Politique

Présidentielle en Côte d’Ivoire : Henri Konan Bédié face à ses prétendants au sein du PDCI

Qui portera les couleurs du PDCI au scrutin de 2020 ? L’inamovible Henri Konan Bédié ou un challenger moins âgé mais d’un poids politique plus incertain ? Les atouts des uns et des autres.

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Mis à jour le 12 novembre 2019 à 16:09

Henri Konan Bédié, le président du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI). © Vincent Fournier/JA

C’était un après-midi ensoleillé de juin 2017. Confortablement installé entre deux défenses d’éléphant dans le salon du bel appartement parisien où il nous recevait, Henri Konan Bédié prononçait cette phrase en apparence anodine mais dont, à l’époque déjà, il savait parfaitement la portée : « Oui, le Parti démocratique de Côte d’Ivoire [PDCI] aura un candidat en 2020. » Un peu plus tard, lorsque nous l’avions interrogé sur sa possible candidature, sa réponse avait été sans équivoque : « Non. J’ai 83 ans et je n’ai plus la force du jeune homme que je fus. »

Depuis, la donne a changé. Bédié s’est brouillé avec son allié, le président Alassane Ouattara. Le PDCI a refusé d’intégrer le parti unifié RHDP, mais cela n’a pas empêché plusieurs dizaines de ses cadres de braver la consigne, forçant l’ancien parti unique à renouveler ses instances en profondeur. « La rupture entre Bédié et Ouattara a complètement rebattu les cartes, résume l’analyste politique Sylvain N’Guessan. La plupart des candidats potentiels évoqués avant le clash ont rejoint le RHDP. Cela a affaibli le PDCI tout en permettant à une nouvelle génération d’émerger. »

Un candidat avant la fin de l’année

Nul ne sait aujourd’hui qui sera l’élu. C’est au dernier trimestre de cette année que doit se tenir la convention censée le désigner, mais la date exacte n’a pas encore été fixée. Bédié souhaite qu’elle soit organisée en octobre, comme de tradition au PDCI, mais il n’est pas exclu qu’elle soit décalée d’un ou deux mois au besoin. Les modalités de la désignation dépendront quant à elles de l’identité des prétendants : si Bédié décide de se lancer, la plupart renonceront. Dans le cas contraire, un vote devrait être organisé, et les jeux seront particulièrement ouverts.

Maurice Kakou Guikahué, Henri Konan Bédié et Daniel Kablan Duncan lors du bureau politique du PDCI-RDA, le 16 juin 2018. © DR / PDCI-RDA

Maurice Kakou Guikahué, Henri Konan Bédié et Daniel Kablan Duncan lors du bureau politique du PDCI-RDA, le 16 juin 2018. © DR / PDCI-RDA

Nous nous sommes mis dans une impasse et nous allons devoir accepter que sa candidature soit notre seul recours

Désormais âgé de 85 ans, l’ancien président maintient le suspense. Installé depuis plusieurs mois dans son village natal de Daoukro, où il possède d’importantes plantations, il a posé une chape de plomb sur son parti. Contrairement à Ouattara, qui a positionné son Premier ministre, Amadou Gon Coulibaly, comme un possible dauphin, Bédié n’a permis à aucun cadre de son parti d’émerger suffisamment pour faire l’unanimité. « Nous nous sommes mis dans une impasse et nous allons devoir accepter que sa candidature soit notre seul recours, se désole un homme d’affaires proche du PDCI. Bédié s’est laissé convaincre qu’il pouvait être l’ultime réconciliateur de la Côte d’Ivoire. Le problème, c’est que, depuis la libération de Laurent Gbagbo, tout a changé. »


>>> À LIRE – [Édito] Côte d’Ivoire - Ouattara, Bédié, Gbagbo : la guerre des trois aura-t-elle lieu ?


En conséquence, aucun des potentiels prétendants n’a encore osé sortir du bois. Le simple fait d’évoquer publiquement la question leur donne des sueurs froides, et plusieurs d’entre eux ont décliné nos demandes d’entretien sous des prétextes divers. La culture interne de cette vieille formation accentue encore cette impression d’apathie. « Tant que Bédié ne dit pas le contraire, le parti considère qu’il est candidat. Et s’il ne l’est pas, aucun des prétendants ne pourra être accepté sans son onction », explique Djedri N’Goran, un vieil ami de Bédié, président du mouvement PDCI-Notre héritage.

Les ambitieux ne manquent pourtant pas. Noël Akossi Bendjo (68 ans) et Jean-Louis Billon (54 ans) sont les premiers à avoir laissé transparaître leurs appétits. L’ancien maire de la commune abidjanaise du Plateau, révoqué en août 2018, se prépare depuis longtemps. Il s’est placé au cœur de l’appareil du parti depuis les années 1990. Mais c’est un Ébrié, autrement dit il est issu d’une ethnie minoritaire au sein du PDCI, et son influence est limitée à la région d’Abidjan. Son épouse, toutefois, est membre de la famille royale d’Abengourou, dans l’Est, et c’est une grande amie d’Henriette Konan Bédié, la femme de l’ancien président.

