Gabon : les rêves de présidence de Guy Nzouba-Ndama

Ancien baron du régime passé à l’opposition, l’ex-président de l’Assemblée nationale, Guy Nzouba-Ndama , nourrit une grande ambition : conquérir le Palais du bord de mer en 2023.

Guy Nzouba-Ndama à Paris, en juin 2016. © Vincent Fournier/JA

Guy Nzouba-Ndama à Paris, en juin 2016. © Vincent Fournier/JA

MATHIEU-OLIVIER_2024

Publié le 18 avril 2019 Lecture : 7 minutes.

De l’envie, un brin de fierté, le tout saupoudré d’une dose d’ambition… Dans le regard de Guy Nzouba-Ndama, les ingrédients se distinguent presque aussi bien que ceux du gâteau, de taille peu modeste, qui est posé sur la table devant lui.

Nous sommes le 16 mars et l’ancien président de l’Assemblée nationale (de janvier 1997 à mars 2016) célèbre avec ses amis le deuxième anniversaire de son parti, Les Démocrates. Nzouba-Ndama a la mise impeccable, costume, cravate et pochette bleue, mais l’ambiance est décontractée. Depuis les législatives d’octobre 2018, Les Démocrates se sont affirmés comme la première formation d’opposition, dans un contexte où l’ensemble des adversaires du Parti démocratique gabonais (PDG, au pouvoir) semble dans l’impasse.

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En octobre, le parti a réussi à faire élire neuf députés. Le Rassemblement Héritage et Modernité (RHM) d’Alexandre Barro-Chambrier plafonne quant à lui à quatre représentants à l’Assemblée, tandis que l’Union nationale (UN) de Zacharie Myboto ne peut compter que sur le seul Minault Maxime Zima Ebeyard.

En d’autres termes, Guy Nzouba-Ndama est le président de la principale force d’opposition à la chambre basse. L’ancien locataire du perchoir est pourtant lui-même sorti perdant de la bataille : candidat à Koulamoutou, dans l’Ogooué-Lolo, il a été battu dès le premier tour par Jean Massima, cacique du PDG. Certains le disaient fini. Mais Nzouba-Ndama est remonté en selle.

L’opposition faisait du surplace, or tout parti doit avoir pour ambition de conquérir le pouvoir

Le 13 mars, trois jours avant de partager le gâteau d’anniversaire de son parti, il a annoncé la création d’une Coalition démocratique de l’opposition (CDO), dont il assurera la présidence, secondé par Bonaventure Ondo Ndong et Bruno Ben Moubamba, lui-même à la tête de l’Alliance pour le changement et le renouveau (ACR). La CDO regroupe pour le moment quatorze formations politiques.

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Une façon de tourner la page de l’alliance conclue avec Jean Ping en 2016 ? « Il faut bien admettre que l’opposition faisait du surplace, explique Nzouba-Ndama à Jeune Afrique. Nous avons choisi de mutualiser nos efforts en vue de provoquer l’alternance politique. » Avec la présidentielle 2023 en ligne de mire ? « Pourquoi pas ? Tout parti doit avoir pour ambition de conquérir le pouvoir », répond l’intéressé.

La force tranquille

Il faut dire que, le Palais du bord de mer, le natif de Koulamoutou y pense depuis longtemps. Très jeune, alors qu’il étudie la philosophie à l’université de Montpellier, en France, il milite au sein de l’Association générale des étudiants gabonais (Ageg), d’obédience marxiste, aux côtés de Luc Bengono Nsi, aujourd’hui président du Mouvement de redressement national (Morena, opposition). Les deux hommes, qui s’opposent à la présidence d’Omar Bongo Ondimba, sont inséparables. Ensemble, ils rentrent au pays au début des années 1970 pour… un séjour en prison de quelques mois.

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Ils sont relâchés après l’intervention d’Albert Yangari, à l’époque beau-frère de Nzouba-Ndama et proche d’Omar Bongo Ondimba, mais leurs parcours se séparent. Luc Bengono Nsi choisit l’opposition clandestine. Nzouba-Ndama se rapproche du PDG.

Il entre dans la fonction publique et devient professeur au lycée Omar-Bongo-Ondimba en 1975. Promu directeur général des bourses et stages en janvier 1980, il se fait remarquer au sein de l’intelligentsia.

L'ancien président de l'Assemblée nationale gabonaise Guy Nzouba-Ndama, à Paris le 16 juin 2016. © VINCENT FOURNIER/J.A.

L'ancien président de l'Assemblée nationale gabonaise Guy Nzouba-Ndama, à Paris le 16 juin 2016. © VINCENT FOURNIER/J.A.

En 1983, il est nommé ministre délégué auprès du ministre du Commerce et de l’Industrie puis, en 1986, ministre délégué auprès du ministre du Cadastre, de l’Habitat et du Logement et, en 1987, ministre de l’Éducation nationale. Nzouba-Ndama s’installe comme l’une des figures en vue de Libreville.

Dix-neuf ans de perchoir

En 1990, il quitte le gouvernement. Direction, le Palais. En février, il est nommé conseiller du président. Dans son entourage, un certain Ali Bongo Ondimba, chargé des Affaires étrangères, ainsi que Jean Ping, à l’Information puis aux Mines. Mais ce qu’il veut, c’est se faire élire.

Aux législatives d’octobre 1990, il se présente dans l’Ogooué-Lolo. Vainqueur, il devient président du groupe parlementaire du PDG. Un peu plus de six ans plus tard, il monte au perchoir. Le voilà président de l’Assemblée nationale. Il le restera dix-neuf ans.

