Sous un vaste chapiteau planté sur la place centrale de Dakhla, au sud du Sud marocain, en ce début de soirée étouffante du 23 février, Aziz Akhannouch mouille sa chemise – littéralement. Après avoir fait entonner sans fausse note l’hymne national par les quatre mille participants, en majorité sahraouis, le ministre de l’Agriculture et de la Pêche depuis onze ans revêt sa casquette – nettement plus récente – de chef de parti avant de se lancer dans un discours entrecoupé de slogans et de youyous. Thèmes : le développement de la province la plus méridionale du pays, le programme du Rassemblement national des indépendants (RNI) et avant tout le roi Mohammed VI, à qui, dit-il, revient – plutôt qu’au gouvernement – le mérite principal de tout ce qui progresse sous le ciel du Maroc.
À 58 ans, ce fils d’entrepreneur berbère, élevé loin des manières gourmées de la haute bourgeoisie chérifienne et qui a fait prospérer le groupe familial au point d’être aujourd’hui à la tête de la première fortune marocaine (2,2 milliards de dollars, selon Forbes), éprouve un évident plaisir à l’exercice. Transformer le RNI, parti quadragénaire dont l’ADN est celui d’une formation de notables proches de l’administration et qui a pesé moins de 10 % des voix aux dernières législatives de 2016, en un parti de masse rajeuni et dynamisé capable de rivaliser dans deux ans avec les islamistes du Parti de la justice et du développement (PJD) est un défi de plus pour ce proche du souverain.
Y parviendra-t-il, lui qui sillonne le Maroc chaque week-end à bord de son jet privé, de meetings enfiévrés en réunions de bureau politique décentralisées ? Si sa réussite en tant que businessman est indéniable et son bilan en tant que ministre (quasi) unanimement salué, il reste à cet homme affable, modeste et consensuel à faire ses preuves sur la piste des grands fauves. Apprendre à être craint, résister à l’usure et devenir un « tueur », sans pour autant renoncer à ce qui fait sa singularité politique, lui l’enfant de Tafraout : il croit en ce qu’il dit.
Jeune Afrique : Le 16 janvier dernier, le Parlement de Strasbourg a ratifié les accords entre l’Union européenne et le Maroc concernant l’agriculture et la pêche, lesquels incluent les provinces du Sud marocain contestées par le Front Polisario. Pour vous, c’est une victoire. Quelle part y avez-vous prise ?
Aziz Akhannouch : C’est effectivement une grande bataille que le Maroc a menée et a remportée. Les équipes du ministère de l’Agriculture et de la Pêche ont travaillé main dans la main avec celles des départements des Affaires étrangères et de l’Intérieur pour apporter une réponse aux requêtes des instances européennes qui voulaient s’assurer du consentement de la population locale. Nous avons mené des consultations impliquant les chambres d’agriculture et de pêche, ainsi que les conseils régionaux pour que tout le monde puisse donner son avis sur ces accords avec l’Union européenne. Les élus sahraouis sont partis eux-mêmes convaincre les parlementaires européens, chez qui nous ressentons désormais une meilleure compréhension de la problématique de nos provinces du Sud.
Le Polisario cherche à jouer de son pseudo-pouvoir de nuisance pour entraver le développement des provinces du Sud
Le Polisario annonce vouloir saisir à nouveau la Cour européenne de justice. Est-ce reparti pour un nouveau round ?
Le Polisario cherche à jouer de son pseudo-pouvoir de nuisance pour entraver le développement socio-économique en faveur de la population locale. Mais le Maroc trace son chemin. Nos investissements sont là, visibles pour nos partenaires européens ou autres. Avec la Russie, par exemple, l’accord de pêche qui s’étend aussi jusqu’à La Gouéra arrive à terme en 2020, et les préparatifs pour son renouvellement sont en bonne voie. J’ai eu à en discuter avec mon homologue russe, qui nous a récemment rendu visite au Salon Halieutis, à Agadir, tout comme avec seize autres ministres étrangers.
Quelles ont été vos réalisations à la tête de ce département que vous pilotez depuis près de douze ans maintenant ?
