Jeune Afrique : Le climat politique aux Comores s’est tendu depuis le référendum constitutionnel du 30 juillet. En quoi cette réforme, qui permet notamment au chef de l’État d’effectuer deux mandats successifs, était-elle nécessaire ?
Azali Assoumani : Pour développer son pays, un président a besoin de plus qu’un mandat de cinq ans non renouvelable. Il peut maintenant se faire réélire, et ce par tout l’archipel alors que, jusqu’ici, le premier tour avait lieu uniquement sur l’île destinée à exercer la présidence tournante. Nous sommes revenus à un système classique, avec deux tours organisés sur tout le territoire, pour que le chef d’État comorien soit élu par l’ensemble du peuple.
Nous avons opté pour un régime présidentiel fort, dans lequel j’assumerai en effet les deux fonctions de chef de l’État et du gouvernement
Redoutiez-vous une « insularisation » de la politique comorienne ?
Tout à fait. La présidence tournante mise en place en 2001 a su mettre fin aux tentations de séparatisme, et c’était la solution la moins mauvaise à l’époque. Mais elle a fait de mes compatriotes des insulaires avant d’être des Comoriens. Il s’agit donc, avec cette nouvelle Constitution, de renforcer le sentiment d’appartenance à l’Union des Comores et de consacrer son indivisibilité.
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Le rôle du président s’en trouve renforcé puisqu’il devient aussi chef du gouvernement et qu’il n’y a plus de vice-présidents. Ne craignez-vous pas d’être un peu seul à la tête du pays ?
La présence de trois vice-présidents ne permettait pas de répondre aux besoins du pays. Je suis favorable au système anglo-saxon, avec un Premier ministre issu du Parlement, mais cela n’est pas applicable aux Comores. Nous n’avons plus de temps à perdre pour développer notre pays. Nous avons opté pour un régime présidentiel fort, dans lequel j’assumerai en effet les deux fonctions de chef de l’État et du gouvernement, avec l’appui d’un secrétaire général qui fera le lien avec l’équipe ministérielle.
Et que deviennent les prérogatives des gouverneurs élus dans chaque île ?
Il était très difficile de coordonner les actions du président avec celles des gouverneurs. La nouvelle Constitution replace donc l’État au-dessus de toute autre autorité. Les îles doivent dorénavant tenir compte des décisions prises à Moroni.
Je n’ai pas fait cela pour conserver le pouvoir, j’ai même pris le risque d’écourter mon mandat actuel pour faire passer cette réforme
Beaucoup d’observateurs y voient surtout un renforcement de votre pouvoir personnel. Certains opposants parlent même de « dérive autoritaire »…
Ceux qui disent cela ne savent pas de quoi ils parlent. J’ai organisé un référendum pour entériner un changement de Constitution. Personne n’a été mis devant le fait accompli. Et j’avais annoncé la tenue de cette consultation devant l’ONU et devant l’UA… Je n’ai pas fait cela pour conserver le pouvoir, j’ai même pris le risque d’écourter mon mandat actuel pour faire passer cette réforme.
Il était prévu qu’Anjouan prendrait la prochaine présidence. Est-ce pour cela qu’il y a eu des heurts sur cette île en octobre ?
Les visées séparatistes restent tenaces sur Anjouan. Certains sont prêts à toutes les manipulations pour replonger l’île dans la situation de 1997. Peut-être vivent-ils mal le fait de devoir rendre compte à un président dorénavant élu par l’ensemble de la population. C’est en poussant les gens à se sentir plus Comoriens que citoyens de telle ou telle île que nous résoudrons le problème du séparatisme. Et je crois que la nouvelle Constitution, telle qu’elle a été rédigée et si elle est correctement mise en place, peut être la solution.
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Que savez-vous sur la trentaine d’assaillants armés soupçonnés d’avoir débarqué de Mayotte peu de temps avant les émeutes ?
Une enquête a été ouverte sur l’existence de ce commando. Nous avons une Cour suprême chargée de traiter de tels dossiers. Localement, la situation est aujourd’hui sous contrôle, même si nous n’avons pas encore retrouvé les armes.
Depuis la première Constitution, un article est toujours consacré au retour de Mayotte auprès de ses îles sœurs
Quelle place cette nouvelle Constitution donne-t-elle à l’île de Mayotte justement ?
Depuis la première Constitution, un article est toujours consacré au retour de Mayotte auprès de ses îles sœurs. Cette fois-ci comme les autres.
Où en sont les négociations avec la France ?
Nous cherchons une solution sur le long terme pour régler un problème vieux de quarante-trois ans. Il faut du temps, mais les deux parties sont prêtes à discuter malgré le contentieux, dans le respect des intérêts de chacune. Les ministres des Affaires étrangères se rencontrent régulièrement et travaillent ensemble. Nous avons bon espoir de présenter prochainement un document-cadre sur nos relations bilatérales.
Désormais le président va pouvoir rester dix ans en poste pour être en mesure d’engager puis d’accompagner ses réformes
Lors de la campagne électorale de 2017, vous aviez annoncé faire de l’économie votre priorité. En quoi le processus de réforme constitutionnel va-t-il, selon vous, contribuer au développement économique du pays ?
Le président va désormais pouvoir rester dix ans en poste pour être en mesure d’engager puis d’accompagner ses réformes. C’était la première étape à franchir pour assurer un développement économique qui, avec une population aux trois quarts âgée de moins de 33 ans, devient une source de préoccupation sécuritaire. Il faut former les jeunes, les éduquer. C’est pour cela que nous avons défini un plan d’émergence qui s’étale jusqu’à 2030 et qui tient compte de nos priorités.
Après avoir passé dix ans sans électricité, nous avons enfin mis l’énergie à la disposition des opérateurs économiques du pays. Nous travaillons également à développer nos infrastructures de transport routier, portuaire et aéroportuaire, indispensables pour l’archipel.
Diriez-vous que la machine est aujourd’hui repartie ?
Un cycle de croissance est enclenché. Nous sommes passés d’un taux inférieur à 1 % à mon arrivée à presque 3 % cette année et nous prévoyons d’atteindre 4 % en 2019. Plusieurs secteurs peuvent intéresser les investisseurs étrangers, comme le tourisme, les ressources halieutiques et nos cultures de rente traditionnelles que sont le girofle et la vanille. Nous venons de corriger notre code des investissements pour faciliter l’arrivée des banques dans le pays. Pas juste pour financer l’économie comorienne, mais aussi celle de la SADC [Communauté de développement de l’Afrique australe] dans son ensemble. Comme Maurice sait si bien le faire.