Un temps isolé au sein du parti, Akossi Bendjo a été remis en selle par l’élection de son neveu, Jacques Ehouo, à la mairie du Plateau en octobre 2018. Mais ses ennuis judiciaires sont un frein important à ses ambitions. Accusé de détournement de fonds par les autorités ivoiriennes, il vit à Paris depuis bientôt deux ans et tente de négocier son retour en Côte d’Ivoire. Interrogé sur ses intentions, il répond : « Nous attendons la date de la convention et l’ouverture des candidatures. » Son entourage est plus direct : à l’en croire, l’ancien président du conseil d’administration de la Société ivoirienne de raffinage (SIR) « est plus déterminé que jamais à solliciter l’investiture du PDCI ». Sans doute est-ce pour cela qu’il a apporté un soin particulier à son réseau ces derniers mois, voyageant beaucoup en Europe (il s’est rendu à Bruxelles, Genève ou encore Milan) et multipliant les contacts avec les proches de Gbagbo, désormais installé en Belgique.

Billon se fait discret

Jean-Louis Billon, en 2008. © Camille Millerand pour JA

Jean-Louis Billon, en 2008. © Camille Millerand pour JA

Nous nous battons pour conquérir le pouvoir, et je ferai partie de l’équipe dirigeante

Incarnant la nouvelle génération, Jean-Louis Billon est proche du couple Bédié. Son père, Pierre, fut un ami intime de l’ancien président, ainsi qu’un associé en affaires. Les deux hommes se sont légèrement brouillés à la fin des années 1990 (la famille Billon a d’ailleurs soutenu Gbagbo lors de la présidentielle de 2000), avant de se réconcilier peu de temps avant le décès de Pierre Billon, en décembre 2001.

L’ancien ministre du Commerce d’Alassane Ouattara (de 2012 à 2017) et patron du groupe Sifca fut l’un des premiers à se positionner fermement contre le projet de parti unifié. Mais il a beau avoir longtemps eu le vent en poupe, sa cote n’est plus aussi haute. Il est d’ailleurs beaucoup plus discret et affirme moins ses ambitions. « Nous nous battons pour conquérir le pouvoir, et je ferai partie de l’équipe dirigeante », nous déclare-t-il simplement. « Il a une approche trop urbaine de la politique pour s’imposer dans un parti largement influencé par la ruralité », estime un fin connaisseur du PDCI.

De fait, il n’est pas à proprement parler un pilier du parti. Sa famille demeure influente à Dabakala, dans le nord-est de la Côte d’Ivoire, et lui-même a été porté à la tête du conseil régional du Hambol, en 2013. Mais à l’époque – et ses détracteurs ne manquent pas une occasion de le rappeler –, il a été élu sous les couleurs du Rassemblement des républicains (RDR), sans avoir donc à affronter un adversaire de poids. Secrétaire exécutif du PDCI chargé de la communication et de la presse, il dispose tout de même d’un argument solide : sa fortune. Multimillionnaire, il est peut-être le seul à pouvoir financer une campagne présidentielle. Est-ce pour tester ses chances ? Il compte effectuer, dans les prochaines semaines, des « tournées de proximité ».

Thierry Tanoh, la nouvelle garde

Thierry Tanoh, directeur général d'Ecobank, chez RFI. Le 6 septembre 2013. © Bruno LEVY pour Jeune Afrique.

Thierry Tanoh, directeur général d'Ecobank, chez RFI. Le 6 septembre 2013. © Bruno LEVY pour Jeune Afrique.

Thierry Tanoh a un profil de brillant technocrate. Il est en revanche novice en politique et connaît peu le terrain

Billon est souvent opposé à Thierry Tanoh (57 ans). Incarnant lui aussi la nouvelle génération du PDCI, l’ancien directeur général d’Ecobank passe pour être le favori de Bédié, qui était un grand ami de son père, Augustin. Enfant, Tanoh passait régulièrement ses vacances chez Bédié, à Daoukro, et celui-ci l’a pris sous son aile à la mort du père quelques années plus tard. Le patron du PDCI l’a par la suite soutenu à chaque étape importante de sa vie. Cette proximité est renforcée par le fait que Sylvie Gomis, son épouse, est la filleule d’Henriette Konan Bédié.

Banquier formé à Harvard, secrétaire général de la présidence, puis ministre du Pétrole, de l’Énergie et du Développement des énergies renouvelables, Thierry Tanoh a un profil de brillant technocrate. Il est en revanche novice en politique et connaît peu le terrain. N’ayant jamais été élu, il ne peut pas non plus se prévaloir d’un quelconque poids électoral et ne doit sa position au PDCI, dont il a intégré les instances dirigeantes tardivement (en 2016), qu’à la volonté de Bédié.

S’il se prépare discrètement (il a renforcé sa présence sur les réseaux sociaux, travaille son ancrage au sein d’un parti et a réactivé l’association des anciens élèves du Lycée scientifique de Yamoussoukro, par lequel sont passés nombre de cadres du PDCI), il donne surtout l’impression d’attendre d’être adoubé par son parrain. Mais Bédié connaît les réalités de son parti ; il est conscient que, s’il tente d’imposer une personnalité non consensuelle, celui-ci pourrait éclater.