Le secteur de la pêche a changé de visage. La mise en œuvre du plan Halieutis a permis de protéger nos ressources tout en les valorisant. Convaincre les opérateurs de respecter les périodes de repos biologique pour assurer une pêche durable et les amener à opter pour les conteneurs normalisés et pour les halles aux poissons a été un travail de longue haleine. Aujourd’hui, les résultats sont perceptibles. Le prix d’une petite barque de pêche, qui était de 50 000 à 60 000 dirhams, a été multiplié par dix. C’est dire la valeur captive de ce secteur, mais il faut rester vigilant, surtout par rapport à la protection de la ressource.
Le Plan Maroc vert visait, entre autres, à doubler le PIB agricole entre 2008 et 2020. Cet objectif sera-t-il atteint ?
Nous n’en sommes pas loin. Le PIB agricole a grimpé de 67 % au cours de la dernière décennie, pour atteindre 125 milliards de dirhams. Il a progressé en moyenne annuelle de 5,25 %, quand l’économie nationale a connu une croissance moyenne de 3,2 %. Le secteur contribue au PIB du pays à hauteur de 15 %, et sa modernisation n’a pas empêché la création de 250 000 emplois.
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La sécurité alimentaire du Maroc a également été améliorée : nous sommes aujourd’hui autosuffisants en fruits, en légumes, en lait, en viande, et nous couvrons à peu près 50 % de nos besoins en céréales et en sucre. Deux autres indicateurs pour illustrer l’essor qu’a connu ce secteur : nos exportations agricoles sont passées de 15 à 33 milliards de dirhams, et les investissements captés se chiffrent à 104 milliards de dirhams, dont 60 % proviennent du secteur privé.
Reste que l’ambition de voir émerger une classe moyenne agricole est encore un vœu pieux…
Cette problématique de la création d’une classe moyenne dans le monde rural est au cœur de la stratégie qui sera soumise à Sa Majesté. Actuellement, nous en sommes à la définition de ses contours : des spécialistes et des chercheurs se penchent sur la fixation d’un seuil de revenu pour la classe moyenne agricole mais aussi sur l’offre des services publics en matière d’éducation, de santé et de culture nécessaires pour une intégration et une attractivité du monde rural. Cela dit, une certaine amélioration des revenus des petits agriculteurs est déjà perceptible. Par exemple, ceux qui ont bénéficié, dans le cadre du Plan Maroc vert, des projets de reconversion de culture de céréales en plantation d’arbres fruitiers ont vu leur chiffre d’affaires multiplié par huit.

Aziz Akhannouch (Maroc), homme d'affaires (Akwa Group, Afriqia Gaz, Maghreb Oxygen), ministre de l'Agriculture (depuis 2007) et president du Rassemblement National des Independants (RNI) depuis 2016. A Dakhla le 24.02.2019. Photo Vincent Fournier/JA © Vincent Fournier/JA
Face à la crise du Rif, il y a eu incontestablement un retard de réaction de la part du dernier gouvernement
Le climat social reste tendu au Maroc, avec la multiplication de conflits sectoriels. Ce malaise vous paraît-il profond ?
« Profond » est exagéré. Il y a des mécontentements sociaux, des demandes légitimes de la population, comme le Maroc en a connu ces vingt dernières années, alors que s’édifiait un État de droit. Il s’agit de problèmes liés au cumul de retards de certains projets destinés à résorber le déficit social. Certes, il va falloir fournir plus d’efforts, accélérer la croissance économique pour résorber le chômage, amplifier les réformes afin d’améliorer l’attractivité pour les investisseurs… Hélas, nous avons parfois l’impression de perdre du temps avec de la politique politicienne. Certains partis mettent leur grain de sel dans ce malaise, oubliant leur rôle de médiation dans la prise en charge de cette pression sociale.
Un phénomène comme le Hirak du Rif pouvait être évité ?
Les causes de la crise du Rif sont multiples, mais c’est essentiellement un problème d’agenda. Il y a eu incontestablement un retard de réaction de la part du dernier gouvernement. Ces événements ont coïncidé avec une période de flottement postélectorale qui n’a pas facilité les choses, tant il est vrai que le populisme ne doit pas prendre le dessus sur la réalité. Les partis politiques auraient pu mieux encadrer la population pour éviter d’en arriver là. Il est indéniable que le Maroc a réalisé des avancées, tout comme il est évident qu’il reste encore des déficits à combler, en matière d’éducation, de santé et d’emploi…
Votre parti, le Rassemblement national des indépendants, serait-il en mesure de prendre en charge ces départements sensibles ?
