Le Moyen-Orient. Le général de Gaulle en a dit jadis qu’il était « compliqué » et qu’il convenait de l’aborder « avec des idées simples ». Il y a un siècle, alors au faîte de leur puissance, le Royaume-Uni et la France en remodelèrent les contours, défaisant des régimes et redessinant des frontières. Après leur échec de Suez en 1956, ce fut au tour des États-Unis et de l’URSS d’étendre leur influence sur cette malheureuse région. Les pays du Moyen-Orient devinrent alors les clients-jouets des « deux grands ».
Mais l’URSS disparut en 1991, et, pendant un quart de siècle, restés seuls dans l’arène, les États-Unis de Reagan, de Clinton, des deux Bush (père et fils) et d’Obama jouèrent le rôle du suzerain de la région. Ils en arbitrèrent les nombreuses querelles et y entreprirent des guerres. Dont deux en Irak : la première, déclenchée en 1991 par Bush père à la tête d’une coalition, se conclut par une victoire, la seconde, ordonnée par son fils en 2003, fut un désastre pour l’Amérique et pour la région. Ces vingt-cinq années de mainmise américaine sur le Moyen-Orient furent une période d’incohérence et de changements de pied.
25 ans de vicissitudes américaines
Les États-Unis soutinrent l’Irak de Saddam Hussein dans sa guerre contre l’Iran (1980-1988) puis, en 1991, l’attaquèrent militairement. Ils prirent alors soin de maintenir le dictateur au pouvoir, se contentant de l’affaiblir et de l’humilier. Douze ans plus tard, en 2003, prenant le contre-pied de son père, George W. Bush envahit l’Irak, occupa sa capitale, Bagdad, et chassa Saddam Hussein du pouvoir. L’ayant arrêté, il le livra à ses ennemis, qui le firent pendre.
Obama fit l’effort de réconcilier son pays avec l’Iran et prit ses distances avec l’Arabie saoudite. Son successeur, Donald Trump, fait exactement l’inverse
Les mêmes Américains, pendant cette période de vingt-cinq ans, tentèrent en vain de favoriser un accord entre Israéliens et Palestiniens, puis entre Israéliens et Syriens. Ils soutinrent ensuite, sans états d’âme, les politiques d’Ariel Sharon et de Benyamin Netanyahou, qui ne voulaient s’entendre ni avec les Palestiniens ni avec les Syriens.
En 2011, Barack Obama poussa son homologue égyptien de l’époque, Hosni Moubarak, à la démission. Mais deux ans plus tard, il s’accommoda du général président Abdel Fattah al-Sissi, dont la politique était encore plus répressive. Le même Obama fit l’effort de réconcilier son pays avec l’Iran et prit ses distances avec l’Arabie saoudite. Son successeur, Donald Trump, fait exactement l’inverse.
Plus de raisons d’être aussi présent
Pendant toute la période 1991-2016, où l’Amérique a fait la pluie et le beau temps au Moyen-Orient, elle n’a eu que deux constantes : ses visées sur le pétrole – dont elle avait besoin et qu’elle voulait obtenir à un prix acceptable pour elle et ses alliés – et un soutien permanent à Israël.
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Ces deux constantes sont de moins en moins contraignantes car l’Amérique n’importe plus d’hydrocarbures depuis qu’elle s’est mise à extraire en grande quantité son pétrole et son gaz de schiste. Quant à Israël, il est devenu si puissant et ses voisins arabes sont si faibles et divisés qu’il n’a plus besoin d’être militairement soutenu. Il suffit de l’aider de loin et de l’armer. L’Amérique n’a donc plus de raisons d’être aussi présente au Moyen-Orient. Elle se contente désormais d’entretenir des relations étroites avec ses trois principaux alliés : Israël, l’Arabie saoudite et l’Égypte.
Le retour spectaculaire de la puissance russe
Qui s’avance pour prendre sa place ? La Russie de Vladimir Poutine. Ayant modernisé ses armées, et comme pour prouver au reste du monde qu’elle n’est plus cette « puissance régionale » dont parlait Obama, la Russie a fait, depuis 2015, un retour spectaculaire au Moyen-Orient. Sur cette lancée, elle débarque en Afrique.
La Russie s’est alliée à l’Iran pour sauver le régime syrien, n’hésitant pas à lui fournir armes, munitions et appui diplomatique, utilisant son aviation et ses forces spéciales, tandis que l’Iran s’appuyait sur ses troupes terrestres et celles du Hezbollah libanais.
Le roi Salman a été le premier monarque d’Arabie à se rendre en visite officielle à Moscou
La Russie estime avoir obtenu la victoire en Syrie à un coût raisonnable : son armée y a fait une démonstration de puissance, évitant que ce pays ne devienne une base jihadiste qui aurait menacé le territoire russe. Elle a en outre effacé l’humiliation qu’avait constituée pour elle son équipée de 1979 en Afghanistan. Elle s’est entendue avec l’Arabie saoudite pour réduire la quantité de pétrole disponible sur le marché ; le roi Salman a été le premier monarque d’Arabie à se rendre en visite officielle à Moscou. Le Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou lui-même, prend l’avion pour Moscou plusieurs fois par an.
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Les diplomates russes, Sergueï Lavrov en tête, ne sont plus les spectateurs passifs des voyages de leurs collègues américains au Moyen-Orient et des conférences que ces derniers y organisent. Ce sont eux qui reçoivent les Turcs, les Iraniens, les Qataris, les Israéliens, les Palestiniens, les Kurdes, et s’efforcent de les amener à nouer des accords entre les uns et les autres. Les négociations entre dirigeants de la région, ce sont désormais les Russes qui les organisent. N’ont-ils pas programmé pour le mois d’octobre prochain un sommet avec les chefs d’État africains, qu’ils recevront à Sotchi, au bord de la mer Noire ?
Non-ingérence et fidélité
La Russie a acquis auprès des dirigeants des pays du Moyen-Orient la réputation de ne pas intervenir dans les affaires intérieures des pays qu’elle aide et, surtout, de tenir ses promesses. Sa politique syrienne et les succès qu’elle a obtenus sont approuvés par la majorité des Russes et font même leur fierté ! L’armée russe s’est montrée à son avantage, et ses armes se vendent plus facilement, au Moyen-Orient et ailleurs.
La Russie sait qu’elle doit regagner la place occupée naguère par l’URSS et que la Russie du XXe siècle n’a pas su garder
La Russie s’intéresse à nouveau à la Libye, où, soutenant Khalifa Haftar, elle a damé le pion aux Américains. Elle se trouve dans le même camp que l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et l’Égypte. Elle sait qu’elle doit regagner la place occupée naguère par l’URSS et que la Russie du XXe siècle n’a pas su garder.
Même si son économie la situe au niveau de l’Espagne ou de la Corée du Sud, beaucoup moins peuplées, la Russie se veut désormais une puissance mondiale. N’ayant ni la force militaire des États-Unis ni la force économique de la Chine, elle ambitionne d’être le troisième grand. « Une idée est bonne, dit Vladimir Poutine, quand elle vient au bon moment. »