Algérie : pour le général-major Ali Ghediri, candidat à la présidentielle, « l’heure est venue pour nos aînés de passer la main »

Candidat à la présidentielle, l’ancien directeur des ressources humaines au ministère de la Défense ne mâche pas ses mots. Interview.

Le candidat à la présidentielle du 18 avril Ali Ghediri, le 5 février 2019 à Alger. © LOUIZA AMMI POUR JA

Le candidat à la présidentielle du 18 avril Ali Ghediri, le 5 février 2019 à Alger. © LOUIZA AMMI POUR JA

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Publié le 12 février 2019 Lecture : 8 minutes.

Des manifestants contre la candidature du président Abdelaziz Bouteflika à un cinquième mandat, vendredi 1er mars à Alger. © Anis Belghoul/AP/SIPA
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Démission de Bouteflika : les six semaines qui ont ébranlé l’Algérie

Confronté à une mobilisation populaire d’une ampleur sans précédent, Abdelaziz Bouteflika a annoncé mardi 2 avril sa démission de la présidence de la République. Retour sur ces six semaines qui ont ébranlé l’Algérie et mis un terme à un régime en place depuis vingt ans.

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Ali Ghediri, 64 ans, général-­major à la retraite, qui a annoncé sa candidature à la présidentielle d’avril le 19 janvier, nous reçoit dans son QG de campagne, une villa sur les hauteurs d’Alger. Réunions avec son staff, plan média mené au pas de charge… Son agenda est surchargé. Inconnu du grand public fin 2018, l’ancien directeur des ressources humaines au ministère de la Défense s’est rapidement fait une place dans le débat public. Ses amis le décrivent comme un patriote intègre et sincère, mais aussi une « tête brûlée » qui dit ce qu’il pense, quitte à déplaire.

Si sa détermination à aller au bout ne fait aucun doute, on a le sentiment que la machine mise en route n’est pas tout à fait au point. Son équipe est en rodage, son programme n’est pas finalisé, et sa stratégie n’est pas clairement définie : le candidat n’a pas encore toutes les réponses aux questions que suscite sa candidature.

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Jeune Afrique : Qu’est-ce qui vous a décidé à présenter votre candidature à la présidentielle d’avril ?

Ali Ghediri : Pendant quarante-deux ans, je ne pouvais être un homme public en raison de mes fonctions au sein de l’armée et de la nature même de l’institution. Dès lors que j’ai été admis à la retraite, à ma demande, en 2015, j’ai pris la parole à plusieurs reprises : quand la moudjahida [ancienne combattante] Zohra Drif, symbole de la révolution, a été attaquée par le chef d’un parti, puis durant l’affaire Benhadid [général incarcéré en 2016, puis condamné en 2018 à un an avec sursis pour avoir critiqué Ahmed Gaïd Salah, vice-­ministre de la Défense et chef d’état-major] ou lorsque l’ex-DRS (renseignements) a été vilipendé. Je considérais alors, qu’au-delà de nos différences, on se devait de respecter les institutions.

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Mais quel a été le déclic ?

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La prise de conscience que l’heure était venue pour nos aînés, qui monopolisent le pouvoir depuis 1962, de passer la main. J’ai adressé une lettre au président Bouteflika pour l’exhorter à sortir par la grande porte, comme sa génération et lui-même le méritent. Dans mes interventions, j’ai souligné les enjeux de la prochaine élection. Prenons garde à cette abstention massive qui conduit le peuple à tourner le dos à ses gouvernants et à l’État. Cela doit nous interpeller. Si nous nous tendons la main, nous pouvons espérer épargner le pire au pays, mais aussi rétablir la confiance entre gouvernés et gouvernants.

Le pays traverse une crise politique désastreuse. Une grande opacité entoure la prise de décision, à tous les niveaux

Comment qualifieriez-vous la situation de l’Algérie ?