Pourquoi pas ? Si nous avons les hommes et les femmes qu’il faut, nous le ferons. Cela dit, il ne faut pas considérer ces secteurs clés sous un angle partisan. Par exemple, aujourd’hui, nous sommes satisfaits du travail du ministre de l’Éducation, Saaïd Amzazi, même s’il n’est pas de notre parti [Saaïd Amzazi est membre du Mouvement populaire]. Nous soutenons ses actions de réformes, il est en train de remettre de l’ordre et, depuis l’été dernier, nous sentons qu’il y a une approche différente dans la conduite de la réforme cruciale de l’éducation.
Depuis plusieurs mois, vos divergences avec le PJD sont portées sur la place publique. Quid du principe de solidarité gouvernementale ?
Ces divergences sont normales, puisque nous n’avons pas la même idéologie. Mais nous avons en commun un programme que nous essayons d’appliquer. La solidarité gouvernementale est là, et nos ministres sont au gouvernement pour accompagner et consolider le travail du chef du gouvernement.

Réunion du bureau politique du RNI au domicile de l’homme d’affaires Mohamed Lamine Hormatallah,le 23 février, à Dakhla. © Vincent Fournier/JA
Quand nous ne sommes pas d’accord, il est de notre devoir d’exprimer ce que nous pensons
Pourtant ce dernier, Saadeddine El Othmani, a récemment déclaré qu’il y a « un parti qui s’attribue tout ce qu’il y a de positif » dans l’action gouvernementale « et rejette sur les autres ses échecs, même si ce sont ses membres qui en sont les acteurs ». Ces propos visent clairement votre parti…
Le RNI appartient à la coalition gouvernementale. Mais le RNI a aussi ses militants et ses positions. Au sein du gouvernement, il y a des débats, des discussions, mais il y a parfois des thématiques sectorielles traitées entre le ministre concerné et le chef du gouvernement. Parfois, notre parti découvre, à sa grande surprise, les conséquences négatives de certaines mesures sur le terrain. Quand nous ne sommes pas d’accord, il est de notre devoir d’exprimer, dans une démarche constructive, ce que nous pensons et d’appeler à des actions correctives si le gouvernement se trompe.
Reste que le chef du gouvernement s’exprimait dans le cadre de la grogne des commerçants, dont l’origine est une disposition fiscale qui relève du ministère des Finances tenu par le RNI, tout comme le département du Commerce d’ailleurs…
La disposition fiscale à l’origine du mécontentement des commerçants est inscrite dans la loi de finances. Son projet est élaboré après consultation des opérateurs et soumis, par la suite, au débat en Conseil avant d’être signé par le chef du gouvernement et transmis au Parlement. Pour le dernier projet de budget par exemple, le gouvernement a tenu pas moins de quatre séminaires. La responsabilité est donc collective. Le RNI en a pris acte et a assumé sa part de responsabilité dans ce dossier des commerçants, alors que d’autres se dérobent. En tant que parti, on peut critiquer toute action, y compris celle de nos propres ministres.
Vous voulez dire qu’Aziz Akhannouch le chef de parti peut critiquer Aziz Akhannouch le ministre. N’est-ce pas un peu schizophrène ?
Le RNI a exprimé son désaccord par rapport à une décision qui implique plusieurs responsables. Nous ne faisons pas comme le PJD, qui a passé le dernier mandat à critiquer le week-end un gouvernement qu’il dirigeait en semaine. Le RNI aujourd’hui ne fait qu’exprimer, quand il le faut, son désaccord par rapport à des décisions qui nécessitent une révision. Cela n’enlève rien à la solidarité gouvernementale.
Si nous comprenons bien, le PJD et le RNI se critiquent le week-end et s’embrassent le jeudi en Conseil de gouvernement ?
« Je t’aime, moi non plus » est un grand classique entre partis politiques concurrents. Mais nous savons travailler avec le PJD et ils savent travailler avec nous. Il y a un respect mutuel entre nos ministres respectifs, et tout se passe bien en Conseil de gouvernement. On va de l’avant car au final, le plus important, c’est le pays et les projets que nous menons pour les Marocains.
