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Algérie : octobre 1988, les secrets d’un « printemps »
SAS : […] Vous êtes-vous aperçu, vous, le directeur de cabinet, que le pays s’acheminait vers une situation très grave ?
Larbi Belkheir : Effectivement, je m’en étais aperçu quelques semaines auparavant. Il fallait simplement analyser les faits et le contexte dans lequel [les événements] se sont déroulés. Or que s’est-il passé en cet été 1988 ? Le président de la République tentait laborieusement de faire avancer des réformes, le FLN préparait un congrès décisif, une élection présidentielle était annoncée, la rue était en proie aux rumeurs les plus folles, les citoyens faisaient face à des difficultés et à des pénuries alimentaires de toutes sortes. Il régnait un climat général de tension qui a été exacerbé par le discours du 19 septembre annonciateur d’actions décisives et importantes.
Le discours du président est intervenu à un moment où de très nombreuses contradictions qu’on a tenté de cacher ou d’occulter depuis l’Indépendance sont apparues au grand jour
Ce discours était-il provocateur ?
Certainement, mais j’ignorais le but recherché […]. Je ne sais pas comment il a été préparé, car je n’y avais pas pris part. Je crois que le président a voulu surtout sensibiliser l’opinion sur ses projets de réformes et sur les difficultés qu’il rencontrait dans leur mise en œuvre.
Avec du recul, il est possible de dire que la manière avec laquelle le président s’est exprimé a effectivement fait monter la tension d’un cran supplémentaire, mais il n’y a pas que ce discours pour expliquer ce qui allait se produire quinze jours après, le 5 octobre 1988. Il faut surtout bien considérer que le discours est intervenu à un moment où de très nombreuses contradictions qu’on a tenté de cacher ou d’occulter depuis l’Indépendance se sont accumulées et sont apparues au grand jour. La société, ne pouvant supporter davantage le poids de ces contradictions, l’a exprimé, et elle l’a fait avec l’ardeur et la vigueur qui caractérisent sa composante jeune.
Sur un autre plan, le discours bousculait les réfractaires aux réformes et il prenait à témoin l’opinion publique, ce qui a certainement exacerbé un peu plus les antagonismes au sein du parti et des institutions de l’État entre, d’une part, les conservateurs, qui s’opposaient aux réformes ou qui tentaient de les retarder et, d’autre part, les tenants de ces réformes.