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Musique : Lionel Loueke, le jazzman béninois en mode majeur

Le guitariste et chanteur est devenu incontournable sur la scène jazz internationale. Retour sur le parcours hors du commun de l’enfant de Ouidah.

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Mis à jour le 24 janvier 2019 à 17:45

Lionel Loueke © JB MILLOT

Lionel Loueke est venu à la guitare sur le tard. Et en brisant un interdit. À 17 ans, il subtilise la six-cordes de son frère Alexis. Quand son aîné le prend sur le fait, il cède, et accepte même de lui montrer le doigté de son premier accord. « J’y ai passé toute une partie de la nuit, j’ai travaillé cet accord jusqu’à 1 heure du matin… Le lendemain, évidemment, j’avais des ampoules plein les doigts et j’avais appris la leçon numéro un : ne jamais forcer. »

Après un parcours qui l’a mené de Cotonou au très prestigieux Berklee College of Music de Boston, en passant par Abidjan et Paris, ce serait donc sans s’acharner, à l’en croire, que Lionel Loueke est devenu l’un des musiciens béninois les plus en vue sur la scène jazz internationale. De Herbie Hancock à Wayne Shorter en passant par Charlie Haden, les vieux routiers du jazz se l’arrachent. On entend aussi sa guitare sur plusieurs albums d’Angélique Kidjo. Et la jeune garde ne s’y trompe pas non plus, à l’image de la contrebassiste Esperanza Spalding, avec qui il partage régulièrement la scène.


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Sa carrière solo est tout aussi impressionnante et éclectique. D’autant que ce guitariste d’exception est aussi un chanteur et parolier hors du commun. Du très aérien Incantation, en 2004, au tout récent The Journey [« Le voyage »], sorti en septembre 2018, dans lequel il invite les cordes classiques à rehausser ses compositions complexes, en passant par le très électrique Gaïa, enregistré en trio dans des conditions live, Loueke se réinvente en permanence. Mais en restant toujours profondément attaché à ses racines.

« Lionel aborde l’instrument de manière unique, en mélangeant son héritage africain et ses styles de guitare avec tout le langage et l’harmonie de la musique jazz », raconte ainsi le contrebassiste Dave Holland – oui, celui-là même que l’on entend sur Bitches Brew, monument jazz-rock de Miles Davis sorti en 1970 –, avec lequel Loueke a enregistré l’album Aziza en 2016.

Bouillon de culture

Né à Cotonou dans une famille yoruba, c’est à Ouidah que le guitariste s’est formé l’oreille dans un bouillon de cultures mêlant musiques populaires béninoises, mystères du vaudou et très forte influence afro-brésilienne. Sur la table familiale de son enfance, le plat incontournable, c’est d’ailleurs la feijoada, recette brésilienne importée dans les années 1830 par les esclaves affranchis de retour dans le golfe du Bénin.

« C’est ma mère qui portait cette tradition afro-brésilienne, très présente à Ouidah, se souvient Lionel Loueke. Il y avait de la musique tout le temps, partout. Et comme tous les gamins de là-bas, mon premier contact avec la musique s’est déroulé lors des Kaleta. » Cette tradition de danses masquées qui existe au Bénin et au Togo est, elle aussi, un héritage des anciens esclaves de retour des côtes sud-américaines.

GuitAfrica, voyage au cœur du patrimoine musical

« J’ai beaucoup appris de ces musiques. Je les utilise d’ailleurs en permanence, elles font partie de moi, de mon jeu. Les rythmes fons, par exemple, sont particulièrement riches. L’un des plus compliqués est sans doute le zinli. C’est un rythme qui semble assez relax, mais qui est très complexe en réalité. Et pour cause : c’était le rythme de la cour, celui que l’on jouait pour les rois », détaille Lionel Loueke.

Le guitariste s’est même donné pour mission de préserver ce patrimoine musical, en créant GuitAfrica, une application pour smartphone. Celle-ci permet d’embarquer pour un voyage musical, en parcourant une carte de l’Afrique des rythmes. À chaque pays ses styles traditionnels, dont les racines historiques sont expliquées et pour lesquels des partitions sont proposées.

« L’idée est de sauvegarder ces rythmes avant qu’ils ne disparaissent. Des musicologues européens font ce travail, ils se rendent en Afrique et transcrivent ces rythmes sur partition. Mais souvent il manque les temps forts, ils ne retranscrivent pas la complexité des sons, leurs nuances, parce que ce n’est pas leur culture », expose-t-il.

Le vaudou, c’est aussi le soin, la guérison. Moi, j’ai grandi en voyant des choses que je suis obligé de croire

Si le guitariste puise aux sources des rythmes traditionnels afro-brésiliens, yorubas et fons, sa musique doit aussi beaucoup aux orchestres des années 1960 et 1970. « On écoutait El Rigo, l’Orchestre Poly-Rythmo de Cotonou, bien sûr. Mais aussi beaucoup d’autres, comme Black Santiago. » Lionel Loueke assume aussi avec fierté sa part de mysticisme.

« Le vaudou, c’est inévitable quand on vit au Bénin. C’est une culture extrêmement forte, à propos de laquelle circulent beaucoup de fantasmes négatifs. Beaucoup le rejettent, mais parce qu’ils ne le comprennent pas… Le vaudou, c’est aussi le soin, la guérison. Moi, j’ai grandi en voyant des choses que je suis obligé de croire… »

S’il est désormais installé en Europe et passe sa vie entre deux avions, au gré des concerts et de ses multiples collaborations artistiques, Lionel Loueke met un point d’honneur à rentrer régulièrement au Bénin.