Difficile de vous croire tout à fait alors que vos snipers respectifs décochent des formules assassines. Rachid Talbi Alami, ministre RNI, parle par exemple d’« agenda caché du PJD » ou de « mainmise sur l’administration »…
Au PJD, les snipers, comme vous les appelez, ont été intégrés au bureau politique et expressément envoyés dans les régions pour nous insulter. Depuis l’avènement du gouvernement, le RNI n’a jamais été à l’origine de la première salve. Il ne fait que réagir aux attaques et aux tentatives de déstabilisation. Nos détracteurs pensent pouvoir ainsi arrêter notre marche. Mais nous poursuivons notre chemin de la manière la plus consensuelle possible. Croyez-moi, nous pourrions être beaucoup plus virulents.
Cette étrange cohabitation avec le PJD peut-elle tenir jusqu’en 2021 ?
Cela dépend d’abord de la volonté de Sa Majesté, qui est le chef de l’État. Et cela dépend de la bonne volonté de tous pour assurer la bonne marche du gouvernement. Je pense qu’il n’y a pas de raison que les choses changent. Nous sommes là pour consolider et accompagner le travail du chef du gouvernement, et nos ministres travailleront en ce sens jusqu’à la fin de leur mandat ou jusqu’à ce que Sa Majesté décide la fin de leur fonction. Contrairement à ce que l’on dit, j’ai des relations amicales avec Saadeddine El Othmani. C’est un ami avant tout. Et le RNI fera en sorte de l’épauler dans la réussite de sa mission et à mener son mandat jusqu’au bout.

Pendant le meeting du RNI, le 23 février. © Vincent Fournier/JA
Quand on est d’accord avec le PJD, tout va bien, sinon tous les moyens sont bons pour nous déstabiliser
L’ancien Premier ministre PJD Abdelilah Benkirane ne vous ménage pas. Que pensez-vous de son influence au sein du PJD ?
Personnellement, je respecte tous les Premiers ministres avec lesquels j’ai travaillé. Par respect donc pour Abdelilah Benkirane, il n’aura pas de réponse de ma part, même si ses attaques à mon encontre ne sont fondées que sur des contre-vérités. En rentrant le soir chez moi, après mes longues journées, je ne m’intéresse pas aux médisances des uns et autres, je fais plutôt le bilan de ce que j’ai produit, de ce que j’ai pu résoudre comme problèmes. Cela dit, cette bipolarité au sein du PJD pose problème au sein de l’opinion publique. Nous autres, partis politiques, savons que c’est bien El Othmani qui gère le PJD et qu’il en est l’homme fort. C’est avec lui que nous avons fait le choix de collaborer au gouvernement. Mais l’opinion publique se pose souvent des questions sur la dualité du leadership au sein de ce parti.
Quel est votre principal reproche à l’encontre du PJD ? D’utiliser la religion à des fins politiques ou de faire du populisme ?
Je n’ai pas de complexes par rapport à la religion. Nous sommes tous des musulmans, tous égaux devant la religion et la loi. Ils peuvent chercher à l’instrumentaliser autant qu’ils veulent, il n’y a plus de points à gagner avec cette thématique. Si je dois reprocher quelque chose au PJD, c’est son obstination à vouloir imposer ses choix. Quand on est d’accord avec lui, tout va bien. Mais dès que nous exprimons notre désaccord, tous les moyens sont bons pour nous déstabiliser. Nous n’avons pas à subir cela sous prétexte que c’est ce parti qui dirige le gouvernement. Nous continuerons à donner notre avis librement.
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Comment expliquez-vous la progression du PJD d’une élection à l’autre ?
Aux dernières législatives de 2016, deux formations politiques, le PJD et le Parti Authenticité et Modernité (PAM) ont réalisé de bonnes performances, au détriment des autres partis, qui sont restés léthargiques tout au long du mandat. Aujourd’hui, nous essayons d’être présents sur le terrain, de l’occuper pour rester à l’écoute des citoyens et pour clarifier nos positions sur les sujets qui s’imposent. Nous pouvons même parfois être tranchants pour que notre ligne soit comprise par la population. Même si cela ne plaît pas toujours.
