Politique

Guinée équatoriale : l’irrésistible ascension de Teodorín Obiang

Le fils du président Teodoro Obiang s’impose de plus en plus au sommet de l’État en Guinée équatoriale à mesure que s’efface son père. Et n’hésite pas, pour asseoir son autorité, à écarter un à un ses adversaires.

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Mis à jour le 12 novembre 2019 à 17:21

Le président Teodoro Obiang Nguema Mbasogo (au centre, en noir) et son fils (à sa droite), lors du 50e anniversaire de l’indépendance, en octobre. © Arda Kucukkaya/Anadolu Agency/AFP

À Malabo, le président trouve les journées bien longues. Ses homologues s’y font de plus en plus rares, et il les attend avec une impatience certaine. Il piaffe sur le perron de son palais lorsque son visiteur a du retard. En d’autres temps, il l’aurait fait mariner – non sans une certaine délectation – dans l’antichambre de son bureau, et l’entretien aurait été concis.

Mais pour Teodoro Obiang Nguema Mbasogo, 76 ans dont trente-neuf à la tête de la Guinée équatoriale, cette époque est révolue.

Aujourd’hui, après plusieurs heures de discussion au sujet de tout et de rien, c’est l’invité qui doit mettre fin à l’entretien et décliner poliment une proposition à dîner : il y a tant à faire quand on est à la tête d’un État, entre les téléphones qui sonnent constamment, les ordres à signer, les avions toujours prêts à décoller…

Pouvoir élargis

Seuls quelques courtisans essaient encore de tirer profit de leur proximité avec « tonton », comme l’appelle affectueusement un ancien chef de gouvernement de la région, qui décrit un président cachectique et seul. La vie comme le pouvoir semblent le quitter peu à peu.

Au sein du clan, les manœuvres pour sa succession ont déjà commencé. Il n’est plus un secret que son fils, Teodoro Nguema Mbasogo Mangue, 49 ans, est en première ligne. Il a le soutien de sa mère, l’omniprésente Constancia, et celui d’une partie des Esanguis de Mongomo, le fief familial. Les pouvoirs de « Teodorín », vice-président et numéro deux du Parti démocratique de Guinée équatoriale (PDGE), ont progressivement été élargis.

Teodorín Obiang, le 30 septembre 2015 au siège des Nations Unies (image d'illustration). © Frank Franklin II/AP/SIPA

Teodorín Obiang, le 30 septembre 2015 au siège des Nations Unies (image d'illustration). © Frank Franklin II/AP/SIPA

Si bien qu’à ce jour rien ne se passe à Malabo sans qu’il n’en soit informé. La moindre sortie du territoire d’un fonctionnaire doit lui être soumise. Son grade de général, obtenu à la mi-octobre par décret présidentiel, lui confère davantage d’autorité sur les uniformes.

Et le 20 novembre, il a présidé pour la première fois un Conseil des ministres. Un événement remarqué par la presse internationale, tout comme l’avait été sa première intervention à la tribune de l’ONU, en septembre 2015.

Image trop écornée

Mais la partie n’est pas complètement gagnée. Cette passation de pouvoir divise l’entourage du chef de l’État. Des membres de la famille, dont de hauts gradés, ont clairement exprimé leur désaccord. Pour eux, le fils chéri de Constancia ne peut présider aux destinées du pays : entre l’affaire dite des Biens mal acquis, en France, et la récente saisie de montres de luxe au Brésil, son image à l’international serait trop écornée par les scandales à répétition.


>>> À LIRE – Dossier : Procès des biens mal acquis : un verdict historique


« Malgré cela, il semble que Teodorín soit en train de prendre le dessus », explique un haut responsable d’Afrique centrale. Et, pour s’imposer, il n’y est pas allé de main morte : il s’est d’abord échiné à écarter son demi-frère, Gabriel Mbega Obiang Lima, tout-puissant ministre des Mines et des Hydrocarbures.

Mise à l’écart

Décrit comme intelligent et bien conseillé, ce dernier est considéré comme l’artisan de la nouvelle stratégie pétrolière nationale, ayant obtenu l’adhésion du pays au cartel de l’Opep. Et s’il est plus discret sur sa vie privée et sur les réseaux sociaux que Teodorín, il a comme lui largement profité de sa position pour faire fortune. Pour lui nuire, le camp du fils du président ne s’est pas privé de faire valoir que Gabriel est le fils d’une Santoméenne.

