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Algérie : les promesses du printemps
Ce samedi 9 février, à la nuit tombée et malgré le froid mordant, le stade du 1er-Novembre-1954 de Tizi Ouzou, en Kabylie, est un chaudron bouillant. Tous les gradins ont été pris d’assaut par quelque 25 000 supporters venus assister au classico opposant l’équipe locale, la Jeunesse sportive de Kabylie (JS Kabylie ou JSK) au Mouloudia Club d’Alger (MC d’Alger).
À droite de la tribune des officiels, un espace à part : celui réservé aux femmes et aux familles. C’est dans ce petit carré que Wardia, 20 ans, s’est installée avec ses trois copines pour suivre le match. Bonnet de laine vissé sur une tignasse bouclée, drapeau kabyle noué autour des épaules et maquillage berbère sur les joues, elle crie et chante à se briser les cordes vocales. « Je suis tout émue d’être ici, exulte la jeune étudiante en psychologie. Il n’y a aucune raison que les stades soient exclusivement réservés aux hommes. »
Vent de fraîcheur
C’est une petite révolution, dans les mœurs comme dans les esprits, qui se déroule dans cette enceinte où joue l’un des clubs les plus capés du football algérien. La décision, prise en septembre par les dirigeants de la JSK, d’ouvrir les portes du stade aux femmes et aux familles fait souffler un vent de fraîcheur dans les gradins. Et même de changement, car si elles ne sont encore que quelques milliers à faire le déplacement, leur présence seule suffit à ramener un peu d’ordre dans des stades algériens devenus des lieux de défoulement ou de tribune politique.
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Jets d’objets, invasions des terrains, saccages des gradins, batailles rangées entre supporters et forces de l’ordre, violences physiques et verbales ont pris de telles proportions que les autorités ont envisagé la présence d’imams pour y prêcher la non-violence.
Dans ce climat électrique et délétère, le stade de Tizi Ouzou, qui a pourtant connu un drame terrible en 2014 avec la mort du joueur camerounais Albert Ebossé, fait figure d’exception. Saliha, 25 ans, femme au foyer et enceinte de son premier enfant, n’a jamais songé à mettre un orteil dans un stade. Elle a pourtant fait le déplacement ce soir. « C’est mon mari qui a insisté pour que je vienne, explique-t-elle. J’avais peur car nos stades sont des lieux de violences et d’agressions. Je découvre une douce euphorie avec cette ambiance de chants et de fête. »
La JSK, une exception
Vice-président du club et capitaine de légende de la JSK, Iboud Miloud se réjouit de cette initiative qui a émergé lors d’une rencontre de proximité organisée par les responsables de la JSK dans un village situé au fin fond de la Kabylie. « Une vieille dame nous a interpellés sur l’absence d’un espace sécurisé et réservé aux femmes, raconte Iboud. Nous avons aussitôt souscrit à cette belle idée. Leur présence pourrait faire diminuer les comportements vulgaires et indécents. » Iboud regrette en revanche que les dirigeants des autres clubs du championnat n’aient pas encore suivi l’exemple.
Plus les femmes seront nombreuses, moins les supporters seront violents
« Certains trouvent des subterfuges pour expliquer que la place de la femme est à la maison plutôt que dans un stade de foot », se désole-t-il. Lounes, le mari de Saliha, évoque un acte de citoyenneté susceptible de changer les mentalités dans les stades. « Plus les femmes seront nombreuses, moins les supporters seront violents. Il n’y a pas de raison que les salles de cinéma, de théâtre ou de concert soient ouvertes aux femmes et pas les stades. Au-delà d’être un vecteur d’émancipation, leur présence est un facteur d’apaisement. »
Lorsque l’arbitre siffle la fin de ce classico, Saliha prend rendez-vous avec son mari pour la prochaine rencontre. « Je compte bien revivre cette ambiance euphorique, dit-elle. Vive les femmes au stade ! » La prochaine fois, elle promet de revenir avec ses sœurs, mais aussi sa mère et sa belle-mère.
Hors de l’ombre
On ne voit qu’elles ces dernières semaines à la une de la presse internationale. En première ligne lors des journées de contestation du mois de mars, les Algériennes ont rappelé à leurs compatriotes masculins, mais aussi au reste du monde, qu’elles entendent bien occuper l’espace public qui leur revient. Dans la sphère professionnelle, l’émergence des femmes ne fait déjà plus débat depuis plus d’une décennie. Près de deux tiers des diplômés algériens dans le supérieur sont aujourd’hui des femmes, ainsi que 42 % des magistrats du pays.
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Mais c’est encore sur la scène politique que leur ascension est la plus spectaculaire, grâce à la loi de 2012, qui réserve aux femmes 30 % des sièges au Parlement. Dans la foulée de cette discrimination positive, l’Algérie est devenue le premier pays arabe en matière de représentation féminine. 32,3 % des élus de l’Assemblée populaire nationale (APN) sont aujourd’hui des femmes, contre moins de 8 % en 2007.
Ce ratio doit néanmoins être modéré par l’écart qui subsiste entre les deux sexes en matière de responsabilité politique. Les femmes sont toujours aussi peu présentes au sein du gouvernement, et aucune d’entre elles n’a jamais été nommée à la tête d’une institution publique. Enfin, la polémique qu’avaient suscitée les « candidates fantômes » lors des dernières élections législatives, à cause d’avatars qui prenaient la place de leurs visages sur les affiches de campagne, rappelle que la place des Algériennes en politique est encore loin d’être acquise.