Avez-vous vu la main du PJD derrière la campagne de boycott de 2018, qui a visé entre autres l’une des sociétés de votre groupe familial ?
Je l’ignore, mais ce qui est évident, c’est qu’un malaise social a été exploité à fond à coups de manœuvres politiciennes. Si cette campagne ne visait que ma personne, cela aurait été un moindre mal. J’ai appris à encaisser. Mais le phénomène a touché l’économie marocaine dans son ensemble. Il y a eu un flottement, un doute chez les investisseurs marocains et étrangers. Heureusement, notre tissu productif a su faire preuve de résilience, et nous sommes sortis plus forts de l’épreuve. Les tendances de ces derniers mois sont nettes : la confiance, donc l’investissement, est de retour.
Le PJD a mis plus de vingt ans pour construire sa base électorale. Combien de temps faudra-t-il au RNI ?
Le RNI a quarante ans d’existence. Certes, le parti a obtenu des résultats décevants aux dernières élections, mais nous croyons en la politique en tant que projet visant à améliorer le quotidien des Marocains. C’est un positionnement de valeurs que nous avons défini dans notre réflexion stratégique, « La voie de la confiance ». Si le RNI est attaqué aujourd’hui, c’est pour son leadership retrouvé, sa capacité à obtenir des résultats et à apporter les changements.
Votre objectif est-il de remporter les législatives de 2021 ?
Bien évidemment. Chaque parti qui se respecte a pour ambition de remporter les élections. Mais ce n’est pas notre seul objectif. Nous voulons avant tout contribuer à améliorer significativement le quotidien des Marocains.
Le RNI a fait savoir qu’il irait seul aux élections, en dehors de toute alliance. Pourquoi ?
Il est plus sain que les alliances se constituent après les élections plutôt qu’avant. Sur ce point, nous restons ouverts à tous les partis. Nous n’avons de problèmes ni avec l’Istiqlal, ni avec le PAM, ni avec l’USFP, ni même avec le PJD. Tout dépendra des résultats.
Dans votre conquête de la majorité en 2021, visez-vous à attirer l’électorat du PAM, deuxième force politique du pays ?
Nous avons d’excellentes relations avec le PAM, bien que nous ayons connu quelques turbulences à un moment donné. Nos futurs électeurs, nous irons les chercher là où ils sont, c’est-à-dire partout, y compris chez ceux du PJD qui apprécient et respectent notre travail. Mais le véritable réservoir, ce sont les abstentionnistes. Sur les 21 millions de Marocains en âge de voter, seuls 7 millions vont aux urnes. Ce sont ces 14 millions de voix potentielles qu’il faut convaincre.
Comment comptez-vous vous y prendre ?
Nous y travaillons. J’en suis à ma troisième tournée à travers les régions du royaume. Lors de la première réunion que j’ai tenue à Dakhla, en tant que chef de parti, il y a deux ans, il n’y avait pas plus de 100 participants. Hier, dans la même ville, nous avons rassemblé près de 5 000 personnes en meeting. Valeur aujourd’hui, le RNI compte 120 000 membres, avec leurs cartes électroniques dûment enregistrées dans une base de données qualifiée. Notre objectif est d’atteindre à court terme les 200 000 adhérents, ce qui est une base conséquente pour l’avenir. Au cours de nos tournées régionales, nous percevons bien l’espoir et la volonté des Marocains d’avoir des dirigeants compétents, capables de conduire le changement. Ils sont préoccupés de leur avenir et cherchent des solutions là où il y a les bonnes capacités managériales, c’est-à-dire au RNI.

En conférence de presse avec le Premier ministre, Saadeddine El Othmani (à sa droite), au siège du PJD, à Rabat, le 21 mars 2017. © Anadolu Agency
Mon retour au parti, en 2016, a été la conséquence des résultats des législatives
Serez-vous candidat ?
Peut-être. Aucune décision n’a jusque-là été prise au sujet des candidatures.
Votre arrivée à la tête du RNI, en octobre 2016, a surpris. Qui vous a demandé d’y aller ? Le roi lui-même ?
