Mauritanie : Biram Dah Abeid, une victoire malgré tout pour l’opposant emprisonné

Le militant mauritanien Biram Dah Abeid a réussi à se faire élire député… depuis sa cellule de la prison de Nouakchott.

L’opposant mauritanien Biram Dah Abeid. © Sylvain Cherkaoui pour JA

L’opposant mauritanien Biram Dah Abeid. © Sylvain Cherkaoui pour JA

Publié le 18 septembre 2018 Lecture : 3 minutes.

Le président mauritanien Mohamed Ould Abdelaziz à Nouakchott, le 2 juillet 2018. © Ludovic Marin/AP/SIPA
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Élections en Mauritanie : recomposition politique en cours

L’Union pour la république (UPR, parti au pouvoir) est arrivée largement en tête du premier tour des élections législatives du 1er septembre 2018. Mais les résultats de ce scrutin marqué par des problèmes d’organisation, montre d’ores et déjà une recomposition du paysage politique. Une nouvelle donne que devrait confirmer le second tour, qui se tient le 15 septembre.

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Emprisonné depuis début août, Biram Dah Abeid est parvenu à se faire élire député le 1er septembre, à l’issue du premier tour du scrutin législatif. Un premier mandat pour le président de l’Initiative pour la résurgence du mouvement abolitionniste (IRA-Mauritanie), devenu l’un des opposants les plus virulents au chef de l’État, Mohamed Ould Abdelaziz, et qui connaît bien l’endroit pour avoir séjourné entre ces murs étroits à deux reprises, en 2012 et en 2014.

Cette fois, « Biram » fait l’objet d’une plainte pour « menaces, appel au meurtre et violation de domicile » déposée par le journaliste Abdallah Deddah – une « cabale judiciaire », selon l’entourage du militant et les associations. Arrêté le 7 août, il n’a pas été jugé en comparution immédiate, mais placé, le 13 août, en détention provisoire, puis préventive un mois plus tard : il est donc demeuré éligible.

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Pacte « contre-nature »

L’ex-correspondant d’Al-Jazira questionnait, dans le cadre d’un documentaire, l’alliance nouée en juin par Biram et le parti nationaliste arabe Sawab, dirigé par Abdel Salam Horma. Ce pacte a été perçu comme « contre-nature » en Mauritanie, tant Biram est proche des Halpulaars et des Soninkés, son électorat traditionnel.

« Deddah a été accueilli dans la famille de Biram, explique le porte-parole de ce dernier, El Hadj Fall. Mais il a utilisé les propos de Biram contre lui et nous l’avons vécu comme une trahison. » Un point de vue contesté par Moussa Ould Behli, le président de l’association des journalistes mauritaniens, qui soutient la plainte de son confrère, dont il estime le travail « très équilibré ».

Son immunité parlementaire le protégera-t-elle d’une éventuelle condamnation

Reste que Biram aurait ensuite violemment insulté Abdallah Deddah, appelant ses militants à se rendre à son domicile – des bandes-son ont circulé. Ceux-ci auraient obtempéré, contraignant Deddah et son épouse à se réfugier « deux jours chez un ami ». « C’est un homme blessé qui s’est exprimé, et c’est vrai qu’il ne tourne pas autour du pot, justifie El Hadj Fall. Mais je ne vois pas lequel de nos militants serait allé menacer ce journaliste. »

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Après une tentative de médiation, notamment conduite par le militant historique de la cause des Haratines (descendants d’esclaves), Messaoud Ould Boulkheir, Abdallah Deddah a accepté de retirer sa plainte si Biram lui présentait ses excuses. Ce dernier a refusé, ce que ses détracteurs ont perçu comme une volonté d’instrumentaliser l’affaire afin de lui donner un écho médiatique à la veille des élections et de se positionner en martyr. « Il était hors de question d’accepter, il n’avait pas à s’excuser, poursuit El Hadj Fall. Nous défendons nos causes jusqu’au bout. »

Alors que les opposants mauritaniens restent peu connus en dehors des frontières du pays, Biram est en effet parvenu à médiatiser son combat à l’international, obtenant même en 2013 le prix des Nations unies pour les droits de l’homme. Arrivé second à la présidentielle de 2014 avec l’étiquette de candidat indépendant (8,67 % des voix), il lui restait encore à acquérir une véritable stature nationale, notamment auprès des Maures, qui, pour beaucoup, considèrent son discours comme « hostile » à leur égard. « Il existe à l’extérieur, mais il ne pèse pas en Mauritanie, affirme un proche de Mohamed Ould Abdelaziz. Ses discours à l’égard des Maures sont haineux et insultants. »

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Au pied du mur

De plus, l’IRA demeure une association et, malgré ses multiples demandes, elle n’a jamais réussi à faire légaliser son parti, le RAG. Dès 2017, Biram s’est donc rapproché des partis traditionnels de l’opposition afin de négocier une alliance.

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Il affirme avoir obtenu un accord verbal du Front national pour la démocratie et l’unité (FNDU) stipulant qu’il cédait à cette plateforme la tête de la liste nationale et serait en retour son candidat unique à la présidentielle de 2019 – ce que démentent aujourd’hui plusieurs partis. Le pacte serait tombé à l’eau à la veille des élections législatives, plaçant Biram au pied du mur et faisant de Sawab, petite formation menacée de dissolution, l’ultime recours. Quitte à se mettre à dos une grande partie de son électorat.

Depuis son arrestation, Biram a refusé d’être entendu par le juge qui s’est déplacé pour le rencontrer, reportant ainsi à fin octobre sa prochaine audience (la détention préventive est fixée à six mois en Mauritanie, renouvelable une fois.) En attendant, il reçoit les visites de sa famille et de ses avocats deux fois par semaine, les mardis et jeudis. Dès la proclamation des résultats du second tour, qui a eu lieu le 15 septembre, il disposera de l’immunité parlementaire. Reste à savoir si elle le protégera d’une éventuelle condamnation.

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