Africa CEO Forum 2019 : vers le marché de demain

Lors de la septième édition de l’Africa CEO Forum, les 25 et 26 mars 2019, à Kigali, le secteur privé s’est montré déterminé à surmonter les obstacles pour que la Zone de libre-échange continentale et une meilleure intégration économique deviennent réalité.

Premier débat du 7e Africa CEO Forum à Kigali, le 25 mars 2018. © Africa CEO Forum

Premier débat du 7e Africa CEO Forum à Kigali, le 25 mars 2018. © Africa CEO Forum

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Publié le 1 avril 2019 Lecture : 6 minutes.

La 4e édition du Africa CEO Forum s’est tenue à Abidjan les 21 et 22 mars. © J.A.
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Africa CEO Forum 2019 : enjeux et défis de l’intégration africaine

Les 25 et 26 mars à Kigali, 1 600 décideurs venus de 70 pays se réuniront à l’occasion de la septième édition de l’Africa CEO Forum, placée sous le signe de l’intégration africaine.

Sommaire

L’ovation est longue et solennelle, ce lundi 25 mars au soir, lorsque Tewolde GebreMariam se fraie un chemin dans le grand hall du Kigali Convention Center (KCC) pour recevoir le prix de l’entreprise africaine de l’année, décerné à Ethiopian Airlines, qu’il dirige depuis 2011.

« Merci pour ce fort vote de confiance, alors que nous traversons le plus éprouvant challenge de notre histoire », s’est ému le manager éthiopien, qui a également exprimé ses « plus sincères et profondes condoléances » pour les familles des victimes du crash aérien du 10 mars, qui a entraîné la mort de 157 passagers et employés du transporteur.

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En honorant la compagnie d’Addis-­Abeba, surtout en cette période difficile, le jury de l’Africa CEO Forum (ACF), coorganisé par Jeune Afrique Media Group (JAMG), le spécialiste suisse de l’événementiel Rainbow Unlimited et l’IFC, filiale du groupe de la Banque mondiale, a sans doute voulu marquer le coup et aussi rappeler une évidence.

Dernière ratification avant la Zlec

« Ethiopian Airlines est incontestablement un champion de l’intégration régionale en Afrique », salue le Malien Mossadeck Bally, patron du groupe Azalaï Hotels, pourtant en lice pour cette même récompense. Le pari panafricain d’Ethiopian, qui en une dizaine d’années s’est installé dans quarante pays du continent, a manifestement porté ses fruits avec 2,75 milliards d’euros de revenus en 2017-2018, soit trois fois et demie le volume réalisé en 2010-2011.

Une réussite qui illustre bien le thème principal de l’ACF 2019 : « Une Afrique ouverte. Des traités continentaux aux réalités des affaires ». Comme un symbole, c’est en ce même centre de convention, comme l’a rappelé le président rwandais, Paul Kagame, que 44 pays africains ont signé, il y a un an, l’accord sur la Zone de libre-échange continentale (Zlec).

>>> À LIRE – [Tribune] La Zlec, une chance de transformer l’Afrique

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« La Zlec est sur le point d’entrer en vigueur. Une seule ratification [d’un des pays signataires] de plus est nécessaire. Cependant, comme nous le savons tous, c’est là que commence le dur labeur. Il est donc tout à fait opportun que nous nous réunissions ici pour discuter de la meilleure façon possible de tirer parti de cet accord historique », a souligné le dirigeant rwandais. « Notre ambition pour ce forum est d’ouvrir un dialogue mondial entre les secteurs public et privé sur la manière d’aller de l’avant tous ensemble », a ajouté Amir Ben Yahmed, président de l’Africa CEO Forum et directeur général de JAMG. Une double exhortation qui semble avoir été entendue.

Quatre chefs d’État

Plus de 1 800 participants, dont 800 patrons d’entreprise, ont été enregistrés pour cette nouvelle édition, soit 200 personnes de plus qu’au forum d’Abidjan en 2018. Avec, pour cette première fois au Rwanda, couverte par 142 journalistes du monde entier, une majorité d’anglophones. Pas moins de quatre chefs d’État – Paul Kagame, Félix Tshisekedi (RD Congo), Faure Gnassingbé (Togo) et Sahle-Work Zewde (Éthiopie) – ont présidé à ces rencontres, auxquelles a également participé Amadou Gon Coulibaly, le Premier ministre ivoirien.

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« L’Afrique doit créer environ 1,7 million d’emplois par mois pour sa jeunesse. La solution est d’avoir un secteur privé compétitif grâce au libre-échange à l’échelle continentale. Pour y parvenir, nous avons besoin de visionnaires et de pragmatiques. Où les trouver si ce n’est à l’Africa CEO Forum ? » a martelé Philippe Le Houérou, directeur général d’IFC, qui déploie 3 milliards de dollars par an sur le continent.

Cérémonie d'ouverture de l'ACF 2018, à Abidjan. © Jacques Torregano/CEO FORUM/JA

Cérémonie d'ouverture de l'ACF 2018, à Abidjan. © Jacques Torregano/CEO FORUM/JA

Durant ces quarante-huit heures à Kigali, les dirigeants publics comme privés venus de 70 pays, dont 44 africains, ont tenté de répondre à ce défi. Ce ne sont pas moins de 1 milliard de dollars d’opportunités d’investissement qui ont été présentées par les acteurs publics du continent.

Échanges très directs

Ainsi, des dizaines d’investisseurs et d’entrepreneurs se sont pressés aux sessions « Invest in », dont celle du Togo, pendant laquelle l’opérateur de fibre optique Liquid Telecom s’est publiquement engagé à étendre ses activités dans ce pays. Autre moment fort, la séance de questions-réponses avec Amadou Gon Coulibaly, qui a souhaité désamorcer les inquiétudes éventuelles des investisseurs sur les prochaines échéances électorales ivoiriennes et vanté la pérennité du chemin de croissance emprunté par Abidjan.

