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Burkina Faso : dix huit mois pour convaincre
Aristide Tarnagda n’a-t-il été comédien que pour mieux se laisser happer par l’écriture ? Ne s’improvise-t-il metteur en scène que pour mieux propulser ses mots ? L’œuvre littéraire de ce trentenaire burkinabè est un geyser de tirades dont la silhouette a tout d’un corps. Sous la syntaxe la plus feutrée naît la beauté du brut, celle qui fleure le parfum d’un épiderme ou la caresse d’un souffle.
Ses écrits tissent la mort et l’amour (De l’amour au cimetière, 2008), le déracinement et la faim (Il pleut de l’exil, 2007), la rosée violée et l’air facturé (Terre rouge, 2017, et On ne payera pas l’oxygène, 2008). Parfois aérienne, sa poésie reste d’argile palpable, huile de fond de marmite dont on sent l’odeur, cambouis de machines étranges donc on perçoit le cliquetis…
Plongée dans l’écriture
Jusque dans les allitérations, le spectateur entend les syllabes trancher la fibre de la vie, fendre la densité des destins, désarçonner les âmes fragiles. Toujours en mouvement, l’écriture d’Aristide Tarnagda a quelque chose du flow hip-hop avec lequel elle se combine dans Et si je les tuais tous madame ? (2013). Haletant ou nonchalant ? Le temps n’est qu’affaire de compression pour le dramaturge qui souhaite « faire entendre toute une vie le temps d’un feu rouge ».
C’est au sein du Théâtre de la Fraternité, au début des années 2000, que l’écrivain Jean-Pierre Guingané met à l’acteur Tarnagda le pied à l’étrier. Le jeune homme étudie encore la sociologie à l’université de Ouagadougou. Une seconde rencontre l’orientera vers l’écriture : en 2004, à la faveur d’un atelier au festival des Récréâtrales (lire encadré ci-dessous), à Ouagadougou, l’auteur ivoirien Koffi Kwahulé inocule au jeune Burkinabè le virus des sentences théâtrales.
Alors âgé de 21 ans, Aristide écrit Alors, tue-moi et plonge la tête la première dans une littérature tournée vers la scène. Rapidement, ses écrits circulent du festival des Francophonies en Limousin aux rencontres Dramaturgies en dialogue de Montréal, en passant par le Théâtre national de Bretagne, les salles parisiennes du Vieux-Colombier et du Tarmac, ou encore un projet belge de la Commission internationale du théâtre francophone.
Festival d’Avignon
Dès 2007, son texte Les Larmes du ciel d’août effleure du doigt le Graal des dramaturges francophones : le festival d’Avignon. Triple présence, six ans plus tard, dans la même cité des Papes : le monologue Façons d’aimer est lu par Anne-Lise Heimburger, dans le cadre du cycle « Ça va, ça va l’Afrique », la pièce Et si je les tuais tous madame ? est présentée dans le « in » du festival, dans une mise en scène de l’auteur, et le texte Terre rouge est à l’affiche du « off ». En 2016, c’est la pièce Sank ou la patience des morts qui sera mise en lecture à Avignon, évoquant le parcours du Che africain.
Cette évocation de l’ancien président burkinabè Thomas Sankara témoigne de l’attachement de l’auteur à son pays d’origine. Aujourd’hui âgé de 36 ans, ouvert à ces terres étrangères qui savent si bien l’accueillir, Aristide Tarnagda ne cède pas pour autant au cliché du « citoyen du monde ».
Je ne me prétends pas universaliste. Le Burkina occupe une place prépondérante dans mon œuvre. J’écris mon monde, ma rue, mon enfance, mes amis
S’il s’abreuva autant du Nigérian Wole Soyinka que du Voltaïque Nazi Boni, autant de l’Ivoirien Ahmadou Kourouma que du Burkinabè Joseph Ki-Zerbo, il insistait, au Centre d’art rwandais Ishyo, en 2014 : « Je ne me prétends pas universaliste. Le Burkina occupe une place prépondérante dans mon œuvre. J’écris mon monde, ma rue, mon enfance, mes amis. » Ce qui n’empêche pas le dramaturge d’émouvoir tout ressortissant d’une humanité qu’il déclare « n’être qu’une ».
Étienne Minoungou, fondateur du festival burkinabè des Récréâtrales, est catégorique : « Aristide Tarnagada est la tête de proue d’une nouvelle génération de créateurs dont l’espace de déploiement de la pensée est déjà dans le monde. »
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Tout en s’enracinant dans son Faso natal, « il prend part à la fabrication d’une poétique contemporaine du “Tout-monde” ». C’est d’ailleurs pour cette résonance naturelle et une « poétique empreinte d’une spiritualité animiste » que Tarnagda s’est vu bombardé, en 2016, directeur général des Récréâtrales. Pour Minoungou, ce « puissant et intuitif metteur en scène connaît très bien les problématiques à la fois artistiques et de production, les enjeux politiques de la présence d’un art qui veut pénétrer dans le réel d’un territoire social ».
Précoce, Aristide Tarnagda ne saurait se reposer sur des lauriers tels que le Grand prix littéraire d’Afrique noire qui lui a été décerné en mai 2018 par l’Association des écrivains de langue française pour Terre rouge. Il considère moins son œuvre comme un catalogue de messages définitifs que comme un vecteur de questionnements. « Mon écriture est une invite à la réflexion et à la communion, confie-t-il. Le public assiste à la prestation scénique, chacun ramène une part de la pièce chez lui et continue à réfléchir et discuter. » Passeur, Aristide Tarnagda ?
Les Récréâtrales, labo créatif
Créé en 2002, le festival des Récréâtrales est d’abord un processus panafricain d’écriture, de création et de diffusion théâtrales qui s’articule en plusieurs rendez-vous ouagalais annuels. En février, « la quarantaine » est une étape de recherche et de formation pour des artistes stagiaires. En juin, « le côté cour » est une rencontre focalisée sur la scénographie. En septembre et octobre, « les résidences » accouchent de créations originales.
Puis vient « la plateforme festival », pendant une dizaine de jours (du 26 octobre au 3 novembre, en 2018). En dix éditions, les Récréâtrales ont enfanté une soixantaine de spectacles conçus par 1 000 artistes africains, européens et caribéens. Plus de 500 comédiens et 180 scénographes y ont suivi des ateliers de formation. L’originalité de l’événement réside également dans son implantation au cœur de cours familiales du quartier populaire de Bougsemtenga, à Ouagadougou où, pour l’occasion, la rue 9.32 accueille une scénographie urbaine longue de 610 mètres.