Charles Konan Banny, ancien Premier ministre ivoirien. © Sandra Rocha/JA

Charles Konan Banny, ancien Premier ministre ivoirien. © Sandra Rocha/JA

Charles Konan Banny ne fait plus d’une candidature à la présidentielle d’octobre 2020 une priorité, mais il n’exclut pas de s’ériger en recours

En interne, plusieurs autres personnalités de moindre calibre sont évoquées : Paul Koffi Koffi, ancien ministre de la Défense de Ouattara aujourd’hui commissaire à l’Uemoa ; l’ex-ministre de la Santé Rémi Allah Kouadio, ou encore le député de Yamoussoukro, Patrice Kouassi Kouamé, dit KKP. Cet avocat d’affaires très ambitieux est un grand ami du Sénégalais Yérim Sow, le PDG du groupe Teyliom. Amateur de grosses cylindrées, il partage avec Bédié la passion du cigare.

Ces dernières semaines, l’éventualité de voir Maurice Kacou Guikahué (68 ans) se porter candidat a également pris de l’ampleur. Ce cardiologue a profité de la large restructuration du parti, dont il est le secrétaire exécutif, pour se constituer une clientèle de fidèles. Fils d’une famille de planteurs originaires du canton de Guébié, près de Gagnoa, une zone de l’Ouest acquise à Gbagbo, Guikahué passe pour être un fin stratège. Il possède l’avantage de maîtriser parfaitement les structures du PDCI et la psychologie de son chef, dont il est très proche. En 2016, il a été élu député à Gagnoa. « Mais les réalités sociologiques du parti font qu’il lui sera difficile de faire l’unanimité », juge un quadra du PDCI.

Enfin, à bientôt 77 ans, diminué par des problèmes de santé, Charles Konan Banny ne fait plus d’une candidature à la présidentielle d’octobre 2020 une priorité, mais il n’exclut pas de s’ériger en recours si Bédié devait renoncer. Bien qu’il n’ait jamais exercé de mandat local, l’ancien Premier ministre est très influent chez les Baoulés. Il se voit aussi renforcé par le départ annoncé de Jeannot Ahoussou-Kouadio. Néanmoins, personne au sein du PDCI n’a oublié qu’en 2015, passant outre la consigne édictée par le leader de son propre camp, il avait présenté sa candidature à la présidentielle face à Ouattara. Il s’était finalement retiré in extremis, mais l’affront a provoqué une cassure au sein du PDCI qui aura duré de longs mois.


Pour Thiam, c’est non !

Le Franco-Ivoirien Tidjane Thiam. © Ennio Leanza/AP/SIPA

Le Franco-Ivoirien Tidjane Thiam. © Ennio Leanza/AP/SIPA

Tidjane Thiam est réticent. Il faut le rassurer, et Henri Konan Bédié est le seul à en être capable

Courtisé depuis 2012, le patron de Credit Suisse a plusieurs fois affirmé qu’il n’entendait pas se lancer en politique. « Je suis à la fois touché et honoré par toutes les marques d’affection et de soutien exprimées récemment à mon égard par nombre de mes compatriotes ivoiriens, déclarait-il en septembre 2018. Je les en remercie bien sincèrement. J’ai dit à plusieurs reprises et depuis de nombreuses années ma détermination à ne pas avoir d’activités politiques. »

Selon nos sources, sa position n’a pas évolué, même si certains cadres du PDCI ne désespèrent pas d’arriver à le convaincre d’être candidat en 2020. Une personnalité du parti devrait dans les prochaines semaines se rendre à Genève pour le rencontrer. « Tidjane Thiam est réticent, mais il faut réussir à trouver les mots. Il faut le rassurer, et Henri Konan Bédié est le seul à en être capable », affirme un proche de l’ancien président.


Irréconciliables ?

Le 8 août, Henri Konan Bédié a rendu visite à Alassane Ouattara dans sa résidence du quartier de la Riviera (photo d'illustration). © Présidence de Côte d’Ivoire

Le 8 août, Henri Konan Bédié a rendu visite à Alassane Ouattara dans sa résidence du quartier de la Riviera (photo d'illustration). © Présidence de Côte d’Ivoire

Depuis plusieurs semaines, les tentatives se multiplient pour renouer le dialogue entre Henri Konan Bédié et Alassane Ouattara. Le chef de l’État a reçu les chefs traditionnels à Yamoussoukro, le 24 avril. Une semaine plus tard, une délégation de chefs issus des régions des Lagunes, des Grands Ponts et du Sud-Comoé s’est rendue à Daoukro.

Selon nos sources, le Conseil supérieur des imams de Côte d’Ivoire (Cosim) de Cheick Boikary Fofana pourrait également prendre une initiative pour tenter de faire baisser la tension entre les deux anciens alliés. Leurs épouses respectives, Henriette et Dominique, y sont favorables.