Culture

Kenzo sur un air de gqom à la Fashion Week de Paris

La griffe japonaise Kenzo a sollicité une chorégraphe africaine pour la présentation de sa nouvelle collection lors de la Fashion Week de Paris. Un métissage révolutionnaire.

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Mis à jour le 11 avril 2019 à 14:30

Présentation de la nouvelle collection Kenzo lors de la Fashion Week de Paris. © Kenzo/Instagram

Des beats de gqom – house sud-africaine –, une DJ, un éclairage tamisé, des danseurs… Début mars, un gymnase parisien a pris des allures de club underground. Pourtant, c’est bien au défilé de la maison de luxe Kenzo que quelque 150 invités ont assisté. Cette performance d’une demi-heure, que l’on doit à la chorégraphe sud-africaine Nqobilé Ntshangase, était telle qu’elle n’a guère laissé de place aux vêtements, somme toute assez secondaires.

Avec ses imprimés tigre et tomate sortis des archives de Kenzo Takada, autant dire que la collection ne compte pas parmi les plus créatives de la marque. « La mode tourne en rond. Alors elle tente de renouveler l’exercice du défilé en introduisant des danseurs. Et pioche ses références dans des cultures jusque-là peu exploitées », observe Jean-Marc Chauve, professeur à l’Institut français de la mode.

Appel aux créateurs locaux

C’est donc naturellement que la griffe venue d’Asie, incarnée depuis 2011 par Humberto Leon et Carol Lim, s’est intéressée à l’Afrique en faisant appel aux créateurs locaux. Alors que des milliers de kilomètres séparent les deux continents, l’analogie est évidente pour Jean-Marc Chauve.

« L’exotisme est inscrit dans l’ADN de Kenzo, qui s’appelait d’ailleurs Jungle Jap à ses débuts, rappelle-t-il. La marque a compris que l’Afrique représentait un nouvel exotisme. »

Pourtant, Yves Saint Laurent a été l’un des premiers à s’intéresser au continent, en réinterprétant la saharienne dès les années 1970, tandis que Stella McCartney présentait une collection 100 % wax à la fashion week printemps-été 2018 en frôlant, pour certains, l’appropriation culturelle.

Pour se renouveler, la mode doit retourner aux racines, à l’Afrique

Ici, l’exotisme s’affranchit du fantasme et du folklore pour s’ancrer dans une réalité urbaine et contemporaine. « Le gqom [qui a émergé grâce à la jeunesse des townships dans les rues de Durban, à la fin des années 2000] est encore relativement nouveau à l’international, mais fait partie intégrante de mon environnement culturel », souligne Nqobilé Ntshangase.

« Le show rappelle les battles de hip-hop et les codes de la street culture noire américaine, qui ne cessent d’influencer l’industrie depuis les années 1980, note de son côté Jean-Marc Chauve. Or, pour se renouveler, la mode doit retourner aux racines, à l’Afrique ».

Cultures réinventées

Le styliste américain Rick Owens l’avait déjà compris en 2013. Il révélait sa collection avec des danseuses de stepping, un style de danse percussif né dans les confréries africaines-américaines au début du XXe siècle et dont les origines remonteraient au temps des plantations – ce mouvement ayant lui-même une parenté avec le gumboot, qui a vu le jour en Afrique du Sud durant l’Apartheid

Lassés de leur propre narration, les designers réinventent les cultures d’ailleurs en jouant la carte de la diversité, longtemps absente des défilés : les danseurs sont de toutes origines. « L’idée était de combiner la danse contemporaine, le gqom et l’afrobeat pour faire découvrir de nouvelles influences au public », détaille Nqobilé Ntshangase. Un melting-pot bien consensuel qui témoigne de la créativité en berne du secteur.