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Le pays vit une crise politique désastreuse. Les institutions ne fonctionnent pas, ou à moitié. Une grande opacité entoure la prise de décision, à tous les niveaux. On n’arrive plus à situer le centre du pouvoir. Ni à identifier ceux qui l’animent et prennent les décisions en son nom. Sur le plan économique, c’est encore pire.

Il ne vous a pas échappé que les partisans du chef de l’État l’appellent à briguer un cinquième mandat…

Ce n’est une bonne solution, ni pour le président ni pour l’Algérie. En 2012, Abdelaziz Bouteflika lui-même avait dit haut et fort, publiquement, que le temps de sa génération était révolu. Il en paraissait convaincu. Que dirait-il aujourd’hui s’il avait la plénitude de ses moyens physiques ?

L'ex-président algérien Abdelaziz Bouteflika à Alger, le 23 novembre 2017. © RYAD KRAMDI / AFP

L'ex-président algérien Abdelaziz Bouteflika à Alger, le 23 novembre 2017. © RYAD KRAMDI / AFP

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Vous avez rencontré à plusieurs reprises le président durant l’exercice de vos fonctions passées. Aviez-vous perçu chez lui une volonté de se maintenir au pouvoir coûte que coûte ?

Nous avions eu une longue discussion en tête à tête en 2005 et j’avais compris qu’il souhaitait rajeunir le personnel politique. Son message, c’était que la génération post-indépendance devait passer la main. Quinze ans plus tard, la mue se fait attendre.

Vous préconisez la rupture et le changement. Qu’est-ce que la rupture selon Ali Ghediri ?

Le chantier est tellement vaste. Il y a des mesures qui nécessitent du temps et de l’argent. D’autres pas. Je prendrai des décisions symboliques dès ma prise de fonctions, mais je préfère en parler le moment venu. Dans tous les cas de figure, le changement n’épargnera aucun secteur.

Les Algériens sont conscients du besoin de changement

C’est tout de même flou et vague…

Je m’exprimerai le moment venu. La campagne électorale n’a pas commencé.

Maintiendrez-vous votre candidature si le président brigue un nouveau mandat ?

J’irai jusqu’au bout. Ceux qui considèrent qu’il sera forcément réélu s’il est candidat sont libres de le penser, mais, pour ma part, je ne suis pas défaitiste. Je ne pars pas perdant avant d’avoir engagé la bataille. Les Algériens sont conscients du besoin de changement, que ce soit sur le plan générationnel ou en matière de philosophie du pouvoir et dans le mode de fonctionnement de l’État et des institutions. Il y va de l’avenir du pays. Faute de quoi, de grands périls guettent l’Algérie.

Le système a su se maintenir pendant vingt ans. Pourquoi cette élection serait-elle différente ?

Car le système dont vous parlez n’existe plus. Un homme seul ne fait pas le système. Il faut des acteurs, des mécanismes, une idéologie et un mode de fonctionnement. Or le fonctionnement actuel n’a plus ses attributs. De 1962 jusqu’à un passé récent, le système avait une cohérence. On pouvait en deviner la trajectoire et identifier les hommes qui prenaient les décisions. L’erreur a été d’avoir cassé l’ordre ancien sans le régénérer par un renouvellement du modèle de gouvernance, des forces politiques, des idées et des responsables.

J’étais un soldat au service de l’État, et non pas d’un régime

Certains vous accusent justement de faire partie de ce système…

J’étais un soldat au service de l’État, et non pas d’un régime ou de ses hommes. L’armée n’est pas une milice. C’est l’instrument de défense du peuple et de la nation.

Cette armée a connu de nombreuses purges, disgrâces et mutations il y a six mois. Révolution ou règlements de comptes ?

Ces changements ne sont pas mus par le dessein d’améliorer le fonctionnement de l’État. Chaque institution doit jouer son rôle, sans que l’une ne soit hypertrophiée au détriment de l’autre.

Avec vous, l’armée faiseuse de présidents, ce serait fini ?

Lorsque je parle de rupture, j’évoque entre autres cet aspect. Que ce soit en Amérique latine, en Asie, en Espagne, au Portugal ou en Grèce, l’histoire nous enseigne que des généraux ont réussi à faire sortir la politique des casernes. Avec moi, l’armée jouera le rôle que lui confère la Constitution.

