[Édito] De Conakry à Yaoundé, via Erevan

D’une rencontre avec le président guinéen Alpha Condé à l’élection présidentielle au Cameroun, en passant par le sommet de la Francophonie à Erevan, l’actualité africaine de la semaine du 8 octobre vue par François Soudan.

Emmanuel Macron avec le président gabonais Ali Bongo Ondimba. © @PresidenceGA

Emmanuel Macron avec le président gabonais Ali Bongo Ondimba. © @PresidenceGA

FRANCOIS-SOUDAN_2024

Publié le 14 octobre 2018 Lecture : 4 minutes.

Mardi 9 octobre

Dîner avec Alpha Condé au palais de Sékhoutoureya, à Conakry. Le menu est frugal, les plats défilent vite : riz, gambas, fonio, riz encore, eau minérale, tisane. C’est lorsqu’il voyage que ce président se lâche un peu côté gastronomie. Ici, il n’a pas le temps.

À sa table, en ce début de semaine : le chef de l’opposition d’un pays de la région, un homme d’affaires et investisseur sénégalais aussi fortuné que discret, un banquier camerounais. On parle par bribes. Télécommande en main, le maître des lieux zappe du JT local à Euronews, de la BBC à Missouri Breaks – western avec l’acteur Marlon Brando, qu’il affectionne. Dimanche soir, c’était PSG-Lyon : inutile de préciser laquelle des deux équipes supporte celui qui fut parisien pendant trois décennies.

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>>> À LIRE – [Editorial] Alpha Condé, omniprésident

La célébration – grandiose – du soixantième anniversaire de l’indépendance de la Guinée en présence de dix chefs d’État, le 2 octobre, alimente encore les conversations. Notre hôte n’en est pas peu fier. Pour la première fois, ses forces spéciales, avec à leur tête un ancien légionnaire de l’armée française, ont défilé. Ses pairs se sont extasiés devant sa forme olympique – à 80 ans, comment fait-il pour rester debout des heures durant et demeurer ce président de tout et de partout ? Quelle est sa potion magique ? Évidemment, il ne le dira pas.

Son seul regret : que son vieux camarade Gérard Collomb, annoncé pour les festivités, ne soit pas venu pour cause de démission. Fâché, il l’a appelé pour l’engueuler : « Tu aurais pu être là quand même, ou alors retarder ta démission ! » « Je viendrai à Conakry avant la fin de l’année, en tant que maire de Lyon », lui a promis l’ex-ministre de l’Intérieur. La veille, c’était au tour de Laurent Fabius, président du Conseil constitutionnel, d’être amicalement bousculé pour une consultation juridique urgente. Ainsi est Alpha Condé. On ne peut rien lui refuser.

La génération des francophiles binaires a laissé la place à celle des francophiles exigeants

Jeudi 11 octobre

Condé a rejoint le club des chefs francophones, réunis depuis ce matin à Erevan pour le sommet de l’OIF. La génération des francophiles binaires (tirailleurs ou rebelles) des années 1960-2000, quand s’opposer à la France équivalait à risquer son fauteuil et parfois sa peau, a laissé la place à celle des francophiles exigeants, conscients que l’irruption de nouveaux acteurs internationaux a totalement ringardisé le tête-à-tête obligé avec l’ex-puissance coloniale.

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Après des décennies d’interventionnisme de l’Élysée au sein de son pré carré, la distance prise par Emmanuel Macron est très loin de leur déplaire, même si elle s’accompagne d’une réticence à nouer des relations amicales. « Personne n’a de leçon à donner à qui que ce soit », ou encore, « nous n’avons aucune leçon à nous donner, mais des combats à mener ensemble » : ces phrases extraites du discours du président français à Erevan coulent comme du miel aux oreilles de ses homologues africains, beaucoup moins à celles de leurs opposants.

L’élection présidentielle malienne a servi de premier test à la non-ingérence affichée d’Emmanuel Macron, pour qui les vrais problèmes du continent sont ailleurs – migrations, sécurité, démographie, jeunesse, développement, climat. D’autres épreuves ne tarderont pas à suivre…

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Vendredi 12 octobre

À commencer par le scrutin qui a eu lieu le 7 octobre au Cameroun et dont on attendait toujours les résultats, à l’heure où ces lignes étaient écrites. Sous le titre « L’automne chaotique d’un patriarche africain », le Financial Times qualifie le pays de Paul Biya de « grande tragédie à venir dont personne ne parle ». Ce jugement, directement influencé par le climat de guerre civile qui règne dans les deux provinces anglophones du Cameroun, est sans nul doute exagéré.

>>> À LIRE – Présidentielle au Cameroun – Jean-Michel Nintcheu du SDF : « Je soutiens Maurice Kamto »

Mais il est vrai que le Cameroun inquiète. Et l’attitude des principaux opposants, qui, après s’être autoproclamés vainqueurs de la consultation, en sollicitent l’annulation totale ou partielle, ne facilite guère la lecture d’un avenir postélectoral qui devrait une fois de plus s’écrire sous la dictée de l’inoxydable maître d’Etoudi.

L’incapacité de l’opposition à présenter un candidat unique fait le lit des régimes sortants

Ici comme hier à Bamako et peut-être demain à Kinshasa, c’est l’incapacité de l’opposition à présenter un candidat unique susceptible de transcender les structurations ponctuelles et opportunistes qui fait en large partie le lit des régimes sortants candidats à leur propre succession. Des deux rives de la ligne de front qui sépare, d’un côté, les pouvoirs atteints par la date de péremption et, de l’autre, les oppositions adeptes de l’autodestruction par la division, l’absence de grands hommes d’État est cruelle.

Réduits au rôle de spectateurs de leur propre destin, les citoyens sont de plus en plus nombreux à se démobiliser et à ne plus percevoir le rôle essentiel qui est le leur dans une société démocratique. Pendant, mais aussi avant et après le jour J.

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