
Les Algériens portent un drapeau national géant lors d'une manifestation à Alger, en Algérie, le vendredi 15 mars 2019 (photo d'illustration). © Toufik Doudou/AP/SIPA
Les deux camps qui s’affrontent aujourd’hui, la rue et le pouvoir, ont chacun leurs armes. D’un côté, le nombre et l’espoir ; de l’autre, la puissance et la rouerie. Mais l’avenir est aussi ailleurs. Il existe une foule de cadres compétents, apolitiques, intègres et patriotes capables de jouer un rôle important dans la séquence en cours : les vrais commis de l’État.
Les Algériens ne sont décidément jamais là où on les attend. On les croyait résignés à courber l’échine, à attendre que le temps fasse son œuvre et que la fatalité biologique impose le changement à la tête de leur pays. Et voilà qu’ils se réveillent subitement et se mobilisent en masse pour accélérer le mouvement.
On craignait un déferlement de violence lors des gigantesques manifestations qui se multiplient depuis des semaines. Et voilà que les contestataires montrent un vrai sens civique, une conscience de leurs responsabilités en tous points remarquable. Ils donnent ainsi une leçon au monde entier. Pas une vitre brisée, pas une dégradation, pas un coup. On est loin des « gilets jaunes » français !
Dans les cortèges, on découvre une colère digne et mesurée, une ode à l’espoir et, souvent, un sacré sens de l’humour
Dans les cortèges, on s’attendait à lire et à entendre des slogans haineux et jusqu’au-boutistes, et voilà qu’on découvre tout le contraire : une colère digne et mesurée, une ode à l’espoir et, souvent, un sacré sens de l’humour ! La séquence qui se déroule sous nos yeux est passionnante. Elle révèle la fracture béante qui sépare une population jeune, exigeante et motivée d’un establishment déconnecté des réalités, habitué depuis toujours à imposer plutôt qu’à composer et à recourir à un logiciel largement obsolète.
La solution du compromis
Telle une cocotte-minute, l’Algérie et les Algériens laissent soudainement s’échapper la pression accumulée depuis trop longtemps. Pour la deuxième fois depuis l’émergence de la contestation populaire, le 22 février, Abdelaziz Bouteflika et les siens ont été contraints de multiplier les concessions. Il y a d’abord eu, le 3 mars, la proposition de se faire réélire sans terminer son cinquième mandat, puis d’organiser une conférence « inclusive » et, pour finir, de tenir une nouvelle présidentielle. « Boutef » a été contraint d’y renoncer.
Nouvelle tentative, le 11 mars : report de la présidentielle, départ du Premier ministre, renoncement à une nouvelle candidature, tenue d’une conférence nationale pour réformer le système politique, adoption d’une nouvelle Constitution à l’issue d’un référendum. Réaction de la plupart des protestataires : « Ça ne suffit pas : nous voulions une élection sans Bouteflika, on nous propose Bouteflika sans élection ! »
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Considérée de l’extérieur, la solution de compromis proposée par le pouvoir peut sembler raisonnable. Mais elle se heurte à un écueil difficilement surmontable : la profonde défiance des Algériens, qui ne croient ni en la sincérité du projet ni en celle des hommes chargés de le mettre en œuvre. Marché de dupes pour les uns, tentative de gagner du temps pour les autres…

Un manifestant au-dessus du rassemblement dans le centre d'Alger, vendredi 15 mars 2019. © Toufik Doudou/AP/SIPA
Les Algériens ne supportent plus ce qu’ils nomment la hogra
Les Algériens ne supportent plus ce qu’ils nomment la hogra, terme difficilement traduisible signifiant tout à la fois : mépris, humiliation et injustice. Pour eux, aucune différence entre le plan A – le cinquième mandat – et le plan B qu’on est en train de leur concocter. Dans les deux cas, ils estiment qu’on se moque d’eux et de leurs aspirations.
Renverser la table
Quelle sera la suite des événements ? Que sera l’Algérie sans Bouteflika ? Ici comme ailleurs, tout sera question d’équilibre. Où placer le curseur pour, en même temps, contenter la rue et préserver les intérêts de l’État ? C’est ce qu’explique assez bien le sage – quoique parfois contesté – Lakhdar Brahimi, fort de son expérience de gestion de crises autrement plus graves, de l’Irak à l’Afghanistan, en passant par la Syrie : « Nous sommes tous d’accord sur le fait que l’on refuse le cinquième mandat, mais le changement ne peut se faire en un jour. Nous ne pouvons réaliser un changement radical en excluant tous les administrateurs et les responsables en place. Sinon, ce serait le chaos. »
À l’inverse, nombre de contestataires veulent aujourd’hui renverser la table. Exigent-ils que tous ceux qui, de près ou de loin, ont participé au long règne de « Boutef » soient exclus ? C’est, à l’évidence, excessif. Le pouvoir entend-il gérer à sa manière la transition annoncée, et avec les hommes de son choix ? Cela ne marchera pas.
Ceux qui connaissent l’Algérie savent qu’il existe une foule de gens compétents capables de jouer un rôle important dans la séquence en cours
Solution simple
Entre ces deux extrêmes, il y a pourtant une solution simple et, surtout, porteuse de promesses. Ceux qui connaissent l’Algérie savent qu’il existe une foule de gens compétents capables de jouer un rôle important dans la séquence en cours. Ce sont les représentants, apolitiques, de ce middle management que l’on trouve aussi bien dans les ministères, les entreprises, l’administration, l’armée, la société civile ou la magistrature.
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Ils sont généralement brillants, bien formés, intègres et patriotes ; vivent dans des trois-pièces à Alger ou dans sa banlieue ; se déplacent en petites citadines et envoient leurs enfants dans les écoles ou les hôpitaux publics, là où les membres de la nomenklatura ne mettent jamais les pieds. Faisant passer leurs intérêts personnels après ceux de leur pays, ils n’ont rien à voir avec les lobbies, la corruption, les luttes de clans, les prébendes et les oukases.
Ces commis de l’État – terme galvaudé mais qui retrouve ici tout son sens – sont la vraie richesse de l’Algérie. On se demande même comment ils peuvent être aussi nombreux et faire preuve de tant d’abnégation dans un contexte aussi difficile, et avec d’aussi maigres perspectives d’avenir. La rue, le pouvoir… Les deux camps qui s’affrontent aujourd’hui ont chacun leurs armes. Pour schématiser : le nombre et l’espoir, d’un côté ; la puissance et la rouerie, de l’autre. Mais l’avenir de l’Algérie est ailleurs. Il passe, de manière raisonnée, pragmatique et efficace, par la mobilisation de ces bataillons d’anonymes qui font tourner la machine depuis des lustres. Prions pour qu’ils ne soient pas oubliés !
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