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Tunisie : 2019, l’année de tous les enjeux
Il se déplace comme un spectre. Long tube blanc surplombé d’un écran tactile, le eTouch Bot glisse sur son support roulant. Fidèle télé-présence, tout de plastique et pixels profilé, ce longiligne robot est destiné à l’accompagnement de personnes âgées isolées.
Quelques-uns de ses clones œuvrent déjà en France, au service de propriétaires qu’ils mettent en relation avec leurs médecins. « Je prépare mes futures balades en bord de mer avec lui ! » plaisante Anis Sahbani, fondateur et directeur général d’Enova Robotics, l’entreprise qui a développé ce système d’intelligence artificielle.
Le succès Enova Robotics
C’est au sein du technopôle de Sousse que, depuis 2014, la start-up a pu mûrir ses projets. Outre l’eTouch Bot, elle a conçu, entre autres, le minitank qui patrouille sur la centaine d’hectares du technopôle, l’un des premiers robots de sécurité à usage civil qu’elle a développé pour la surveillance des sites tertiaires.
Anis Sahbani n’a pas hésité à mettre entre parenthèses sa vie de professeur au sein de l’université Pierre-et-Marie-Curie, en France, pour rejoindre le nouveau pôle de compétitivité en mécatronique créé en 2014 sur le site de l’École nationale d’ingénieurs de Sousse (Eniso), désormais nommé Novation City.
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Pari réussi : montée avec une mise de départ de 25 000 euros, Enova Robotics est désormais valorisée à 5 millions d’euros. Elle vient d’ouvrir une filiale à la Station F, à Paris (le plus grand campus de start-up au monde, ouvert à la mi-2017 par l’homme d’affaires et business angel, ou investisseur providentiel, Xavier Niel), et emploie déjà une vingtaine d’ingénieurs au sein du technopôle de Sousse.
Novation City lui a facilité l’accès à des fournisseurs, mais aussi à des clients, confirme Anis Sahabani en jetant un coup d’œil derrière les grilles du parc. Au loin, la mer. « Entre midi et deux, on peut aller piquer une tête », dit-il en souriant.
Un port et trois aéroports
Sur le technopôle, l’État gère un centre de recherche, ainsi que l’Eniso, d’où sortent chaque année 300 diplômés. Les cadres de Novation City font partie du conseil scientifique de l’établissement. Des activités de recherche et développement (R&D) à la commercialisation, en passant par les levées de fonds, tout est fait pour épauler la vingtaine de start-up qu’accueille la pépinière.
L’objectif est de permettre à ces jeunes PME de croître, mais aussi d’attirer de grands groupes. « En soutenant les projets des entreprises dès la R&D, on peut par ailleurs s’orienter vers des investissements de plus en plus porteurs », précise Abdelhamid Denguezli. Le directeur commercial de Novation City ne manque pas de rappeler la proximité du parc industriel d’Enfidha (40 km au sud de Sousse) – idéal pour accueillir d’éventuelles unités de production –, et de trois aéroports (Monastir, Enfidha et Tunis-Carthage). Sans compter la construction annoncée d’un port en eaux profondes à Enfidha.
Entre l’école d’ingénieurs installée sur le campus et celles présentes dans les environs, les ressources humaines ne manquent pas ici
Sur l’immense campus, entre les plants d’olivier, des milliers de mètres carrés sont en cours d’aménagement. Ils accueilleront bientôt des espaces de restauration et des promenades. À côté des bâtiments déjà occupés par des groupes internationaux (tel le germano-nippon Yamaichi Electronics ou le franco-tunisien Proxym IT), d’autres sont à louer. Et, sur le site mitoyen de la Business City, des terrains sont disponibles à la vente pour l’implantation de sociétés de services.
De machine à machine
Dès 2012, en prélude à la création de Novation City, les start-up, PME et grands groupes avaient constitué un cluster (« incubateur ») autour de projets communs dans le domaine de la mécatronique. Une dizaine ont déjà été commercialisés, comme l’InnerJ Box, distribuée en Tunisie et en Europe pour optimiser sa consommation d’énergie à distance.
Cette technologie est développée par Proxym IT en partenariat avec Fuba, filiale du groupe industriel tunisien OneTech, et la start-up Chifco, fondée par Mohamed Amine Chouaieb, spécialisée dans l’internet des objets (IoT) et le machine to machine (M2M).
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Créée en 2006 par Wassel Berrayana, un ingénieur tunisien passé par la Silicon Valley au début des années 2000, Proxym IT chapeaute désormais quatre start-up spécialisées dans les services numériques (banque en ligne, e-gouvernance, etc.), dont elle est actionnaire majoritaire.
Après avoir conquis les marchés français et moyen-orientaux, elle s’attaque à ceux du Maghreb et de l’Afrique francophone. « Entre l’école d’ingénieurs installée sur le campus et celles présentes dans les environs, les ressources humaines ne manquent pas ici, ce qui est un vrai plus », souligne Elyes Mdimagh, le responsable marketing de Proxym IT. Il en sait quelque chose : le groupe emploie 150 ingénieurs sur son site de Sousse et 20 autres dans ses filiales de Tunis, Paris et Dubaï.
Parcours
- Sabrine Ibrahim : 26 ans, cofondatricr et directrice général d’Envast
Son projet a mûri dans l’incubateur de l’École nationale d’ingénieurs de Sousse, dont elle est fraîchement diplômée. Elle y a cofondé Envast, qui développe des applications éducatives pour les enfants. La start-up, qui s’est installée en octobre dans la pépinière de Novation City, sur le même campus, emploie déjà cinq collaborateurs à temps plein et deux personnes à temps partiel.
Après avoir élaboré des plateformes éducatives pour d’autres sociétés et pour une fondation, Envast a lancé, le 26 novembre, le Class Quizz, une application mobile, et un site proposant des tests scientifiques en arabe sur les programmes scolaires tunisiens qu’elle compte adapter aux autres marchés du Maghreb et à ceux du Moyen-Orient.
- Amel Saidane : 39 ans, présidente de l’association Tunisian Startups et PDG de WeeStudio
Ingénieure en électronique diplômée de l’université Leibniz de Hanovre (Allemagne) et titulaire d’un master en économie numérique de l’université du Maryland (États-Unis), Amel Saidane a commencé sa carrière au sein de multinationales, dont Microsoft et Siemens, avant de tenter de monter sa PME 4.0 en 2015. En vain : « Difficultés d’accès au financement, environnement hostile à la création d’entreprises, milieu très masculin… » Pour surmonter ces obstacles, Amel Saidane a fondé l’association Tunisian Startups en janvier 2017.
Figure incontournable de l’écosystème tunisien des start-up, elle est aussi ambassadrice du Digital Arabia Network et du réseau international Seedstars, qui soutient l’éclosion de start-up dans les marchés émergents. Dans cet esprit, l’experte en transformation numérique vient de cofonder WeeStudio, à Tunis, avec Wevioo (ex-Oxia), le groupe de Mehdi Tekaya : une « start-up studio » dont la vocation est de mutualiser les ressources de façon à permettre aux industries du numérique de développer leurs sociétés avec les expertises et les outils technologiques les plus pointus, mais les coûts les moins élevés possible.
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L’objectif est de lancer trois à quatre start-up d’ici à mi-2019. La première-née, implantée au Canada, est spécialisée dans la fintech. Et un projet lié à la finance islamique est à l’étude. « Nous pourrons accélérer notre développement une fois que nous aurons mis en place un fonds d’amorçage, qui nous permettra d’augmenter la cadence et de sécuriser des investissements de suivi. »