Économie

Agrobusiness : le marocain Cosumar change de dimension

Le virage opéré depuis la prise de participation de Wilmar a fait grimper les revenus et les marges du premier groupe chérifien du secteur. Son chiffre d’affaires pourrait tutoyer le milliard d’euros dans un avenir proche.

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Mis à jour le 9 novembre 2018 à 11:21

Mohammed Fikrat, PDG de Cosumar, le 03 mai 2018. © MOHAMED DRISSI KAMILI pour JA

La montagne a accouché d’une souris… Tout le mois de septembre, les rumeurs bruissaient à Casablanca d’un investissement significatif imminent de la part de la Compagnie sucrière marocaine de raffinage (Cosumar), premier groupe agro-industriel du pays (750 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2017). À l’arrivée, la double annonce, le 2 octobre, de la construction, dans la capitale économique, d’une usine de production de graisses végétales pour 350 millions de dirhams (32 millions d’euros) aux côtés de Wilmar et de la création pour « quelques millions d’euros » d’une coentreprise en Guinée (55 % pour Cosumar, 45 % pour le groupement guinéen Sogecile) a un peu déçu.

Les milieux d’affaires guignaient un premier investissement subsaharien d’une taille plus importante. « Ce n’est qu’un premier pas », s’excusait presque Mohamed Fikrat, PDG depuis 2004, interrogé par le Groupe Jeune Afrique le 1er octobre.

Intransigeance de son propriétaire

Le groupe marocain, on le comprend, se satisfait de cette première incursion au sud du Sahara, lui qui ne cessait de prospecter en Afrique sans jamais concrétiser. En effet, dès son entrée au capital, en 2013, l’agro-industriel singapourien Wilmar (27,45 % pour Wilmar Sugar Holding et 2,95 % pour Wilmar Sugar PTE) avait affiché son intention de faire de Cosumar sa plateforme d’investissements sucriers sur le continent.

Intéressé en particulier, depuis plusieurs années, par l’un des fleurons sucriers de l’Afrique de l’Ouest, la Compagnie sucrière sénégalaise (CSS, 150 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2017), Cosumar s’est une nouvelle fois heurté cet été à l’intransigeance de son propriétaire, Jean-Claude Mimran. Selon nos sources, celui-ci en demandait environ 350 millions d’euros quand Cosumar n’était prêt à offrir qu’une somme proche de 200 millions d’euros. Malgré une due diligence menée en juin à Dakar suivie de longues semaines de discussions, les parties ne sont pas parvenues à s’entendre. Dix-huit mois plus tôt, le groupe avait également dû reculer sur un projet de construction d’usine de production de sucre de près de 90 millions d’euros au Cameroun en raison d’un désaccord avec les autorités locales, nous a confié Mohamed Fikrat sans plus de précision.


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Les bénéfices ont bondi

Loin de s’en tenir à ces prospections, la compagnie, qui cultive entre 50 000 et 60 000 ha principalement de betteraves sucrières, s’est imposée depuis une dizaine d’années un important plan de transformation. Elle a notamment investi afin de généraliser les semences monogermes et de développer l’irrigation, mais aussi d’optimiser sa logistique et de rationaliser ses coûts (le choix de remplacer le fuel par le charbon a divisé sa facture d’énergie par quatre). À partir de 2014, épaulé par son partenaire singapourien, maître dans l’art d’acheter et de vendre du sucre aux quatre coins du globe, Cosumar s’est également lancé dans l’activité de réexportation de sucre raffiné, qui génère la lucrative « prime de blanc ». Avec un succès certain.