Soyons clairs. La seule fois où Sa Majesté m’a demandé formellement d’occuper un poste politique, c’était en 2011, afin que je reste à la tête du ministère de l’Agriculture et de la Pêche. Abdelilah Benkirane, qui était alors Premier ministre, aime à répéter que c’était aussi son propre souhait. Mais il oublie de préciser que j’ai accepté uniquement parce qu’il y avait cette volonté de Sa Majesté, que j’éprouve du plaisir à travailler avec elle et que nous étions en plein amorçage de deux programmes importants, le Maroc vert et Halieutis.
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J’ai été obligé à l’époque de suspendre mon adhésion au RNI, qui ne faisait pas partie de la coalition gouvernementale. Mon retour au parti, en 2016, a été la conséquence des résultats des législatives et de la décision courageuse de Salaheddine Mezouar, qui en était le président, d’assumer le score des élections et de démissionner. Une délégation des dirigeants du parti est alors venue me solliciter pour conduire le changement. J’en ai accepté la charge.
Une analyse commune veut pourtant que le Palais tente de faire avec le RNI ce qu’il n’a pas réussi à faire avec le PAM. C’est-à-dire contrer l’ascension du PJD. Êtes-vous d’accord ?
Non ! Il ne faut pas se raconter d’histoires, la plupart des partis politiques rêvent d’une proximité avec le Palais royal, car il n’y a pas de meilleur appui. D’ailleurs, celui qui utilise le plus Sa Majesté dans ses discours, c’est bien le PJD. Moi comme le RNI aimerions bien avoir une place particulière dans le sérail. Mais nous ne sommes pas les seuls. Tous les partis ont une place auprès de Sa Majesté. C’est d’ailleurs pour cela qu’il se montre critique envers les partis quand ils ne travaillent pas et qu’il les encourage quand il ressent une dynamique positive de leur part.
Cela dit, chacun sait – ou croit savoir – que vous êtes l’un des ministres les plus proches du roi. Comment sont vos relations avec lui ?
L’opinion publique peut qualifier comme elle veut cette relation. Personnellement, je m’honore de travailler à la réalisation des ambitions de Sa Majesté pour le pays en matière de développement économique et social. Et mes rapports avec lui sont fluides.
Et avec son conseiller Fouad Ali El Himma ?
Nous avons de très bonnes relations dans le cadre de nos missions respectives. Si nous avons des problèmes qui se posent à un certain niveau et qu’il faut avoir un éclairage de Sa Majesté, nous nous adressons à son conseiller pour obtenir un retour.
Vous êtes ministre et chef de parti, mais aussi l’une des plus grandes fortunes du royaume. La collusion entre argent et pouvoir politique est un des thèmes favoris de vos détracteurs. Que leur répondez-vous ?
Ceux qui portent ce message et parlent de collusion savent que j’étais un homme d’affaires quand ils m’ont courtisé pour que je rejoigne le gouvernement en 2007. Ils se disaient fiers de m’avoir dans l’équipe gouvernementale. Je ne vois pas ce qui a changé depuis. Dès mon premier mandat de ministre, j’ai démissionné de mes postes d’administrateur de toutes les entreprises à caractère commercial. Je me souviens qu’Abbas El Fassi, alors Premier ministre, m’avait téléphoné pour me féliciter d’une décision en conformité avec une législation qui n’allait voir le jour que neuf ans plus tard.
Je suis fier de mon parcours d’entrepreneur, fier d’avoir réussi à préserver, moderniser et développer des affaires familiales qui ont soixante ans d’existence. J’ai dirigé un groupe de 10 000 salariés qui a investi et créé de la richesse. C’est ma réussite en tant qu’entrepreneur qui avait séduit à l’époque. Dans mon département ministériel, j’ai veillé à développer les réflexes et les capacités managériales du secteur privé. Et puis n’oublions pas que j’ai aussi une carrière politique. J’ai été conseiller communal d’un petit village, membre d’un conseil provincial, député, président de région en tant qu’indépendant – et non pas en tant que membre du Mouvement populaire, comme on le dit parfois – pendant six ans.
Figurer dans le top 3 des hommes les plus riches du royaume et dans le top 15 des fortunes africaines n’a-t-il pas eu d’impact sur votre engagement politique ?
