« Une décision fort regrettable et choquante. » C’est en ces termes que les autorités kényanes ont réagi, le 16 février, à l’annonce par la Somalie d’une possible mise aux enchères de plusieurs gisements pétrolifères et gaziers. La raison de la colère de Nairobi ? Certains « blocs » que le président somalien, Mohamed Abdullahi Mohamed, souhaiterait attribuer seraient situés dans une zone maritime que se disputent les deux pays.
Ces milliers de km² perdus dans l’océan Indien, à 180 km au large de la frontière entre le Kenya et la Somalie, font l’objet d’une intense bataille devant la Cour internationale de justice (CIJ) depuis 2014 et d’une plainte déposée par Mogadiscio devant la juridiction onusienne afin de régler le différend. Pour les autorités somaliennes, la frontière maritime devrait être le prolongement de la frontière terrestre et s’étirer vers le sud-est. Le Kenya, de son côté, revendique une délimitation en ligne droite parallèle à la latitude.

Le président kényan, Uhuru Kenyatta, au centre, assiste à une cérémonie marquant la journée nationale de la Républiquede (Jamhuri), au stade Kasarani, dans la banlieue de Nairobi, au Kenya, le 12 décembre 2017. © Brian Inganga/AP/SIPA
Le chef de l’État kényan, Uhuru Kenyatta, avait tenté de contester la compétence de la CIJ, mais avait été débouté en février 2017. L’affrontement juridique a depuis viré à la brouille diplomatique entre les présidents kényan et somalien (Mohamed Abdullahi Mohamed a été élu au cours de ce même mois de février 2017), dont les deux pays entretiennent des relations instables depuis plusieurs années.
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Annonces coups de poing et rumeurs
Dans un virulent communiqué, le ministère kényan des Affaires étrangères a donc parlé d’un « affront et d’une agression qui ne resteront pas sans réponse ».
Cette réaction brutale est un moyen pour le Kenya de forcer le gouvernement somalien à ouvrir des négociations sur le différend maritime hors CIJ
Nairobi a, de son côté, annoncé le rappel de son ambassadeur à Mogadiscio et expulsé le représentant diplomatique somalien. « Cette réaction brutale est un moyen pour le Kenya de forcer le gouvernement somalien à ouvrir des négociations sur le différend maritime hors CIJ », analyse un diplomate est-africain. Nairobi, qui a déjà accordé trois permis d’exploitation à la compagnie italienne ENI sur la zone, a toujours affirmé s’être entendu, en 2009, avec Mogadiscio pour résoudre le problème par des discussions bilatérales, et non par un arbitrage judiciaire.

Mohamed Abdullahi Mohamed, le président de la somalie. © Wikimedia/CC
Les équipes de Mohamed Abdullahi Mohamed paraissent néanmoins avoir choisi de calmer le jeu en affirmant que la Somalie « n’offre pas et n’a pas pour projet d’offrir des parcelles d’une zone disputée tant que la frontière n’a pas été fixée par la CIJ ».
Le prix d’une crise diplomatique avec le Kenya serait trop lourd à payer pour Mohamed Abdullahi Mohamed
Une opération déminage en cours ?
Le président somalien a reçu son ambassadeur à Nairobi dès son arrivée à Mogadiscio. Une opération déminage serait-elle en cours ? « Le prix d’une crise diplomatique avec le Kenya serait trop lourd à payer pour Mohamed Abdullahi Mohamed. Il fait déjà face à une opposition du Parlement et des États fédéraux sur le dossier pétrole. C’est pour cela qu’il se montre prudent, explique Rashid Abdi, directeur du programme Corne de l’Afrique à l’International Crisis Group. Kenyatta, lui, sait qu’il n’est pas en position de force face à la CIJ et use de tous les leviers à sa portée, notamment sécuritaires, pour faire pression. »
Le Kenya a d’ailleurs payé un lourd tribut dans la lutte antiterroriste en Somalie. Avec ses 3 700 soldats, le contingent kényan est l’un des principaux piliers de l’African Union Mission in Somalia. Depuis son arrivée au pouvoir en 2013, Uhuru Kenyatta a dû faire face à plusieurs attentats des islamistes Shebab, groupe lié à Al-Qaïda, dont la récente attaque de l’hôtel Dusit, dans la capitale kényane, qui a fait vingt et un morts. « D’une certaine manière Kenyatta pense que la Somalie a une dette envers son pays, estime un diplomate de l’East African Community que la Somalie essaye d’intégrer. C’est pour cela qu’il choisit de montrer les muscles. »