[Tribune] Quand les Algériens s’éveillent

De nombreux Algériens manifestent contre l’idée d’un cinquième mandat du président Abdelaziz Bouteflika. On les croyait aussi muets que lui, ils démontrent le contraire.

Des manifestants contre la candidature du président Abdelaziz Bouteflika à un cinquième mandat, vendredi 1er mars à Alger. © Anis Belghoul/AP/SIPA

Des manifestants contre la candidature du président Abdelaziz Bouteflika à un cinquième mandat, vendredi 1er mars à Alger. © Anis Belghoul/AP/SIPA

Adlene Mohammedi © DR
  • Adlene Mohammedi

    Docteur en géographie politique de l’université Paris-1 Panthéon-Sorbonne et spécialiste de la politique arabe de la Russie.

Publié le 8 mars 2019 Lecture : 3 minutes.

Des manifestants contre la candidature du président Abdelaziz Bouteflika à un cinquième mandat, vendredi 1er mars à Alger. © Anis Belghoul/AP/SIPA
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Démission de Bouteflika : les six semaines qui ont ébranlé l’Algérie

Confronté à une mobilisation populaire d’une ampleur sans précédent, Abdelaziz Bouteflika a annoncé mardi 2 avril sa démission de la présidence de la République. Retour sur ces six semaines qui ont ébranlé l’Algérie et mis un terme à un régime en place depuis vingt ans.

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Spontanément, ils sont nombreux – de toutes les régions et de toutes les classes sociales – à crier leur rejet d’un pouvoir politique qui a cru devoir les humilier une fois de plus, une fois de trop. Le sociologue algérien Lahouari Addi a trouvé la meilleure formule pour décrire ce pouvoir : il est « clandestin ». C’est d’ailleurs peut-être tout ce qu’il a conservé de la lutte pour l’indépendance. Seulement, ce n’est plus de la puissance coloniale qu’il se cache, mais des Algériens eux-mêmes. Il aura tout fait – et la manne pétrolière l’y aura aidé – pour s’autonomiser de ce « peuple » dont il prétend tirer sa légitimité. Jusqu’à l’absurde.

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Dans l’opacité la plus déconcertante, des clans qui ne se sont probablement pas entendus sur le nom du successeur ont voulu imposer une fois de plus un fantôme incapable de chuchoter le moindre discours. Les Algériens ont compris l’ampleur de l’humiliation. Ce sursaut n’était pourtant pas évident car on ne s’est pas contenté de les priver de démocratie, on les a privés de politique. Ces marches et ces slogans parfois rudimentaires reflètent précisément une soif de politique, c’est-à-dire un refus de la passivité. Après une décennie 1990 aussi sanglante (« guerre civile ») que stimulante (multiplication des débats), le règne de Bouteflika – sous toutes ses formes –, que ses thuriféraires associent à la « paix », aura été celui de la consommation, de la corruption et du ramollissement politique et intellectuel.

Une opposition qui gagne toutes les couches

Il est possible d’affirmer que la population algérienne s’est tout simplement substituée à une opposition en grande partie impotente et souvent complice, à l’exception de quelques rares personnalités. L’organisation artisanale, malgré le recours à Internet, de ces différentes manifestations sans nom propre montre bien l’état déplorable des corps intermédiaires. Comme si le pouvoir algérien s’était octroyé un monopole des structures solides. L’exemple le plus tristement révélateur est celui de l’Union générale des travailleurs algériens (UGTA), syndicat créé en pleine guerre d’Algérie en 1956. Son actuel secrétaire général, dont le zèle confine à la servilité, préfère largement le sort du président, et incidemment son propre sort, à celui des travailleurs.

L’islam politique, que certains imaginent comme la principale force de contestation dans le monde arabe, montre toute son inanité dans le cas algérien

Cette opposition spontanée se révèle de jour en jour, y compris chez les élites. Certes, la jeunesse – qui représente la majorité de la population – semble jouer un rôle moteur. Mais tous les jours, des avocats, des médecins, des chefs d’entreprise, des journalistes, des artistes, des chômeurs, des retraités vont goûter à cette euphorie collective si belle à voir. L’islam politique, que certains imaginent comme la principale force de contestation dans le monde arabe, montre aujourd’hui toute son inanité dans le cas algérien. Ses partisans s’accommodent de la bigoterie qui s’est étendue depuis une vingtaine d’années et que le pouvoir a largement encouragée, y voyant un anesthésiant parmi d’autres. Ils se satisfont volontiers de l’imposante grande mosquée d’Alger à laquelle le président tenait tellement.

Besoin désespéré de république

Face à ces événements, les mécanismes de défense étaient hélas prévisibles, et la panoplie est lourde. Après l’invisibilisation du mouvement par les télévisions publiques et privées, militaires, politiques et affidés se succèdent pour ânonner l’inaudible. Quand ce n’est pas la pseudo-­légitimité historique d’Abdelaziz Bouteflika (de la guerre d’indépendance à la « réconciliation nationale » après la « décennie noire ») qui est invoquée, c’est le besoin de stabilité, le complot ou le risque de guerre civile (avec les exemples syrien et libyen). En réalité, la classe dirigeante algérienne s’est mise dans une impasse.

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>>> À LIRE – Algérie : Abdelaziz Bouteflika salue le caractère pacifique des marches et la « maturité des jeunes »

Non seulement les Algériens n’ont eu besoin de personne pour relever l’énormité de la couleuvre que l’on s’apprêtait à leur faire avaler, mais aucun allié de l’État algérien ne pourra, sans se ridiculiser, cautionner la candidature d’un homme incapable d’échanger la moindre parole avec le moindre homologue. Après l’enfer façonné par les dirigeants algériens dont cette énième candidature est l’ultime expression, le pays a désespérément besoin d’une nouvelle république, d’une république tout simplement.

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