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Tunisie : 2019, l’année de tous les enjeux
« Avant la révolution, Ennahdha était un parti “totalitaire” », lâche Mohamed Amine Sdiri. Conseiller du ministre du Développement, ce trentenaire assume la rupture avec ses aînés. « Nous n’avons pas vécu la confrontation avec le pouvoir, la prison. La première génération d’Ennahdha vivait un peu isolée, il fallait être coopté, et la clandestinité et l’exil l’ont un peu déconnectée. »
Passé par Sciences-Po Paris, Mohamed Amine Sdiri se décrit comme « un facilitateur ». Il marche dans les pas de son ministre, Zied Ladhari, 43 ans, titulaire de son troisième portefeuille ministériel depuis février 2015. Constituant, puis député de Sousse, Zied Ladhari a été dès 2011 l’un des visages du renouvellement d’Ennahdha, dont il deviendra porte-parole en octobre 2013. Avocat formé en France, il maîtrise tous les codes, sait naviguer d’un milieu à l’autre et adapter son style (volubile ou langue de bois).
Les trentenaires et les quadras sont de plus en plus visibles au sein d’Ennahdha, qui leur attribue volontiers le rôle de communicants et investit dans ses jeunes cadres. Chaque année, ils sont une vingtaine à rejoindre son académie politique et à bénéficier de séminaires de formation.
2016, un tournant
Avec près de quarante ans de militantisme, même si elle n’a été légalisée qu’en 2011, Ennahdha est le parti le plus structuré du pays. Ses cadres historiques, docteurs, juristes ou ingénieurs, dont la plupart ont vécu la répression et l’exil – « les faucons », comme on surnomme encore parfois les plus conservateurs –, font progressivement place à la nouvelle génération.
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Lors de son dixième congrès, en mai 2016, le mouvement s’est officiellement détaché de ses activités de prédication pour se consacrer exclusivement au domaine politique. « J’ai poussé à cette réforme », assure Oussama Sghaier, 35 ans, député de la circonscription de l’Italie, où sa famille s’est réfugiée sous Ben Ali.
Diplômé en sciences politiques et relations internationales à La Sapienza de Rome, il est revenu en Tunisie au lendemain de la révolution, après dix-sept ans d’exil, et a su se faire une place au sein du mouvement. Élu membre du conseil de la Choura (haute instance consultative d’Ennahdha), il devient son porte-parole, puis celui du parti. Ennahdha martèle sa politique de consensus. Lui dit l’incarner « comme personne ». À l’instar d’autres binationaux.
Fini les clichés
Comme la Franco-Tunisienne Sayida Ounissi, qui, à 31 ans, a été nommée ministre de l’Emploi lors du remaniement de novembre. Elle se réjouit de ce que les municipales du mois de mai ont été l’occasion de débarrasser le parti du cliché qui résume son électorat aux classes populaires, aux ultraconservateurs et aux enfants de prisonniers politiques. « C’était un vrai test et c’était génial. On a vu que l’on mobilisait des fonctionnaires et des représentants de catégories socioculturelles très diverses. »
« Nous devenons un parti conservateur qui brasse large, qui veut s’ouvrir à l’ensemble des cadres désireux de faire avancer les choses » assure Naoufel Jammali
Silhouette longiligne, costume gris bien taillé, l’un de ses prédécesseurs au ministère de l’Emploi, le député de Sidi-Bouzid, Naoufel Jammali, se voit comme « une courroie de transmission avec les milieux modernistes ». Lui aussi se réjouit de la composition des listes de candidats d’Ennahdha aux municipales : la moitié étaient des indépendants, la moitié avaient moins de 35 ans. « Nous ne sommes pas une secte, nous voulons perdre cette image. Nous devenons un parti conservateur qui brasse large, qui veut s’ouvrir à l’ensemble des cadres désireux de faire avancer les choses. »