Présidentielle en Mauritanie : une campagne à couteaux tirés

À deux mois du premier tour du scrutin présidentiel, la guerre des mots et des images fait déjà rage.

Lors d’un meeting de l’Union pour la République (UPR), à Chinguetti, en Mauritanie, le 11 avril. © Carmen Abd Ali/AFP

Lors d’un meeting de l’Union pour la République (UPR), à Chinguetti, en Mauritanie, le 11 avril. © Carmen Abd Ali/AFP

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Publié le 25 avril 2019 Lecture : 7 minutes.

Dans un bureau de vote de Nouakchott, en Mauritanie, en 2014 (photo d’illustration). © Ahmed Mohamed/AP/SIPA
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Présidentielle en Mauritanie : Ghazouani proclamé vainqueur, l’opposition conteste

Mohamed Ould Ghazouani, dauphin désigné du président sortant, Mohamed Ould Abdelaziz, a été donné vainqueur du scrutin présidentiel du 22 juin par la commission électorale. Un résultat contesté par plusieurs candidats de l’opposition. Retrouvez tous nos articles sur la campagne électorale et les enjeux de cette présidentielle.

Sommaire

La campagne officielle pour la présidentielle s’ouvre le 7 juin, au lendemain de l’Aïd-el-Fitr. Le mois sacré aura-t-il d’ici là apaisé les esprits ? Pour l’heure, à Nouakchott, tous les coups sont permis. Comme faire circuler sur les réseaux sociaux un enregistrement audio supposément intime attribué à Mohamed Ould Ghazouani, favori du scrutin.

Le candidat soutenu par l’Union pour la République (UPR, majorité) a bien évidemment démenti être l’une des voix de l’enregistrement. Et n’a pas changé son agenda d’un iota.

Le président mauritanien Mohamed Ould Ghazouani. © AMI

Le président mauritanien Mohamed Ould Ghazouani. © AMI

L’ancien chef d’état-major de l’armée est sur tous les fronts

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Depuis qu’il a annoncé sa candidature, le 1er mars, l’ancien chef d’état-major de l’armée est sur tous les fronts. Il reçoit de jour comme de nuit les personnalités qui souhaitent lui manifester leur soutien. Durant la première quinzaine d’avril, ce fidèle du sortant, Mohamed Ould Abdelaziz, a visité 36 villes et villages dans les treize régions du pays.

Pour ce marathon, un hélicoptère de l’armée a été loué par son équipe de campagne, grâce à l’aide financière de sa tribu – les Ideiboussat –, qui lui aurait promis 7 milliards d’ouguiyas (17 millions d’euros).

À son retour à Nouakchott, le général devait compléter son équipe, en confiant la logistique à Moctar Ould Diay, aujourd’hui ministre de l’Économie et des Finances, et la trésorerie à Mohamed Abdel Vetah, ministre du Pétrole, des Mines et de l’Énergie. Sa cellule de communication, en revanche, est déjà constituée autour de la ministre de la Jeunesse et des Sports, Djindah Mohamed Bal.

Front anti-Ould Ghazouani

Biram Ould Dah Abeid, à Dakar, le 2 juin 2016. © Sylvain Cherkaoui pour ja

Biram Ould Dah Abeid, à Dakar, le 2 juin 2016. © Sylvain Cherkaoui pour ja

Le plus ancien dans la course à la présidence, Biram Dah Abeid, mise sur le vote de la communauté haratine

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Face à Ould Ghazouani, l’opposition aussi fourbit ses armes. En rangs dispersés, faute d’avoir réussi à désigner un candidat commun.

Le plus ancien dans la course à la présidence, Biram Dah Abeid, mise sur le vote de la communauté haratine (anciens esclaves). Il est soutenu par la coalition IRA-Sawab, composée du mouvement « antiesclavagiste » de Biram et du parti baasiste.

