Après plusieurs reports, le congrès électif de Nidaa Tounes devrait se tenir à Monastir, fief de Habib Bourguiba, fondateur de la République, à la date anniversaire de son décès, le 6 avril, pour ce qui apparaît comme la dernière chance de relance d’un parti moribond. Car Nidaa Tounes s’est immolé sur l’autel des ambitions personnelles et des promesses non tenues.
La démission, en mars, du comité d’organisation du congrès en est le dernier signe en date. En cause, l’incapacité du bureau exécutif et de son chef, Hafedh Caïd Essebsi (HCE) – fils du président de la République – , à le tenir dans la transparence. « Il faut absolument procéder à une véritable autocritique et discuter de la démocratie interne, sinon Nidaa perdra les élections », prévient Boujemaa Remili, membre du comité.
« Une faction »
Pour l’heure, Nidaa plie mais ne rompt pas. Si le parti mastodonte a perdu une majorité de ses cadres et 1 million de voix sur les 1,6 million réunies en 2014, il peut encore compter sur son image de marque. Sur une palette de plus de deux cents partis, son logo au palmier reste identifiable jusque dans les coins les plus reculés du pays. Ses guerres intestines continuent de faire parler de lui ? Il n’y a pas de mauvaise publicité, estiment les plus présomptueux de ses défenseurs.
Le dernier sondage de Sigma Conseil, réalisé en mars, le crédite d’ailleurs de 20 % des intentions de vote aux législatives d’octobre, le plaçant en deuxième position, derrière Ennahdha. « Pour le moment les Tunisiens qui soutiennent les centristes ne connaissent que Nidaa. Les nouvelles formations ne sont pas encore entrées en scène. Ils le citent donc par défaut », nuance Hassen Zargouni, patron de Sigma.
La relance est venue du retour des transfuges, nostalgiques des beaux jours, qui peinent à se positionner dans d’autres structures
Le parti est « devenu une faction avec une clientèle », souligne Hatem M’rad, professeur à la faculté des sciences politiques de Carthage. Un constat partagé en interne. Véritable animal politique, Béji Caïd Essebsi avait su capitaliser sur sa figure de vieux sage il y a cinq ans pour s’attirer les suffrages des électeurs. Aujourd’hui, on reproche au père fondateur son autoritarisme. Pour y remédier, des tentatives d’élargissement de l’encadrement ont été menées. La relance est venue du retour des transfuges, nostalgiques des beaux jours, qui peinent à se positionner dans d’autres structures et n’ont, en réalité, jamais coupé le cordon ombilical. Ceux qui avaient claqué la porte en 2016 ont créé, à l’automne 2018, un courant dissident, Lam Echaml (« Le Rassemblement »).
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Député et ex-membre du bureau politique, Mondher Belhaj Ali conduit ce courant, avec Abdessatar Messaoudi, ancien avocat personnel de BCE, et Ridha Belhaj, un temps directeur exécutif du parti et chef du cabinet présidentiel. Il pointe une situation de déliquescence et estime que « la direction actuelle s’est éloignée de la politique au profit des manœuvres ». Forts de leur statut de membres fondateurs de Nidaa, les trois hommes réclament « un congrès démocratique et le départ de HCE ».
L’équipe de Lam Echaml vient d’ailleurs de porter plainte après avoir relevé une vingtaine d’irrégularités dans l’organisation du congrès. Cette initiative avait pourtant reçu l’appui initial d’un Béji Caïd Essebsi qui multiplie, depuis l’été 2018, les consultations pour donner un nouveau souffle à Nidaa Tounes. C’est dans cette optique qu’il a rappelé sa garde rapprochée de 2014.
BCE a aussi consulté des organisations syndicales et patronales… et reçu les dirigeants d’autres formations, dont Yacine Brahim, d’Afek Tounes, et Mehdi Jomaa, d’Al Badil, pour structurer une coalition autour de Nidaa. Le projet semblait ficelé, les listes électorales en cours de préparation. L’intégration de figures indépendantes appréciées de l’opinion publique, telles que les anciens ministres Fadhel Abdelkéfi et Hakim Ben Hammouda ou Mondher Zaïdi, a même été discutée. Les candidats au retour étaient prêts à ménager à HCE une porte de sortie, quitte à le laisser participer aux élections du congrès. Il n’en a rien été. L’organisation du congrès est même repassée entre les mains du premier cercle du fils du président.

© Infographie Jeune Afrique.
Fusion avortée
En attendant les législatives, l’urgence est de stopper l’hémorragie de députés. Ils ne sont plus que 40 à siéger sous la bannière de Nidaa, selon le dernier décompte officiel, contre 86 en 2014. Et leur nombre pourrait encore baisser avec le départ des élus de l’Union patriotique libre (UPL), la fusion amorcée en octobre dernier ayant fait long feu. Nabil Sebaï, ex-directeur exécutif de l’UPL passé par le bureau politique de Nidaa, s’attend « à la démission d’au moins sept députés supplémentaires ». Le rapprochement UPL-Nidaa était destiné à contrer l’émergence d’autres formations constituées par des personnalités issues du parti présidentiel. Double échec. La concurrence ne brille pourtant pas par sa cohérence.
