Sur ses cartes de visite, Martin Fayulu a fait apposer une tête de léopard, emblème de la RD Congo, suivie de cette mention : « Président élu ». C’est avec ce titre qu’il s’est présenté ces dernières semaines à Paris, au Quai d’Orsay, puis à Bruxelles, au ministère des Affaires étrangères, dans le cadre d’une tournée qui doit le mener jusqu’aux États-Unis.
Trois mois après l’élection présidentielle qui a sacré Félix Tshisekedi, Martin Fayulu continue de courir de rendez-vous en meetings pour revendiquer sa victoire, dans son pays comme à l’étranger. À 62 ans, c’est un homme physiquement fatigué qui rend donc visite à Jeune Afrique, en ce 20 mars. Mais sa détermination est intacte. « J’ai été élu avec 62,11 % des voix, et tout le monde le sait », continue-t-il de clamer.
En Afrique centrale, il n’est pas le premier à se retrouver dans cette inconfortable position, en espérant que le pouvoir finira par lui revenir. Il y eut Jean Ping au Gabon, Maurice Kamto au Cameroun, et même le père de son adversaire, Étienne Tshisekedi, après les élections de 2011… Quelle qu’ait été la légitimité de leurs revendications, cette stratégie n’a jamais fonctionné.
Fayulu se dit pleinement conscient de ces précédents. « Mais la situation actuelle est totalement différente, assure-t-il. Nous avons des preuves qui viennent directement des serveurs de la Commission électorale nationale indépendante [Ceni] et de l’observation rigoureuse de la Conférence épiscopale du Congo [Cenco]. Et dans les autres cas, aucun pays n’a jamais donné ces personnalités vainqueurs, comme l’a fait le ministre français des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian pour moi. Il ne faut pas sous-estimer cette prise de position. »
>>> À LIRE – [Document] Présidentielle en RDC : le rapport de la Cenco qui donnait Martin Fayulu vainqueur
« Un accord secret avec Kabila »
Il y a toutefois une différence que Martin Fayulu ne mentionne pas. En RD Congo, c’est un opposant qui a été proclamé président. Et cette alternance, bien que partielle – l’ancien président Joseph Kabila a conservé une très large majorité au Parlement –, a placé une grande partie des Congolais dans l’expectative. À Kinshasa on attend encore de voir si le nouveau chef de l’État parviendra à impulser de réels changements. L’opinion de Fayulu, elle, est déjà faite. « Félix Tshisekedi a trahi le peuple et va le payer cher, charge l’opposant, qui ne craint pas d’insulter l’avenir. Il a signé un accord secret avec Kabila. Celui-ci va faire des concessions mineures à certains moments pour donner espoir à la population. Mais son système est toujours en place. »
Pour le moment, la France et les États-Unis parient pourtant sur la capacité de Félix Tshisekedi à marginaliser progressivement Kabila. Ce qui a le don d’énerver le bouillant Fayulu. « La communauté internationale dit “Nous n’avons pas vu de manifestations de rue à l’annonce des résultats”. Mais elle sait bien que Joseph Kabila était encore aux commandes et que toute manifestation aurait été réprimée. Elle voulait un bain de sang ? Je trouve cela malheureux. »

Le président congolais Félix Tshisekedi, à gauche, et le président sortant Joseph Kabila côte à côte lors de la cérémonie d'inauguration à Kinshasa, en République démocratique du Congo, le jeudi 24 janvier 2019. © Jerome Delay/AP/SIPA
Au sein de l’opposition, la ligne dure à laquelle il s’accroche ne fait pas l’unanimité. À ce jour, Moïse Katumbi s’est ainsi refusé à condamner clairement l’accession de Félix Tshisekedi à la présidence. L’entourage de l’ancien gouverneur du Katanga n’exclut pas totalement que le nouveau chef de l’État congolais parvienne à s’appuyer sur l’opinion publique pour s’imposer – et, accessoirement, qu’il lui permette de revenir dans le jeu.
Or Martin Fayulu en convient : sa percée lors de la présidentielle doit beaucoup au soutien de la coalition Lamuka (« Réveillez-vous »), qui comprend, outre Katumbi, Jean-Pierre Bemba, Freddy Matungulu ou encore Adolphe Muzito. « Le peuple congolais voulait un candidat commun pour chasser le système de Kabila. Mes pairs m’ont choisi. Donc j’ai bénéficié de cette onction de Lamuka, reconnaît-il. Mais si ma popularité n’était que circonstancielle, ma récente tournée dans le pays aurait été un échec. Or j’ai réuni des foules encore plus grandes que pendant la campagne ! Le peuple congolais s’est dit : “Je m’attache à ce candidat parce qu’il représente une idée.” »