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Que répondez-vous à ceux qui vous accusent d’être un lièvre destiné à légitimer cette présidentielle ?

Je ne suis pas un lièvre, et ceci n’est pas une partie de chasse. Ne pas s’engager au motif que le système veut faire réélire un homme, c’est être défaitiste. Les conditions du changement sont réunies, et le peuple peut être mobilisé. Le pouvoir a les moyens de frauder et de dresser des obstacles devant les candidats, mais je tiendrai bon, même au péril de ma vie.

Vous évoquez des pressions, des intimidations, des filatures. Qui dérangez-vous ?

Des filatures du matin au soir… Chacun de mes mouvements est épié. Nous avons identifié les véhicules qui nous suivent. Qui peut le faire si ce n’est les services de sécurité ? Je ne constitue pourtant un danger pour personne. Je n’ai pas de compte à régler avec qui que ce soit. Je viens avec un programme et l’ambition de changer les choses, pour que le pays ait le destin qu’il mérite.

Votre déclaration de patrimoine indique que vous vivez de votre modeste retraite. Qui finance votre campagne ?

« Charitable autant que peu sage », dit une fable de La Fontaine. Oui, il y a des âmes charitables et sages qui m’aident parce qu’elles ont à cœur de voir l’Algérie changer. Je n’en ai pas honte. Si le pouvoir, avec toute sa puissance, a recours au « mécénat », pourquoi moi, particulier, m’en priverais-je ?

Je changerai la Constitution en consultant le peuple

Réviserez-vous la Constitution pour rééquilibrer les pouvoirs entre le chef de l’État, le gouvernement et le Parlement ?

Je changerai la Constitution en consultant le peuple. L’hyper­présidentialisation nuit au fonctionnement démocratique de l’État. Le pouvoir judiciaire sera totalement indépendant de l’exécutif.

La situation économique inquiète. Dans le pire des scénarios, les réserves de changes seront à sec à l’horizon 2023, et le pays sera contraint de recourir à l’endettement extérieur. Comment éviter une telle perspective ?

Je suis conscient de la gravité de la situation. On ne peut plus se contenter de prendre des mesurettes ou de faire tourner la planche à billets. J’engagerai des réformes structurelles profondes, que j’exposerai dès que mon programme sera finalisé.

Il faut réenchanter le rêve des leaders maghrébins pour créer un Maghreb uni

Quelles sont vos premières pistes ?

La réforme d’un secteur public rentier qui a corrompu les hommes et les structures de l’État. De même faut-il en finir avec la dépendance dangereuse aux hydrocarbures, l’économie mono­-exportatrice et l’enrichissement sans efforts. L’Algérie est capable de produire des milliardaires en mesure d’investir, de créer de la richesse et de l’emploi, d’exporter, de participer à l’émergence d’un secteur productif qui contribuerait au bien-être de la population.

Faut-il abroger la règle des « 51/49 », qui oblige les investisseurs étrangers à avoir un partenaire algérien ?

On la maintiendra là où il le faut, et on la supprimera ou on l’ajustera là où c’est nécessaire. En la matière, pas de dogme idéologique ni économique.

Souhaitez-vous une plus grande intégration régionale ?

Il faut réenchanter le rêve des leaders maghrébins pour créer un Maghreb uni. Je ferai comprendre à nos voisins marocains qu’ils n’ont pas d’avenir sans nous et que nous n’avons pas d’avenir sans eux. L’ère est aux grands ensembles intégrés. Ensemble, nous avons les atouts pour faire le poids, dans la région et au-delà.

Et quid de la France ?

Ah, la grande histoire ! Il faudra que la France cesse d’être un point de mire pour l’Algérie et vice-versa. Nous devons transcender notre passé commun sans l’oublier. Nos relations doivent redémarrer sur de nouvelles bases. Pour que s’impose le respect mutuel et que le tutorat cesse d’être l’axe de notre politique.

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