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Une manifestation en Tunisie contre le gouvernement et la gestion de l’économie, en 2013 (photo d’illustration). © Amine Landoulsi/AP/SIPA

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[Édito] Tunisie : l’optimisme est la foi des révolutions

Huit ans après la « révolution du jasmin », l’ambiance en Tunisie ne cesse d’osciller entre maussaderie et catastrophisme. Mais la révolution ne déchante pas, elle décante.

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Mis à jour le 6 décembre 2018 à 07:36
Marwane Ben Yahmed

Par Marwane Ben Yahmed

Directeur de publication de Jeune Afrique.

Le Nobel de la paix 2015 a été décerné au dialogue national tunisien. © Hassan Ammar/AP/SIPA

Malaise permanent, absence de visibilité globale, grogne sociale exponentielle, économie gérée à courte vue, incessantes querelles vipérines entre politiques, anarchie des volontés… Cela fera bientôt huit ans que la « révolution du jasmin » a éclos. Depuis, passé le temps de l’euphorie, l’ambiance ne cesse d’osciller entre maussaderie et catastrophisme.

Les fruits n’ont semble-t-il pas tenu la promesse des fleurs. À qui la faute ? À une classe politique, tous bords confondus, médiocre pour les plus indulgents, pitoyable pour les plus sévères, guère au niveau, en tout cas, de l’avis général. Analyse paresseuse, même si le constat est réel : la Tunisie est devenue une démocratie, les élections y sont transparentes.

La Tunisie n’a guère su produire, à ce jour, les hommes et les femmes aptes à la gouverner avec succès

Manque de classe politique ?

Ceux qui ont voté lors des scrutins successifs doivent assumer leurs choix. Ceux qui ne l’ont pas fait, eux, n’ont pas grand-chose à réclamer. On a les dirigeants que l’on mérite, dit-on…

Depuis 2011, seuls deux acteurs politiques sont parvenus à tenir la distance : l’islamiste Rached Ghannouchi et le « moderniste » Béji Caïd Essebsi. Les autres, tous les autres –  opposants au long cours sous Ben Ali (Mustafa Ben Jaafar, Nejib Chebbi, Moncef Marzouki, entre autres), anciens responsables sous ce dernier, comme nouveaux venus sur un échiquier où une chatte ne retrouverait pas ses petits – ont tous plus ou moins déçu ou disparu des écrans radars.


>>> À LIRE – Rached Ghannouchi, l’homme qui a trahi la révolution tunisienne


Il ne suffit pas de courir les plateaux télé pour exister. Longtemps vantée pour la qualité des cerveaux sortis de ses écoles et universités, la Tunisie n’a guère su produire, à ce jour, les hommes et les femmes aptes à la gouverner avec succès. Ou à se faire élire quand ils avaient supposément les qualités requises.

Sombre tableau ? Question de perspective. Car il y a une autre manière d’analyser le chemin parcouru depuis janvier 2011. La plus logique, et la plus neutre, consiste à prendre un certain recul. Qui aurait pu sérieusement imaginer que, en un laps de temps aussi court à l’échelle de l’Histoire, et après avoir pris la décision de changer tout le système, la plupart des règles du jeu et des acteurs, ce chemin aurait été pavé de roses ?

Qu’une génération spontanée de politiques, après plus d’un demi-siècle d’anesthésie générale, allait émerger en un tournemain ? Que la raison l’emporterait aisément sur les passions et, surtout, les frustrations ? Que le civisme et la mesure, dans ce pays où plus personne n’osait s’exprimer et où tout le monde était surveillé, primeraient ?

Démocratie, libertés individuelles, nouvelle Constitution parmi les plus modernes d’Afrique et du monde arabe, avancées indéniables vers l’égalité entre hommes et femmes…

Avancées

La liste des acquis ne peut pas non plus être jetée avec l’eau du bain. Démocratie, libertés individuelles, nouvelle Constitution parmi les plus modernes d’Afrique et du monde arabe, avancées indéniables vers l’égalité entre hommes et femmes, art certain du ­dialogue et du consensus, mise en responsabilité d’une nouvelle génération, renaissance d’une société civile jadis aphone…

Les Tunisiens ont préféré, dans leur écrasante majorité, tout remettre à plat pour réinventer leur pays et leurs institutions

La Tunisie a-t-elle quelque chose à envier à l’Égypte de Sissi ? À l’Algérie de Bouteflika, qui, elle, a préféré la stabilité ? Sans parler, bien sûr, de la toujours chaotique Libye ? À l’évidence, non.

Il faut se retrousser les manches

Les Tunisiens ont préféré, dans leur écrasante majorité, tout remettre à plat pour réinventer leur pays et leurs institutions. Il faudra donc de la patience pour atteindre l’objectif fixé, peut-être dans cinq ans, dix ans, voire plus. Mais aussi, et surtout, se retrousser les manches, être raisonnable (et sans doute cesser de faire grève pour un oui ou pour un non), assumer erreurs et lacunes, libérer les énergies sans tout attendre de l’État, cesser de se défausser en permanence sur de virtuels boucs émissaires.

Il n’y a cependant aujourd’hui aucune raison de douter de leur réussite finale. La révolution ne déchante pas, elle décante.