Mohamed Ould Boubacar, candidat à la présidentielle. © Carmen Abd Ali/AFP

Mohamed Ould Boubacar, candidat à la présidentielle. © Carmen Abd Ali/AFP

Sidi Mohamed Ould Boubacar a l’aval du puissant parti islamiste Tawassoul

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Sur la ligne de départ aussi, Sidi Mohamed Ould Boubacar, Premier ministre d’avril 1992 à janvier 1996, puis d’août 2005 à avril 2007. Lui a l’aval du puissant parti islamiste Tawassoul. Il peut compter aussi sur le soutien de l’homme d’affaires en exil Mohamed Ould Bouamatou.

Le candidat le plus à gauche, Mohamed Ould Maouloud, président de l’Union des forces progressistes (UFP), a rallié à sa candidature l’opposant historique Ahmed Ould Daddah, patron du Rassemblement des forces démocratiques (RFD), ainsi que l’Union nationale pour l’alternance démocratique (Unad).

Enfin, quinze partis et organisations négro-mauritaniens, dont l’AJD/MR d’Ibrahima Sarr, ont convaincu l’ancien journaliste Kane Hamidou Baba de se présenter en leur nom.

Exigence d’une élection « libre, démocratique et transparente »

Avec un temps de retard par rapport à Ould Ghazouani, les candidats de l’opposition ont commencé à roder discours et promesses. Pour Biram, « voter Ould Ghazouani, c’est voter Aziz et protéger l’affairisme, le clientélisme et le tribalisme ». Ould Boubacar et Ould Maouloud conviennent qu’il faut un « vrai » changement de régime. Quand l’un veut faire cesser « la dilapidation des biens du peuple », l’autre souhaite en finir avec « ce régime autoritaire qui nous a dirigés pendant dix ans ».

Kane plaide pour un traitement plus équitable en faveur de sa communauté. Ould Boubacar promet aussi de régler l’arnaque de la pyramide de Ponzi, qui, en deux ans, a privé de leur domicile plusieurs milliers de victimes. Et tous dénoncent de concert l’arrestation de deux blogueurs ayant prétendu que des proches du palais présidentiel avaient mis à l’abri d’importantes sommes en dollars dans des comptes bancaires à Dubaï.

Le 11 avril, les quatre candidats se sont retrouvés dans les rues de Nouakchott, aux côtés de milliers de personnes, pour exiger une présidentielle « libre, démocratique et transparente ». Dans leur viseur, la Commission électorale nationale indépendante (Ceni), accusée d’être juge et partie.

Dix de ses onze membres appartiennent peu ou prou aux partis qui soutiennent Ould Ghazouani. Kane estime que c’est « une porte ouverte à la fraude » et que l’opposition pourrait décider une « non-reconnaissance des résultats du vote ». Certains d’entre eux redoutent de ne pas parvenir à réunir le nombre de parrainages requis pour que leur candidature soit validée, en raison de la domination écrasante de l’UPR parmi les élus municipaux.

Lame de fond

En dépit de ces coups de menton, l’opposition ne se fait guère d’illusion sur sa capacité à forcer l’alternance. Elle a donc choisi de faire de nécessité vertu et de sa division, une force. En ratissant large grâce à ses quatre candidatures, son idée est d’empêcher Ould Ghazouani de l’emporter dès le premier tour.

Si second tour il y a le 6 juillet, le candidat le mieux placé face au général verrait toutes les autres formations d’opposition se rallier à lui. Biram se dit convaincu d’être ce challenger, mais les observateurs misent davantage sur l’ancien Premier ministre Ould Boubacar. Encore faut-il qu’il y ait un second tour…

>>> À LIRE – Mauritanie : le parti présidentiel choisit Ould Ghazouani comme candidat pour la présidentielle de juin

Les partis d’opposition ne sont pas sûrs de faire le plein de voix au sein de leurs électorats respectifs, tant Ould Ghazouani prend soin de tenir un discours consensuel et fédérateur. Une partie des Ideiboussat, traditionnellement proches de Tawassoul, est tentée de préférer la solidarité tribale avec l’ancien chef d’état-major à la consigne de vote du parti islamiste en faveur de Ould Boubacar.