Martin Fayulu s'adressant à des militants, le vendredi 11 janvier à Kinshasa. © Jerome Delay/AP/SIPA
Si c’est une nomination par Tshisekedi, non. Ce serait une trahison. Je suis président élu et je le reste
Quel rôle ?
Pas sûr que Katumbi et Bemba, les deux poids lourds de la nouvelle opposition, l’entendent de cette oreille. Puisque Lamuka doit devenir une plateforme politique, la répartition à venir des postes donnera quelques éléments de réponse. Mais la réunion de la coalition à Bruxelles, du 21 au 23 mars, a déjà été riche d’enseignements. Après des débats animés, ses leaders ont en effet renoncé à condamner l’« accord de partage de pouvoir » entre Tshisekedi et Kabila et à réclamer le recomptage des voix, contrairement à ce que Fayulu souhaitait. « C’était devenu impossible de l’obtenir, admet-il. Les PV des bureaux de vote ont très certainement disparu. »
>>> À LIRE – RDC : pourquoi Lamuka n’a pas condamné l’« accord secret de partage de pouvoir » entre Tshisekedi et Kabila
« Des rencontres et des discussions avec le pouvoir en place peuvent nous permettre de trouver un compromis », poursuit-il. Quelle forme prendrait-il ? Fayulu écarte toute entrée au gouvernement, pour lui comme pour ses proches. « Si c’est une nomination par Tshisekedi, non. Ce serait une trahison. Je suis président élu et je le reste. Et comme l’a dit Pierre Lumbi [son directeur de campagne] : “On ne prend pas une main sale.” »
Dans certains cercles diplomatiques, on imagine une nouvelle institution créée sur mesure pour lui permettre de jouer un rôle de supervision. Mais lui a autre chose en tête : il souhaite l’organisation de nouvelles élections, après une période de transition durant laquelle le pouvoir serait partagé. L’idée ne sera pas facile à défendre, alors que les Congolais ont déjà attendu pendant sept ans la dernière élection présidentielle.

Martin Fayulu, lors d'une conférence de presse à Kinshasa, le 8 janvier 2019. © AP/SIPA/Jerome Delay
En l’absence de Katumbi et de Bemba, il est la seule figure d’envergure en mesure de guider la foule
Pression de la rue
Quelle que soit la formule, il y a peu de chance pour que Tshisekedi consente à un compromis à moins d’y être contraint. À ce stade – et c’est l’un des rares sujets qui fait consensus au sein de Lamuka –, seule une importante pression de la rue pourrait le lui imposer.
Fayulu a, il est vrai, le profil pour porter un tel mouvement. En l’absence de Katumbi et de Bemba, qui estiment aujourd’hui que les conditions ne sont pas réunies pour leur retour, il est la seule figure d’envergure en mesure de guider la foule. En septembre 2016 déjà, il avait manifesté face aux forces de l’ordre, ce qui lui avait valu un spectaculaire hématome au visage et le surnom de « soldat du peuple ».
Mais, à l’époque, la mobilisation prospérait sur un carburant hautement inflammable : l’exaspération face à la volonté de Joseph Kabila de se maintenir au pouvoir, en dépit de l’expiration de son ultime mandat. Rien de commun, donc, avec la situation du nouveau président. C’est en grande partie du succès ou de l’échec de son rival que dépendra l’avenir de Fayulu.