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« Nzouba, c’était la force tranquille sur laquelle s’appuyait le président pour contrôler l’Assemblée », explique un ancien compagnon. « Il en était venu à respecter Omar Bongo Ondimba. Comme beaucoup, il a dû penser intégrer le système pour le changer de l’intérieur. Mais il en est devenu un rouage », confie un autre.

En juin 2009, le président s’éteint. Nzouba-Ndama fait partie des piliers du pouvoir. Pour la succession, son avis compte. Pense-t-il tenter sa chance ? Plusieurs dignitaires l’y poussent, mais il décide de soutenir Ali Bongo Ondimba, qu’il appelle « petit frère », et travaille au ralliement des barons du PDG. « Ali » est élu le 3 septembre 2009.

« Il a espéré avoir une influence sur le président, mais celui-ci lui a échappé », affirme un ancien du Palais. Un homme en particulier se dresse entre eux : Maixent Accrombessi, nommé directeur de cabinet du chef de l’État. Leurs relations sont exécrables. Le président de l’Assemblée nationale estime que les origines béninoises de son rival finiront par ternir l’image du président, mais Accrombessi n’est pas de ceux que l’on écarte facilement.

Espoirs déçus

Nzouba-Ndama n’est pas non plus aussi écouté qu’il l’aurait souhaité. À l’approche des législatives de 2016, on lui apprend que Faustin Boukoubi, secrétaire général du PDG, s’apprête, sur décision du chef de l’État, à nommer un nouveau bureau du groupe parlementaire.

Nzouba-Ndama n’a pas été consulté. C’est une couleuvre qu’il refuse d’avaler. Le 31 mars, il démissionne. Moins d’une semaine plus tard, il annonce sa candidature à la présidentielle prévue pour août. Le divorce est consommé.

Au fond de lui, Nzouba-Ndama se pensait meilleur candidat, mais il a accepté de se mettre au service de Ping et il a payé de sa personne pendant la campagne

Mais l’aventure tourne court. « Il y avait une forte demande de la population pour une candidature unique de l’opposition, dans le contexte d’une élection à un seul tour. J’ai donc accepté de me retirer au profit de Jean Ping », se justifie Nzouba-Ndama.

« Au fond de lui, il se pensait meilleur candidat, mais il a accepté de se mettre au service de Ping et il a payé de sa personne pendant la campagne », affirme un compagnon. Surtout, le nouvel opposant a manqué de soutien. S’il a favorisé les dissidences au sein du PDG et la création du RHM, il n’en a guère récolté les fruits. Alexandre Barro-Chambrier s’est rangé derrière Jean Ping.

Nzouba-Ndama n’a pas le choix. Il espère, comme il a espéré avec Ali Bongo Ondimba, avoir de l’influence sur son candidat. Mais ses attentes sont une nouvelle fois déçues. Peu à peu, il s’écarte de Jean Ping.

« La Cour constitutionnelle a déclaré Ali vainqueur, à tort ou à raison. Nous l’avons contesté politiquement mais cela ne change rien. On ne va pas passer notre vie à revendiquer la vérité des urnes », justifie-t-il. Contre l’avis de l’ancien président de la Commission de l’Union africaine, Nzouba-Ndama, qui a créé son parti en mars 2017, décide de participer aux législatives de 2018. On connaît la suite.

Objectif : présidentielle 2023

Et maintenant ? « Nous souhaitons imposer au pouvoir la volonté de faire changer les choses », explique vaguement le nouveau leader de la Coalition démocratique de l’opposition. « Ce sont des petits poissons pour le moment, tempère un proche du Palais. Mais, avec son groupe parlementaire, il peut représenter une alternative rassurante. »

Ces derniers mois, il a évité d’attaquer de front le chef de l’État sur sa santé. « S’il juge qu’il est apte, j’en prends acte », explique l’ancien député. Et d’ajouter, blagueur : « Si c’est un sosie qui est rentré à Libreville, il est très fort ! »

Il reste quatre ans avant la présidentielle, mais Nzouba-Ndama a souhaité prendre tout le monde de vitesse et reprendre le leadership à Ping

Alors que l’opposition se reconstruit, difficile de prévoir de grands mouvements de troupe chez les anciens de la coalition Ping. D’autant que « faire tenir une coalition pendant quatre ans, jusqu’à la présidentielle 2023, paraît impensable », ajoute un cadre de l’UN. Une nouvelle fois, les regards se tournent vers le PDG.

« Il y a un ras-le-bol au sein du parti, consécutif aux tiraillements entre émergents et anciens barons », explique un politologue. « Si cela peut servir notre mouvement, je prends », tranche Guy Nzouba-Ndama. Mais l’heure des déçus du PDG – et de Nzouba-Ndama – n’est-elle pas passée ?

À 72 ans, l’intéressé préfère ne pas « poser le problème en termes d’âge ». Il ajoute que « si d’autres pensent pouvoir donner un nouveau souffle, qu’ils le fassent ». Le voilà, de fait, lancé dans une course de fond vers la présidentielle 2023.

« Il reste quatre ans, mais il a souhaité prendre tout le monde de vitesse et reprendre le leadership à Ping », poursuit notre politologue. Les cartes ont donc le temps d’être rebattues. Nzouba y a réfléchi. « En 2023, l’élection se jouera en deux tours, donc je pense qu’une candidature unique de l’opposition n’est pas indispensable », assure-t-il. Pas question, cette fois, de laisser sa place à un autre ?

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