Il faut interpréter ce classement de Forbes auquel vous faites allusion. Les milliards que l’on m’attribue ne sont pas des liquidités, mais des actifs d’un groupe familial qui s’est constitué il y a soixante ans et qui a connu un développement naturel. Il comprend un ensemble d’entreprises, dont certaines cotées en Bourse, avec leurs investissements, leurs cash-flows et même leur endettement. Depuis mon entrée au gouvernement, je ne suis plus ni administrateur ni manager de ces sociétés, qui ne me versent plus aucun revenu.

Aziz Akhannouch, président du Rassemblement National des Independants (RNI) depuis 2016, à Dakhla, le 24 février 2019 © Vincent Fournier/JA
Votre épouse est également entrepreneuse. Ses affaires ont-elles profité de votre situation au sein du gouvernement ?
Je ne vois pas comment ! La décision d’investir et les dispositions pour le lancement de la construction du Morocco Mall, par exemple, ont été prises avant même que je ne devienne ministre.
Est-il vrai, comme cela a été répété, que la croissance de votre groupe familial dans les années 1990 a été favorisée par votre proximité avec Driss Basri, l’ancien tout-puissant ministre de l’Intérieur de Hassan II ?
C’est complètement faux. Mon père était un ancien du Mouvement national ; il dirigeait un parti politique et entretenait des relations avec tous les autres chefs de parti. Nos affaires se sont développées sans aucun lien avec le pouvoir politique de l’époque.
Est-il exact que vous ne touchez aucun salaire de l’État en tant que ministre ?
C’est exact. Je n’ai jamais été rémunéré en tant que ministre.
Et vos déplacements ?
Je prends souvent à ma charge mes propres voyages, ainsi que ceux de mes collaborateurs. Tant que je le peux, j’évite de laisser les difficultés et les lourdeurs administratives entraver la célérité et l’efficacité de mes équipes. Je ne coûte pas grand-chose au budget de l’État. Par contre, notre groupe familial, lui, est un contributeur majeur aux recettes fiscales.
Le RNI a l’image d’un parti d’hommes d’affaires et de notables. Comment changer cet ADN ?
Il est vrai que l’histoire de notre parti a favorisé le recrutement d’hommes d’affaires qui se sont retrouvés dans les idées de cette formation. Mais nous sommes en train de nous ouvrir à toutes les couches de la population, car c’est le véritable rôle d’un parti. Le RNI opère un virage stratégique à travers sa réorganisation. Nous disposons aujourd’hui d’une organisation de femmes, mais aussi d’une organisation de jeunesse qui compte quelque 30 000 adhérents. Il s’agit pour la plupart d’étudiants, qui sont loin d’être riches. En règle générale, les Marocains aiment les gens qui réussissent, contrairement à ce qu’insinuent les politiciens qui font dans le populisme. Plutôt que de stigmatiser les hommes d’affaires qui s’engagent en politique, mieux vaut se méfier de ceux qui entrent en politique pour en ressortir hommes d’affaires. Vous ne pensez pas ?
Amazigh
« Je suis fier d’être amazigh. Fier d’appartenir à cette communauté laborieuse qui a donné tant d’entrepreneurs et de commerçants au Maroc. Pourtant, là où vivent les Amazighs, ce sont souvent les territoires les plus difficiles. Là d’où je viens, à Tafraout, province de Tiznit, région du Souss Massa, il y a des rochers, un très beau paysage, mais les sources de revenus sont rares. C’est la capacité de travail des habitants qui leur permet de s’en sortir. La Constitution de 2011 voulue par Sa Majesté apporte de vraies réponses à ce qu’on appelle la cause amazigh. Malheureusement, les décrets d’application ont pris beaucoup de retard. Il faut s’y atteler. »
« Workaholic »
« Je suis ministre et chef de parti, donc je zappe constamment d’une casquette à l’autre, sept jours sur sept, en prenant bien soin de ne pas les superposer. Ce n’est pas facile, cela représente beaucoup de pression, et le sport m’aide à tenir. J’exige beaucoup de mes équipes, c’est vrai. Mais je sais aussi déléguer et faire confiance. Surtout, j’ai la capacité de choisir les bonnes personnes. Sur ce plan, je me trompe rarement. »