On retiendra aussi ces échanges très directs lors d’un petit-déjeuner informel entre le président Tshisekedi et des entrepreneurs congolais. Ou encore l’imposante délégation marocaine – conduite par Mohcine Jazouli, ministre délégué chargé de la Coopération africaine, Mohamed El Kettani, patron du groupe bancaire Attijariwafa Bank et désigné CEO africain de l’année durant l’ACF, et Salaheddine Mezouar, ex-ministre des Affaires étrangères et président de la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM) –, venue inciter les investisseurs africains à tourner leur regard vers Casablanca et Rabat.

Après des années d’expansion de leurs entreprises au sud du Sahara, les Marocains jugent cette « réciprocité des investissements » indispensable pour préparer « la mise en œuvre effective de la Zlec ». Le royaume devrait, dans les prochaines semaines, ratifier son adhésion à l’accord de libéralisation commerciale, ouvrant ainsi la voie à son entrée en vigueur.

Mises en garde sur les risques de dumping

Le forum a également permis aux dirigeants de multiplier les rendez-vous pour faire avancer leurs projets, voire conclure des deals. Le Sénégalais Yerim Sow a été aperçu en grande conversation avec son homologue ivoirien Adama Bictogo, puis le Burkinabè Lassiné Diawara quand la Sénégalo-Monégasque Johanna Houdrouge, directrice juridique du groupe Mercure International, établi à Monaco, prenait langue avec le représentant de MSC au Togo.

Kuseni Dlamini, président de Massmart, lors de son intervention. © Africa CEO Forum.

Kuseni Dlamini, président de Massmart, lors de son intervention. © Africa CEO Forum.

Le leadership féminin a été régulièrement évoqué, à la tribune comme durant les panels. Depuis quatre ans, l’ACF a fait de l’évolution des mentalités l’une de ses priorités. Cette année, il a organisé un atelier sur l’accès des femmes aux conseils d’administration, auquel ont participé Cina Lawson, ministre togolaise des Postes et de l’Économie numérique, et la Marocaine Nadia Fettah, directrice générale de Saham Finances.

Notre mission est de construire des ponts et non des murs

Le Kigali Convention Center a également été le théâtre de conversations franches sur les challenges que représente la mise en œuvre de cette libéralisation continentale. Aux mises en garde sincères du tycoon égyptien Naguib Sawiris et de son homologue nigérian Abdul Samad Rabiu, patron du conglomérat BUA Group, sur, entre autres, les risques de dumping dont pourraient souffrir les entrepreneurs africains ont répondu d’affirmatives exhortations en faveur de la Zlec.

Nouvelle ère

« Nous devons œuvrer à servir les 1,2 milliard d’habitants du continent africain qui vont bénéficier du futur marché unique continental plutôt que nous focaliser exclusivement sur les situations particulières de telle ou telle économie », a estimé Ade Ayeyemi, directeur général du groupe panafricain Ecobank. Un avis que semblent partager une majorité des dirigeants africains. Selon une enquête inédite, diligentée par le cabinet Deloitte et Jeune Afrique, 81 % d’entre eux considèrent que la création de cette zone commerciale continentale aura un impact positif sur leur stratégie.

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« Quoi que nous essayions de faire, même en matière de développement économique, si les décisions politiques sont mauvaises, tout le reste sera mauvais. C’est pourquoi une gouvernance ouverte, réceptive et responsable est si cruciale », a insisté Paul Kagame. Durant le très attendu panel présidentiel rassemblant les chefs d’État rwandais et congolais, Félix Tshisekedi a appelé à une nouvelle ère de coopération entre les anciens rivaux de la région des Grands Lacs. La veille, le dôme du KCC avait même été illuminé aux couleurs du drapeau de la RDC.

« Notre mission est de construire des ponts et non des murs », a affirmé le président congolais, rappelant les avantages d’une collaboration, notamment dans le domaine de l’hydroélectricité. « Pour que les entreprises puissent fonctionner correctement, elles ont besoin de la coopération du gouvernement. Les deux secteurs ne peuvent pas travailler l’un sans l’autre », a ajouté Tony Attah, directeur général de Nigeria LNG, l’un des leaders africains du secteur gazier.

Le président rwandais Paul Kagame et son homologue congolais Felix Tshisekedi à l'Africa CEO Forum, à Kigali le 26 mars 2019. © François Grivelet pour Jeune Afrique

Le président rwandais Paul Kagame et son homologue congolais Felix Tshisekedi à l'Africa CEO Forum, à Kigali le 26 mars 2019. © François Grivelet pour Jeune Afrique

Ce dont nous avons besoin, c’est beaucoup plus d’activités commerciales, surtout entre pays africains

« Ce dont nous avons besoin, c’est beaucoup plus d’activités commerciales, surtout entre pays africains, afin de voir émerger des entreprises d’envergure continentale, qui puissent porter les intérêts et les ambitions de nos peuples », a expliqué Paul Kagame.

En récompensant Ethiopian Airlines et Attijariwafa Bank, deux champions de la promotion des relations économiques entre les nations du continent, l’Africa CEO Forum a indiqué un chemin. Il revient désormais à l’ensemble des opérateurs économiques africains de l’emprunter. « Le Rwanda est un pays qui prend le business au sérieux », n’ont cessé de rappeler les dirigeants de Kigali durant ce forum. Un an après la signature du traité historique instituant la Zlec, le message est on ne peut plus clair pour les dirigeants africains : place aux affaires.

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