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Tunisie : 2019, l’année de tous les enjeux
Fidèle compagnon de route de Rached Ghannouchi, dont il est le conseiller politique depuis leur exil à Londres en 1991, Lotfi Zitoun affiche des positions modernistes, parfois à l’encontre de celles de son parti, Ennahdha, l’un des piliers de la majorité.
Selon lui, le bicéphalisme de l’exécutif et l’absence de consensus freinent le pays depuis cinq ans et mettent désormais en péril le processus démocratique.
Jeune Afrique : Que penser de l’affrontement entre les deux chefs de l’exécutif ?
Lotfi Zitoun : Le désaccord entre le président de la République et le chef du gouvernement place le pays dans une impasse. On ne peut que souhaiter que cette fracture se résolve rapidement. Au sein de la classe politique en général, les trop nombreux tiraillements et débats versant dans le populisme font perdre de vue les priorités du pays et lassent les Tunisiens.
Il faut que tout le monde se retrouve autour de la table, fasse preuve de pondération et dépasse les inimitiés pour réinstaurer un dialogue dans l’intérêt du pays. Il y a lieu aussi de tirer des enseignements de cette expérience – en espérant qu’elle ne créera pas de précédent.
Le report des élections législatives et présidentielle de 2019 serait un échec pour les ambitions démocratiques de ces huit dernières années
Quels enseignements ?
Au-delà des personnes et des mésententes, c’est le système politique choisi en 2013 qui montre ses limites. Pour se prémunir contre un retour à la dictature et à un régime présidentialiste, dans la nouvelle Constitution [adoptée en janvier 2014], les prérogatives de l’exécutif ont été réparties entre le chef de l’État et le chef du gouvernement. Mais nous n’avons pas pris la mesure des blocages que ce verrouillage pourrait entraîner, comme celui auquel nous sommes confrontés aujourd’hui.
Il nous faut impérativement revoir le code électoral pour que puisse émerger une majorité tranchée. Il est tout aussi urgent et nécessaire de désigner les membres de la Cour constitutionnelle afin qu’elle soit opérationnelle – la situation actuelle nous montre combien son arbitrage est essentiel –, ainsi que les membres et le président de l’Isie [Instance supérieure indépendante pour les élections]. Sans ces instances, nous mettons en péril notre démocratie.
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Y compris la bonne organisation des élections législatives et présidentielle de 2019 ?
Dans les conditions actuelles, je ne sais comment elles vont se tenir et si elles le pourront. Évidemment, leur report serait un échec pour les ambitions démocratiques de ces huit dernières années. En tout cas, il est certain que ces scrutins vont engendrer une redistribution des équilibres politiques. Mais, attention, l’abstention risque d’influer sur la représentativité de l’Assemblée.
Ennahdha peut-elle gouverner seule ?
Non, pas plus que les autres partis. Et ce ne serait pas dans l’intérêt du pays. Au contraire, il est nécessaire de nous fédérer pour dépasser les dissensions et nous pacifier. La Tunisie a besoin de consensus. Dans le contexte actuel, c’est l’unique voie qui permette de maintenir une cohésion politique et sociale entre toutes les composantes du pays.