Ce jour-là : le 12 octobre 1968, le Tigre de Malabo arrive au pouvoir

Il y a cinquante ans, le pays devenait indépendant et portait à sa tête Francisco Macías Nguema. S’ouvrait alors une décennie de terreur à ce jour peu documentée.

Dans les années 1970, la France soupçonne Francisco Macías Nguema de souffrir de troubles mentaux © RIA Novosti/Spunik/AFP

Dans les années 1970, la France soupçonne Francisco Macías Nguema de souffrir de troubles mentaux © RIA Novosti/Spunik/AFP

ProfilAuteur_MichaelPauron

Publié le 12 octobre 2018 Lecture : 6 minutes.

Ce sont des souvenirs douloureux, recueillis en 2016, en pleine campagne électorale. Quelques jours plus tard, Teodoro Obiang Nguema Mbasogo sera réélu avec près de 94 % des voix, mais pour l’heure, à la télé, un match du Real Madrid enthousiasme les quelques clients d’un maquis équato-guinéen. Les yeux rougis par la fatigue, le whisky et la fumée de cigarette, Alfonso Nsue Mokuy, troisième vice-Premier ministre chargé des droits de l’homme, convoque le passé.

Quiconque détenait la moindre parcelle de pouvoir avait droit de vie ou de mort sur vous

« À l’époque de Francisco Macías Nguema, quiconque détenait la moindre parcelle de pouvoir avait droit de vie ou de mort sur vous », raconte cet ancien journaliste. Plus tard dans la nuit, à l’approche de Bata, il désigne un terrain vague attenant à une caserne militaire. « Des femmes étaient retenues là. Certaines étaient les épouses de ministres tombés en disgrâce. Elles étaient mises à la disposition des militaires, parfois après avoir été violées par Macías sous les yeux de leur mari. »

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Indépendance de la Guinée équatoriale

Deux ans se sont écoulés. L’ancienne colonie espagnole s’apprête à fêter le cinquantième anniversaire de son indépendance, le 12 octobre 1968, date de l’arrivée au pouvoir de Francisco Macías Nguema, premier président de Guinée équatoriale. On estime à 40 000 le nombre de personnes assassinées jusqu’à ce que lui-même soit renversé par son neveu, Teodoro Obiang Nguema Mbasogo, et arrêté le 18 août 1979.

De Francisco Macías Nguema Biyogo Ñegue Ndong, on sait peu de choses

Alors qu’il était encore en fuite, sa modeste villa de Nzengayong est fouillée. Y est découverte une prison, où s’entassent jusqu’à 300 personnes. Et des charniers. Les détenus y étaient torturés avant d’être abattus à coups de gourdin, parfois par le maître des lieux lui-même. Le souvenir de ces onze années de terreur reste vivace, mais de Francisco Macías Nguema Biyogo Ñegue Ndong, on sait peu de choses.

Au lendemain de l’indépendance, face aux vociférations anti-espagnoles du Tigre de Malabo, le général Franco censure toute information provenant de l’ancienne colonie. Puis la Guinée équatoriale se ferme à la presse étrangère, et de nombreuses archives sont détruites par Macías lui-même. Peu cultivé, il honnissait les « intellectuels ». Le terme avait d’ailleurs été banni. Certains ont été exécutés pour l’avoir prononcé. D’autres pour l’avoir été.

« Collaborationniste »

Macías se comparait à un tigre, mais de cet animal absent de la jungle équato-guinéenne, il n’avait que le nom. Complexé, fébrile et agité, tout au plus ressemblait-il au coq qu’il avait choisi comme emblème pour sa campagne, en 1968.

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Fang issu du clan des Esangui, il naît en 1924 à Nfengha, mais c’est dans le district de Mongomo qu’il s’établit avec sa famille – la région demeure, aujourd’hui encore, le fief de la famille Nguema. De père et mère gabonais (ils venaient du Woleu-Ntem), il étudie à l’école catholique, entre dans l’administration coloniale et obtient son émancipation en 1950. Interprète auxiliaire au « tribunal de race », il devient maire de Mongomo.

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En 1961, il est le porte-parole d’une délégation qui se rend à Madrid pour rendre hommage à Franco à l’occasion du vingt-cinquième anniversaire de sa prise de pouvoir. Son deuxième voyage dans la capitale espagnole a lieu dans le cadre des consultations pour l’autonomie. Ayant adopté « un comportement passablement collaborationniste », selon le chercheur suisse Max Liniger-Goumaz, Macías ne sera jamais torturé ni emprisonné, contrairement à la plupart des indépendantistes. Son discours anti-espagnol apparaît bien plus tard.

