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Roch Marc Christian Kaboré. © Vincent Fournier pour JA

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Burkina Faso : Velegda, un champion contrarié

Face à une concurrence asiatique qu’elle juge « déloyale », la charismatique fondatrice du leader de l’export burkinabè, Velegda, ne décolère pas. Et contre-attaque.

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Par - à Ouagadougou
Mis à jour le 10 mai 2019 à 07:31

Mamounata Velegda, le 9 avril, dans l’un de ses entrepôts de la zone industrielle de Kossodo. © Olympia de Maismont pour JA

Lorsque Mamounata Velegda, PDG du groupe Velegda, accueille Jeune Afrique dans les entrepôts de son groupe, dans la zone industrielle de Kossodo (banlieue nord-est de Ouagadougou), elle semble d’humeur morose. « Je ne suis pas contente ! confirme-t-elle. Voyez, nos employés sont assis, faute de travail notre activité tourne au ralenti. Nous avons ici plus de 10000 tonnes de stock de céréales [sur les 25000 t que le groupe estime avoir dans ses magasins]. Depuis novembre 2018, nous attendons l’autorisation pour exporter nos produits, mais l’État ne répond pas », lance- t-elle, visiblement en colère.

Concurrence étrangère

Le groupe est en effet confronté à la concurrence, qu’elle estime déloyale, d’exportateurs étrangers qui spéculent sur le marché et qui lui auraient fait perdre entre 7 et 10 milliards de FCFA (entre 10,67 et 15,25 millions d’euros) l’an dernier.

« Effectivement, des sociétés asiatiques, notamment indiennes, viennent, sans agrément, acheter des céréales. Leurs méthodes consistent d’abord à importer des produits – riz, sucre, etc. – destinés au marché local, puis, pour contourner la réglementation financière, elles utilisent les fonds de la vente pour aller acheter des céréales “bord champ”. Le ministère du Commerce s’est engagé à réguler ce secteur. On en est là », résume Idrissa Nassa, fondateur de Coris Bank, qui finance les opérations du groupe.


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« Je pense que certains aspects de la filière échappent aux autorités », avance un expert des marchés agricoles. Contacté, le ministère du Commerce explique que la délivrance des autorisations est soumise à l’évaluation des stocks céréaliers nationaux.

Carnet de commandes bien rempli

Leader burkinabè de l’agroalimentaire, le groupe, fondé en 1980 par Mamounata Velegda, a pour première activité la production, la collecte et la commercialisation de produits locaux (amandes de karité, sésame, arachide, mil, sorgho, maïs…). Il peut se targuer d’avoir exporté plus de 40 000 t de céréales en 2018 (en baisse, puisqu’en 2015 il en avait exporté 75 000 t), mais est aussi l’un des plus gros importateurs de produits de grande consommation (huiles, pâtes, farine, sucre…). Ce qui lui vaut un net recul de son chiffre d’affaires, qui s’établit à 17 milliards de F CFA en 2018, contre plus de 27 milliards en 2017.

Également actif dans la transformation du beurre de karité, le groupe avait échoué, il y a quelques années, à obtenir un accès préférentiel au marché américain dans le cadre de l’African Growth and Opportunity Act (Agoa). Il n’avait pu exporter aux États-Unis que 18 000 t de beurre de karité, pour environ 16 500 euros de recettes. « Le prix proposé était trop bas, et nous avons eu des difficultés pour nous faire payer. Nous avons donc décidé d’arrêter », explique Mamounata Velegda.

L’industrialisation est salutaire, je l’encourage fortement à y aller au plus vite, indique Idrissa Nassa

Depuis, la self-made-woman s’est tournée vers les pays de la sous-région, en particulier le Mali et le Sénégal, vers certains marchés asiatiques, comme ceux de la Chine et de Taïwan, ainsi que vers l’Europe. Comptant de prestigieux clients, comme Maviga, implanté à Londres, et Wilmar, à Singapour, le carnet de commandes du groupe est bien rempli, avec notamment quelque 22 000 t de sésame. De quoi se consoler un peu des déconvenues auxquelles il est confronté sur le marché burkinabè.

Malgré la morosité de ce dernier, Mamounata Velegda n’a pas renoncé à son intention d’y investir dans une unité industrielle, même si elle préfère ne pas communiquer au sujet du projet pour le moment. « L’industrialisation est salutaire, je l’encourage fortement à y aller au plus vite, indique Idrissa Nassa. Nous sommes en négociation avec les banques, dont Afrixembank et la Banque africaine de développement, afin de mobiliser le financement. »

Pour donner un ordre d’idée de son montant, la construction d’une unité de transformation du beurre de karité et de fabrication de dérivés cosmétiques représente un investissement pouvant aller de 3 à 6 milliards de F CFA.