Certains cadres de Tawassoul ont aussi pris fait et cause pour Ould Ghazouani. Quant à Biram, il voit l’un des piliers de sa communauté haratine se prononcer en faveur du général. L’un des créateurs du « Manifeste pour les droits des Haratines », Mohamed Vall Handeya, président de la Charte pour l’égalité citoyenne, s’est laissé convaincre par la promesse de Ould Ghazouani de pratiquer une discrimination positive en faveur des ­composantes ­tribales défavorisées.

Le Pacte national pour la démocratie et le développement (PNDD-Adil), qui ­participait au Forum de l’opposition « radicale » aux côtés du RFD et de l’UFP, a lui aussi rejoint le camp majoritaire. Il a suivi son président, l’ancien Premier ministre Yahya Ould Mohamed El Whaghaf, rallié à la cause du favori. Un coup dur pour Ould Maouloud, d’autant qu’une partie du RFD conteste le soutien que lui a apporté Ould Daddah.

À moins que le camp majoritaire ne se fissure lui aussi ? L’hypothèse a couru, quand l’ancien Premier ministre Moulaye Ould Mohamed Laghdaf préparait lui aussi sa candidature après le refus d’Aziz de se présenter une troisième fois, soutenu à l’époque par une partie du camp ­présidentiel hostile au général Ould Ghazouani. « Après des rencontres avec le président et le frère Ould Ghazouani », il a choisi de mettre fin à son projet et de soutenir ce dernier. Incendie maîtrisé.

Symbiose

Si Aziz et Ould Ghazouani n’ont pour l’heure pas tenu de meeting commun, le « dauphin » met un soin particulier à rendre hommage à son mentor. « C’est mon ami, voire mon frère, a encore confié récemment le candidat au site d’informations Maurinews Online. Mes liens avec le président sont vieux de quarante ans et n’ont jamais souffert le moindre défaut. » « Ils sont les deux hémisphères d’un même cerveau », comme le décrit un observateur. Le corps électoral suivra-t-il une majorité unie derrière un candidat consensuel ou une opposition qui propose une diversité de candidats propre à séduire les nombreuses composantes de la population mauritanienne ? Les urnes le diront.

Djindah Mohamed El Moustapha Bal, la communicante en chef

djindah mohamed el moustapha bal © DR

djindah mohamed el moustapha bal © DR

Djindah Mohamed El Moustapha Bal, la coordinatrice de la cellule de communication du général Ghazouani, a 39 ans. Elle est issue d’une vieille famille de l’aristocratie peule. Son grand-père, Bâ Mamadou Samboli, était membre du premier gouvernement formé après l’indépendance.

Après l’obtention, en 2005, d’un master en communication-marketing de l’Institut supérieur européen de gestion (Iseg) de Paris, elle crée, en 2006, à Nouakchott, l’agence Butterfly, spécialisée dans la communication, le marketing et l’événementiel. En 2016, elle reçoit le prix du meilleur leadership africain de Hokan Africa, qui récompense une fois par an au Bénin ceux « qui contribuent d’une manière significative, et parfois dans l’ombre, au progrès de leur communauté » dans la culture, le social ou l’économie. En octobre 2018, elle est nommée ministre de la Jeunesse et des Sports.

• Élection, mode d’emploi

Parrainages

Pour être admis parmi les candidats à la présidentielle, il faut obtenir les signatures de 100 conseillers municipaux, dont cinq maires, issus de la majorité des wilayas. Les élus n’ont pas le droit de parrainer plusieurs candidats.

Transparence

Les onze membres de la Commission électorale nationale indépendante (Ceni) organisent les consultations électorales pour garantir la sincérité du scrutin. L’opposition réclame sa dissolution et sa recomposition sur une base plus équitable, arguant qu’elle serait aujourd’hui majoritairement liée au candidat Ould Ghazouani. Le gouvernement lui propose de choisir cinq nouveaux membres. L’opposition demande aussi la venue d’observateurs étrangers durant la présidentielle.

Campagne

Elle sera officiellement ouverte le 7 juin. Mais les candidats tiennent déjà des meetings.

Calendrier

Le premier tour aura lieu après la fin du ramadan, le 22 juin, et le second le 6 juillet.

Mandat

Le nouveau président entrera en fonction le 1er août.

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