Guerre froide

En pleine guerre froide, lâché par les Espagnols, qui feront leur possible pour le renverser (un coup d’État mené dès août 1969 échoue), Macías sait qu’il peut trouver des soutiens auprès des Cubains, des Russes et des Nord-Coréens. Moscou s’installe sur l’île de Bioko. De là, les Soviétiques font parvenir des armes au Mouvement populaire de libération de l’Angola (MPLA). L’Équato-Guinéen, passé maître dans l’art du chantage, profite de cette position pour soutirer quelques sommes d’argent, remettant en question la concession tous les ans.

La Guinée équatoriale a fini par avoir des airs de Corée du Nord

Les Cubains lui fourniront des soldats, tout comme les Nord-Coréens, qui constitueront sa garde jusqu’à sa chute. La Guinée équatoriale a d’ailleurs fini par avoir des airs de Corée du Nord, « un camp d’extermination à ciel ouvert », dénoncera tardivement un diplomate onusien à la fin des années 1970. Les œuvres complètes de Kim Il-sung faisaient d’ailleurs partie du peu de livres que possédait Macías, et sa fille, Monica, a grandi à Pyongyang.

À la tête du seul pays non francophone de la région, il se rapproche de la France. Le rôle de Paris durant cette période est resté flou jusqu’à la récente ouverture des archives de Jacques Foccart, « Monsieur Afrique » de l’Élysée de 1960 à 1974. Selon Valérie de Wulf, archiviste spécialiste de la Guinée équatoriale, les nombreuses notes établies par les diplomates français de la région, puis par les premiers ambassadeurs en poste à Malabo (quatre s’y succéderont en onze ans), permettent d’en savoir un peu plus sur le personnage.

Double jeu

On y apprend que le rapprochement entre Macías et la France a été orchestré par deux acteurs de la région. Le 20 février 1969, Omar Bongo, président du Gabon, indique dans une missive destinée à l’Élysée souhaiter une relation plus étroite entre Paris et Malabo, et sa démarche est soutenue par le Camerounais Ahmadou Ahidjo. Dès lors, Paris jouera un double jeu : d’un côté, il négociera des contrats avec Malabo ; de l’autre, il conseillera Omar Bongo dans la revendication d’îles (dont celle de Mbanié) au large desquelles la France réalise des prospections.

De ces archives, il ressort aussi que Paris s’intéresse peu au sort des Équato-Guinéens. Mais l’ambassadeur sur place fait rapidement part de ses doutes sur la santé mentale de Macías. Il s’appuie sur une note du Service de documentation extérieure et de contre-espionnage (SDECE), qui mentionne un rapport médical établi avant les élections de 1968 (Macías a effectivement été traité à la clinique Ruben de Madrid à cette période).

Macías ne buvait pas d’alcool mais était un amateur d’iboga et de bhang provoquant chez lui des hallucinations et exacerbant sa paranoïa

Il y serait fait état de « maladies vénériennes et de troubles mentaux ». « Rusé et travailleur », selon les services français, Macías ne buvait pas d’alcool mais était un amateur d’iboga et de bhang (infusion de cannabis), provoquant chez lui des hallucinations et exacerbant sa paranoïa.

Sous silence

Jusqu’au milieu des années 1970, la communauté internationale est restée relativement silencieuse. Pourtant, « l’unique miracle de la Guinée équatoriale », comme il s’est autoproclamé, a rapidement mis le pays en coupe réglée. En 1970, un recensement indique que ce dernier compte 225 000 habitants. Macías, qui affirmait qu’ils étaient un million, se vante d’avoir fait couper les pieds et les mains de Saturnin Antonio Ndongo, un directeur de la statistique, pour « lui apprendre à compter ».

Une dernière colère, un dernier ordre d’exécuter des officiers venus demander leur solde, déclenche le coup d’État orchestré par son neveu

Le pays est isolé, et ses caisses se vident. La chute est inévitable. Une dernière colère, un dernier ordre d’exécuter des officiers venus demander leur solde, déclenche le coup d’État orchestré par son neveu, alors vice-ministre à la Défense, et bras armé du régime. Depuis, quatre décennies ont passé. Et même si les crimes de Macías demeurent peu documentés, à Malabo, personne n’a oublié ce que fut son règne fou.

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