A contrario, Teodorín serait un « vrai Fang ». « Petit, il dansait pieds nus dans la terre ! assure un membre de l’exécutif, frère d’armes de son père. Teo a fait des erreurs dans sa jeunesse, mais tout cela est terminé. Il est très populaire, notamment auprès des jeunes. Il a un vrai sens politique. »

Le président équato-guinéen, Teodoro Obiang Nguema Mbasogo, lors d'une visite au Nigeria, en 2015. © Sunday Alamba/AP/SIPA

Le président équato-guinéen, Teodoro Obiang Nguema Mbasogo, lors d'une visite au Nigeria, en 2015. © Sunday Alamba/AP/SIPA

Pour asseoir son autorité, il s’en est aussi pris à des caciques du régime. Nicolàs Obama Nchama, ministre d’État chargé de la Sécurité nationale, s’est fait tancer vertement par le dauphin, qui est également chargé de la Défense nationale et de la Sécurité de l’État. D’autres ont été mis à l’écart, à l’instar de l’ex-ministre des Affaires étrangères Agapito Mba Mokuy, devenu « trop visible à l’international », selon un proche du palais.

Il était aussi soupçonné d’appartenir à la jeune garde du PDGE, dont une partie est hostile à Teodorín, au même titre que le fils du ministre de l’Intérieur, Clemente Engonga Nguema Onguene, accusé d’avoir soutenu le coup d’État déjoué en 2017 et en exil en Espagne. Pour le remplacer, Obiang Nguema a rappelé Simeón Oyono Esono, un fidèle parmi les fidèles, jusque-là ambassadeur à Addis-Abeba.

Un vent de paranoïa souffle sur le pays, et tous ceux qui n’appartiennent pas au clan sont mis à l’épreuve

Également dans le viseur, de nombreux diplomates : les ambassadeurs en Égypte, en Afrique du Sud, en Russie et au Maroc ont ainsi été limogés ces dernières semaines après avoir vu leur loyauté questionnée.

Miguel Oyono Ndong Mifumu, en poste en France, aurait lui-même été sur la sellette. Il a finalement réussi à conserver sa place après s’être rendu à Malabo à la mi-novembre. Cet ami d’enfance du président est un homme clé pour le pouvoir, en pleine bataille dans le dossier des Biens mal acquis, dont le procès en appel se tiendra le 19 février 2019 à Paris.

Les doutes le concernant étaient-ils liés au fait qu’il n’est pas un Esangui ? De fait, un vent de paranoïa souffle sur le pays, et tous ceux qui n’appartiennent pas au clan sont mis à l’épreuve. « Ceux qui ont de l’argent partent », nous explique-t-on.


>>> À LIRE – Dossier : Quel avenir pour la Guinée équatoriale ?


Ainsi de ce ministre qui a demandé à un proche, installé en Allemagne, de lui acheter un véhicule en prévision de son arrivée prochaine… En septembre, l’arrestation à Lomé puis le transfert vers Malabo de plusieurs Équato-Guinéens (dont un de nationalité italienne) appartenant à la Cored, parti d’opposition en exil, ont exacerbé un peu plus le sentiment d’insécurité.

Le président de la Guinée équatoriale, Teodoro Obiang Nguema Mbasogo au siège de l'ONU, à New York, le 26 septembre 2013. © Justin Lane/AP/SIPA

Le président de la Guinée équatoriale, Teodoro Obiang Nguema Mbasogo au siège de l'ONU, à New York, le 26 septembre 2013. © Justin Lane/AP/SIPA

Constancia et Teodorín l’ont prié d’accélérer le passage de relais, qui pourrait intervenir dès 2019

Passage de relais en 2019 ?

Le successeur d’Obiang Nguema devra en tout cas rassurer les partenaires internationaux, à commencer par les Américains, très présents dans l’industrie pétrolière. Ni Teodorín ni Gabriel ne semblent convaincre Washington, qui aurait pris d’autres contacts dans le pays et en dehors. Les appétits de l’un et de l’autre seraient le principal grief.

« Le monde a changé, les compagnies américaines ne peuvent plus se comporter comme il y a vingt ans. Elles craignent un chantage de la part du nouveau maître de Malabo », confie un observateur.

Ainsi va la politique en Guinée équatoriale : les Nguema se partagent richesse et pouvoir depuis l’indépendance de 1968. Mais alors que Teodoro Obiang Nguema Mbasogo maîtrisait jusque-là son agenda, celui-ci semble aujourd’hui dicté par son fils.

« Alors qu’il souhaitait écourter son mandat [qui doit s’achever en 2023], il avait accepté, à la demande d’une partie du clan, de rester au moins jusqu’en 2020 ou 2021, raconte notre ex-Premier ministre. Mais Constancia et Teodorín l’ont prié d’accélérer le passage de relais, qui pourrait intervenir dès 2019. »