’opèrent au sein du Parlement, les résultats des scrutins municipaux donnent une indication des évolutions géopolitiques, mais il convient de les relativiser. D’abord parce qu’il s’agit d’élections locales, ensuite parce qu’ils ne prennent pas en compte une grande majorité de l’électorat de Gbagbo, qui a boycotté les scrutins. Personne ne semble aujourd’hui capable d’évaluer avec précision le poids de l’ancien président et du FPI, un parti divisé et en pleine reconstruction.

Henri Konan Bédié et Alassane Ouattara, le mercredi 8 août 2018. © DR / Présidence ivoirienne

Henri Konan Bédié et Alassane Ouattara, le mercredi 8 août 2018. © DR / Présidence ivoirienne


>>> À LIRE – Côte d’Ivoire : quelle forme prendra l’alliance entre le FPI et le PDCI ?


Enfin, les blocs actuellement formés sont amenés à évoluer jusqu’à octobre 2020. Les discussions entre le PDCI et le FPI-PDCI, qui se sont intensifiées ces dernières semaines, déboucheront-elles sur une alliance électorale ? Sylvain N’Guessan n’y croit pas. « Un rapprochement entre Alassane Ouattara, Henri Konan Bédié et Guillaume Soro est toujours possible. Chaque camp fait ses calculs, pèse les autres, essaie de mieux se positionner, estime-t-il. Le FPI n’a pas besoin d’une alliance avec le PDCI. Il fait les yeux doux au pouvoir afin de voir Gbagbo revenir à Abidjan. À partir de ce moment, on verra son vrai agenda. »

Les défections ou les volte-face devraient se multiplier dans les mois précédant la présidentielle, en fonction du rapport des forces mais aussi de l’identité des candidats et, donc, du choix que feront Ouattara, Bédié et Gbagbo. Nul ne sait à quoi ressemblera alors l’échiquier politique ivoirien, mais une chose est certaine : ils en seront, encore, les principaux acteurs.


Un ou deux… ou trois FPI

Le Front populaire ivoirien (FPI) présentera-t-il une, deux ou même trois têtes à la présidentielle de 2020 ? Les militants ont cru un temps à une réconciliation entre l’ancien chef de l’État Laurent Gbagbo, son fondateur, élu président de la faction dissidente du FPI le 4 août 2018, et l’ex-Premier ministre Pascal Affi N’Guessan, son président « légal ».

Pascal Affi N'Guessan et Laurent Gbagbo. © Photomontage / photos : JA et SIPA / AP

Pascal Affi N'Guessan et Laurent Gbagbo. © Photomontage / photos : JA et SIPA / AP

Mais la rencontre prévue en février à Bruxelles, où Gbagbo, libéré en janvier, attend la fin de sa procédure judiciaire devant la Cour pénale internationale (CPI), a capoté. Et Affi N’Guessan, qui ne souhaite plus s’effacer, a réaffirmé à la fin d’avril qu’il sera candidat en 2020. Les chances sont désormais infimes de voir se réunir les deux tendances du parti : celle d’Affi, reconnue par la justice ivoirienne, et celle de Gbagbo, considérée comme dissidente, mais soutenue par une grande majorité de la base.

Un autre risque de division menace le FPI. Graciée par Alassane Ouattara le 6 août 2018, Simone Gbagbo a repris sa place au sein de la direction du parti et ne fait pas mystère de ses ambitions. Son époux ne semble cependant pas disposé à lui faire de la place. L’ex-première dame se montre pour le moment disciplinée, tout en laissant paraître quelques signes d’autonomisation. Ira-t-elle jusqu’à défier mari et parti pour se présenter en indépendante ?