Société

[Tribune] Réduire la démographie africaine : il faut y penser

Nous devons nous poser la question, et trouver la réponse, de la prise en charge du surplus démographique en Afrique. Avec 2,1 enfants par femme, comme en 1960, le PIB par habitant serait par exemple multiplié par cinq.

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Mis à jour le 23 octobre 2019 à 20:54
Hervé Mahicka

Par Hervé Mahicka

Essayiste, consultant spécialisé dans l'économie du développement et la gouvernance

Une femme et ses enfants à Louri, au Tchad, le 1er novembre 2012. © Rebecca Blackwell/AP/SIPA

Lors d’un débat télévisé organisé en France dans le cadre des élections européennes, Nicolas Dupont-Aignan, président de Debout la France, a estimé que, pour stopper l’immigration à la racine, « il [fallait] limiter la population africaine, qui est appelée à doubler dans les trente prochaines années, soit 1 milliard d’individus en plus ».

Ces propos rappellent ceux d’Emmanuel Macron, lors d’un sommet du G20 à Hambourg, en 2017. Interrogé sur un éventuel plan Marshall pour l’Afrique, le président français avait déclaré : « Quand des pays ont encore aujourd’hui 7 à 8 enfants par femme, vous pouvez décider d’y dépenser des milliards d’euros, vous ne stabiliserez rien. »

Face à de telles déclarations, on peut légitimement prendre la mouche, estimant que pas plus Dupont-Aignan que Macron ne sont fondés à discourir sur la fécondité des femmes africaines : le premier propose une équation fort simpliste (moins d’Africains au monde égal moins de problèmes d’immigration à gérer en France), tandis que le second considère que baisser ce seuil de 7-8 enfants par femme est un « défi civilisationnel ».

On doit aussi se poser honnêtement la question de la prise en charge de ce surplus démographique

Néanmoins, une fois apaisée l’émotion, on doit aussi se poser honnêtement la question – et trouver la réponse – de la prise en charge de ce surplus démographique que les structures nationales n’arrivent pas à absorber depuis les indépendances et qui va crescendo. En 1995, le Centrafricain Jean Paul Ngoupandé se demandait déjà si « nous [pouvions] indéfiniment considérer comme un non-problème le fait que notre croissance économique n’arrive plus du tout à rattraper la croissance démographique, signifiant par là que le progrès est renvoyé aux calendes grecques ? »

Il poursuivait : « Que faut-il choisir : une croissance démographique maîtrisée permettant d’améliorer la qualité de la vie pour le plus grand nombre, ou, au contraire, une population de plus en plus nombreuse mais majoritairement analphabète, faute de moyens pour l’éducation, et de plus, misérable, composée à 75 % de jeunes condamnés au chômage et à la révolte ? »


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Suspicion complotiste

Face à cette réalité est bien souvent opposé l’argument culturel africain. Il faut rappeler ici que cette propension à former des familles nombreuses n’est liée à aucune tradition africaine. Elle tient d’un effet collatéral de la colonisation. Avant, la taille des familles était bien plus modeste à cause d’une mortalité maternelle et infantile élevée. C’est entre les années 1920 et 1950, par l’apport d’une meilleure alimentation, grâce à l’accouchement assisté, la vaccination et la médication tout au long de la vie que la structure familiale autant que la durée de vie se sont étendues.

Entre les XVIIIe et XIXe siècles, les mêmes causes ont produit les mêmes effets en Occident, où le contrôle des naissances a commencé seulement dans les années 1960. La Chine a choisi la méthode radicale pour rompre ce cycle en décrétant la politique de l’enfant unique en 1978 pour permettre à la croissance économique de dépasser la croissance démographique et ainsi de capitaliser les efforts d’une génération sur l’autre. Ce phénomène, connu sous le nom de « transition démographique », n’appartient donc qu’à la rationalité socio-économique.

L’autre thèse répandue argue de la nécessité d’une population nombreuse pour soutenir l’industrialisation. Pour cela, l’Afrique a largement dépassé les minima requis. Quant à la suspicion complotiste qui consiste à s’inquiéter de la promotion des politiques natalistes dans le Nord alors qu’ils nous invitent à la dénatalité, la question ne porte pas sur le nombre dans l’absolu, mais sur la capacité à soutenir la croissance de ce nombre.

Nous pouvons raisonnablement remettre en question ce modèle qui est plus subi que voulu

Selon le modèle de l’accumulation intergénérationnelle de Ramsey (1928), pour arriver au développement chacun doit travailler à produire suffisamment, faisant comme si ses enfants n’auront plus rien à faire. Ils auront ainsi un héritage (une maison, une rente, un travail dont il a financé la formation, etc.). Par la suite, ces enfants avantagés vont gagner en niveau de vie, et leur propre travail ne sera qu’une accumulation de plus pour la génération suivante, qui, elle-même, gagnera encore plus en confort.


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Mais lorsque la ­deuxième génération est trop nombreuse, on lui laisse une valeur insignifiante, ou on ne lui laisse rien parce qu’on a consommé tout ce qu’on a produit, sans épargne, ou pis, on devient dépendant de ses enfants au soir de sa vie, condamnant ainsi les générations futures à partir de zéro avec la charge supplémentaire des anciens qui vivent de plus en plus longtemps. En outre, cette génération fera encore plus d’enfants que la précédente, aggravant ainsi le cycle de la pauvreté. C’est la situation de l’Afrique.

Si la population africaine de 1960 s’était maintenue avec un taux moyen de renouvellement de la population – estimé à 2,1 enfants par femme –, le PIB par habitant y serait cinq fois supérieur à celui d’aujourd’hui, soit l’équivalent du niveau de vie du Portugal.

Modèle plus subi que voulu

Il est identifié que c’est dans les zones du monde où les femmes sont le moins émancipées et le moins éduquées que cette situation perdure. Or c’est sur le continent africain que la durée de scolarité des femmes est le moins longue, où la proportion des femmes au foyer avant l’âge de 20 ans est dans certains pays supérieure à 80 % (ceux qui font mieux sont à 45 %), où l’on utilise le moins de méthodes contraceptives modernes et où près de une grossesse sur deux n’est pas désirée. Selon les chiffres communiqués à la Conférence internationale sur le contrôle des naissances à Londres, 770 000 filles de 10 ans à 14 ans sont devenues mères dans le monde en 2016, et 60 % d’entre elles sont en Afrique subsaharienne.

En déconsidérant parfaitement les ingérences politiciennes étrangères, nous pouvons raisonnablement remettre en question ce modèle qui est plus subi que voulu, malgré l’orgueil dont nous nous parons pour cacher notre impuissance.