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Outre une gestion dynastique qui ne passe pas, beaucoup, au sein de la famille centriste, reprochent à Nidaa son inconsistance. « La crise était inéluctable ; le parti a brassé trop large et s’est allié avec Ennahdha en dépit de ses engagements électoraux », résume l’analyste politique Youssef Cherif. À sa création, le parti s’était en effet positionné comme un rempart contre les islamistes.
Incarnant la même mouvance, de nouvelles formations sont en embuscade et annoncent une offensive électorale. Créé en janvier par des proches du chef du gouvernement, Youssef Chahed, Tahya Tounes pourrait devenir une bannière refuge pour les déçus de Nidaa. Autre concurrent de poids : le Parti destourien libre d’Abir Moussi. « Sa montée en puissance par la mobilisation des anciens réseaux du RCD [ex-parti au pouvoir] qui avaient contribué à la réussite de Nidaa crée une concurrence sérieuse », analyse Alia Gana, de l’Institut de recherche sur le Maghreb contemporain, à Tunis.
Ce qu’il se passe à l’Assemblée est une chose, ce qu’il va se passer en vue des élections en est une autre
Pour sauver sa peau, Nidaa pourrait encore envisager une coalition, mais les atermoiements dans ses jeux d’alliance font régner le flou. « Ce qu’il se passe à l’Assemblée est une chose, ce qu’il va se passer en vue des élections en est une autre, confie Kamel Morjane, dirigeant d’Al Moubadara (« L’Initiative »). Nous n’avons pas encore pris de décision, nous verrons quelle sera l’approche la plus positive. » Très attendue, l’éventuelle candidature de Youssef Chahed pèsera dans les choix à venir.
Amertume
Les dernières municipales, en mai 2018, ont démontré que la superstructure du parti s’était dégonflée : Nidaa a à peine dépassé les 22 % des voix. Face à la menace d’abstention record qui plane sur les élections à venir, c’est justement en s’appuyant sur ses structures locales que le parti pouvait encore convaincre sur le terrain. Or ces structures ont été affaiblies. « Des candidats ont été parachutés aux municipales, ce qui a engendré beaucoup d’amertume », rapporte Alia Gana.
Six mois après la fusion avec Nidaa, les anciens représentants des bureaux régionaux de l’UPL n’avaient toujours pas reçu leur carte d’adhésion – un problème récurrent – , et aucun rôle ne leur avait été attribué, dénonce Nabil Sebaï. « Au sein du parti, beaucoup vivent dans la peur d’être écartés par des magouilles et connaissent des problèmes d’ordre organisationnel », explique-t-il.
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À l’absence de consultation s’est ajouté un remodelage sans concertation. Aïcha Touati affirme ainsi avoir été évincée de manière intempestive fin octobre du poste de responsable du bureau des femmes de Ben Arous lorsque le coordinateur régional (parti rejoindre Tahya) a été remplacé. « J’ai eu l’impression qu’ils écartaient ceux qui n’étaient pas proches de HCE », lance celle qui continue à se battre avec le courant Lam Echaml. « Si Nidaa ne change pas, ce sera un beau gâchis », déplore-t-elle.
Le parti aurait aussi perdu plusieurs de ses soutiens financiers. Des bureaux ont fermé leurs portes. Le propriétaire d’un local investi par Nidaa à sa création en 2012 dans le Grand Tunis dit accuser 30 000 dinars d’impayés de loyer depuis juin 2016. Il avait pourtant offert un prix cassé. « Je pense qu’ils sont perdus et qu’ils n’ont plus les moyens d’avancer », observe-t-il. Il vient de changer la serrure du local.
Qui soutient encore HCE ?

Sofiane Toubel, président du groupe parlementaire de Nidaa Tounes. © Ons Abid pour JA
Il serait responsable de nombreux départs de Nidaa Tounes. Très contesté, le directeur exécutif du parti, Hafedh Caïd Essebsi, compte toutefois une poignée de soutiens indéfectibles. Parmi eux, Sofien Toubel, chef du groupe parlementaire, et Ons Hattab, porte-parole de la formation. Tous deux inconnus sur la scène politique en 2014, ils ont gravi les échelons, profitant des places laissées vacantes par les dirigeants qui ont intégré le gouvernement.
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En jouant la carte Hafedh Caïd Essebsi, ils se sont assuré une ascension fulgurante. Sofien Toubel, plusieurs fois épinglé dans des scandales, semble aussi insubmersible que Raouf Khamassi, coordinateur du parti à l’étranger, proche du président Béji Caïd Essebsi et ami de longue date de son fils. Au fil des changements d’équilibre au sein de Nidaa Tounes, ce trio a isolé Hafedh Caïd Essebsi. Au point que les dirigeants qui le soutenaient, notamment par allégeance à son père, ont préféré jeter l’éponge et partir, ou se taire en attendant éventuellement de rebondir, comme Khaled Chouket.