En quatre ans, son chiffre d’affaires est passé de 6 milliards à 8,3 milliards de dirhams, et ses bénéfices ont bondi de 640 millions à 988 millions de dirhams

En quatre ans, son chiffre d’affaires est passé de 6 milliards à 8,3 milliards de dirhams, et ses bénéfices ont bondi de 640 millions à 988 millions de dirhams, à la faveur notamment de l’augmentation du prix du sucre blanc entre 2016 et 2017. « Durant ces dix dernières années, nous avons concédé des investissements très importants qui nous ont permis d’élever nos capacités de production à 1,65 million de tonnes par an, alors que le marché national se situe autour de 1,2 million de tonnes, se réjouissait Mohamed Fikrat en juin. Cette activité nous permet à la fois de saturer nos capacités de production et de desservir le marché international. »

Les marges les plus importantes découlent de son activité cœur, au Maroc, et prouve donc la solidité de son modèle

Si la réexportation permet de faire de substantiels bénéfices, elle est aussi soumise aux soubresauts des cours du sucre. Entre mars 2017 et août 2018, le sucre coté à Londres a dégringolé de près de 45 %, faisant plonger de 14,3 % le chiffre d’affaires et de 12,3 % le résultat net par groupe (RNPG) au premier semestre 2018.


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« On s’attendait à ces chiffres, tempère un analyste marocain spécialiste du secteur. En réalité, ils sont plutôt rassurants. On voit que le RNPG a moins baissé que le chiffre d’affaires. Ce qui montre que les marges les plus importantes découlent de son activité cœur, au Maroc, et prouve donc la solidité de son modèle. » Quant à l’annonce de l’investissement en Guinée, elle est venue renforcer l’idée que le groupe sait où il va.

« C’est une très bonne nouvelle, commente un autre expert casablancais. Ce type d’investissement va ajouter de l’activité à son revenu et pourrait lui permettre à terme de neutraliser l’impact de la volatilité des cours. Le fait qu’ils aient mis du temps avant de se lancer n’est pas un problème. Cela montre au contraire qu’ils ne prennent pas de décision à la hâte et sont soucieux de payer le juste prix pour pouvoir créer de la valeur. »

L’entreprise a démarré la construction d’une raffinerie en Arabie saoudite, dans le port de Yuban

D’autant que Cosumar a montré qu’il savait aussi concrétiser des projets plus ambitieux. En 2017, l’entreprise a démarré la construction d’une raffinerie en Arabie saoudite, dans le port de Yuban, d’une capacité de 840 000 t, et appartenant à 43,27 % à Cosumar (soit un investissement de 41 millions d’euros), 5 % à Wilmar et le reste à des acteurs locaux. « Nous alimenterons le marché régional, qui accuse annuellement un déficit cumulé de près de 4 millions de tonnes de sucre », s’enorgueillit le PDG. Ce projet, dont l’exploitation doit démarrer à la fin de 2019, pourrait permettre à la compagnie de franchir la barre du milliard d’euros de chiffre d’affaires « d’ici à quatre à cinq ans » selon son président.

Maîtrise de nouveaux marchés africains et de leurs circuits

« Le groupe a presque atteint tous les objectifs qu’il s’était fixés dans son plan stratégique, constate, admiratif, l’un des analystes que nous avons consultés. Avec son activité d’exportation, notamment en Afrique, il apprend à connaître d’autres marchés, à en maîtriser les circuits, et peut y saisir des opportunités, comme le montre son investissement en Guinée. Ce type d’investissement sur le terrain va lui permettre de sécuriser ses parts de marché à l’étranger, de gagner en coûts de transport et, in fine, en marge. »

Le second analyste va encore plus loin : « On assiste à un véritable changement de dimension d’un acteur national qui devient peu à peu régional et même international. » Et avec un bénéfice annuel proche désormais du milliard de dirhams et une trésorerie excédentaire de près de 100 millions d’euros, la Compagnie sucrière marocaine de raffinage a les moyens de ses ambitions.


Diversification amorcée

L’annonce de l’investissement de 350 millions de dirhams dans l’usine de graisses végétales à Casablanca traduit l’ambition du groupe de se diversifier. Si l’on connaissait ses velléités de diversification dans « tout ce qui est fabriqué à base de sucre », comme la confiserie, cette usine devrait lui permettre d’étendre ses ambitions à la biscuiterie.

Mohamed Fikrat nous avait même confié, en juin, qu’il était possible de s’orienter vers des activités hors sucre. « Nous sommes intéressés par l’agrobusiness en général, et d’autres passerelles de l’industrie agroalimentaire peuvent être imaginées. La minoterie par exemple est une piste envisageable et même envisagée sérieusement… »