Tunisie – Antonio Manganella : « L’exécutif reste plus puissant que le judiciaire »

Antonio Manganella, directeur d’Avocats sans frontières, revient pour Jeune Afrique sur la situation des droits de l’homme en Tunisie.

Antonio Manganella, directeur de Avocats Sans Frontières en Tunisie © N. Fauqué/www.imagesdetunisie.com

Antonio Manganella, directeur de Avocats Sans Frontières en Tunisie © N. Fauqué/www.imagesdetunisie.com

Publié le 19 décembre 2018 Lecture : 2 minutes.

Jeune Afrique : La Tunisie est-elle sur le bon chemin pour devenir un État de droit ?

Antonio Manganella : Malgré des affaires très clivantes et très emblématiques, la construction d’un état de droit reste un processus continu. Depuis 2014, on constate une remise en question des acquis de la révolution, voire de certaines dispositions constitutionnelles. Le choix de la mise en place d’une justice transitionnelle ne s’est pas traduit politiquement : il y a eu davantage d’oppositions – constantes, en outre – que d’appuis.

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La Cour constitutionnelle n’est toujours pas en place. Difficile d’aboutir à la construction d’une démocratie et d’un état de droit sans cette instance ou sans révision du Code de procédure pénale et du Code pénal. Après une dictature policière assortie d’une forte corruption, on peine aujourd’hui à identifier les réformes qui permettraient de lutter contre ces deux facteurs fondés sur l’impunité, même si je peux reconnaître que des efforts ont été accomplis, notamment par le ministère de la Justice.

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Mais comment expliquer l’incapacité, en huit ans, de réformer, malgré les appuis internationaux ? Les plaies n’ont pas été soignées. À Sidi Bouzid, les confrontations reprennent comme en 2010. Les Occidentaux doivent cesser de dire à la Tunisie qu’elle est le bon élève du monde arabe, cela l’empêche d’avancer. La Tunisie doit se comparer aux autres pays en transition, comme la Colombie, le Pérou ou la Malaisie.

Les partis ont largement contribué à cette situation…

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La déception post-révolution ouvre la porte à la restauration. L’élite qui était aux manettes n’a jamais renoncé à revenir. Le politique ne s’est pas donné comme mandat de relever le débat mais de le rabaisser, au point de ne pas être représentatif du peuple. La configuration nouvelle du système politique n’a pas été comprise et acceptée de tous.

Je ne suis pas sûr que la médiatisation fasse du bien à la vérité judiciaire

L’exécutif reste bien plus puissant que le législatif et le judiciaire. Les cinq instances constitutionnelles, contre-pouvoir interne au système, sont lourdes à mettre en place. Le problème est que le pouvoir ne croit pas à cette gouvernance. Il pense que le pays n’est pas prêt.

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Les affaires vont-elles accélérer les réformes?

Ce n’est pas certain. Leur traitement médiatique risque de creuser les clivages. Je ne suis pas sûr que la médiatisation fasse du bien à la vérité judiciaire. Le plus important dans ce type de dossier est que la vérité soit faite et que la justice soit rendue une fois les faits établis. Comme nous abordons une année électorale, je crains une division de l’opinion consécutive à l’instrumentalisation constante de ces dossiers politiques.

Or la Tunisie est déjà duelle. Elle a davantage besoin de convergence que de scission. Cela n’aide pas les citoyens à se retrouver dans une Tunisie une et indivisible.

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