Burkina Faso – Tendance : fantastique plastique !

Des ateliers de recyclage fleurissent un peu partout au Burkina Faso, où le secteur de la mode se pique d’éthique environnementale.

Des sacs et des bracelets conçus à partir de bouteilles ou de sachets usagés. © Movement France

Des sacs et des bracelets conçus à partir de bouteilles ou de sachets usagés. © Movement France

eva sauphie

Publié le 18 septembre 2018 Lecture : 5 minutes.

Plus de 100 000 tonnes ! Voilà le nombre étourdissant de déchets plastique produits en 2010 au Burkina, d’après une étude de l’Uemoa. Pollution de l’air, contamination des sols, mort prématurée du bétail – premier consommateur de sacs en plastique malgré lui –, l’invasion de ce matériau est un fléau pour l’environnement du pays.

Alors que de nombreux États africains, dont le Burkina Faso, ont adopté une loi interdisant la production, l’importation, la vente et la distribution des sachets noirs et fins servant à emballer les aliments, la gestion des décharges sauvages demeure un défi colossal. Aussi, pour y parvenir, des solutions ont-elles été imaginées par une poignée de créatifs engagés, passés maîtres dans l’art de la récup et ardents défenseurs de la mode écolo.

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Parmi eux, deux Françaises. La première, Delphine Kholer, est à l’origine de la marque Facteur céleste. Depuis dix ans, elle s’entoure de couturières burkinabè dans le cadre de son projet Recycsacplastic, parrainé par l’association parisienne qu’elle préside, Les Filles du facteur. La structure emploie aujourd’hui 50 femmes établies à Ouagadougou. Lesquelles travaillent actuellement à leur dernière collection de paniers et pochettes combinant deux types de déchets d’emballage.

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Pour un sac de la ligne Vitale (compter environ 140 euros), ce sont onze bouteilles de Coca, Schweppes ou Badoit qui sont réutilisées, découpées en carrés puis reliées au crochet avec du fil obtenu à partir de sacs en plastique. De quoi donner bonne conscience et style aux bobos des capitales européennes, la cible principale de la marque aujourd’hui distribuée par le très branché Conran Shop.

« P3 »

Dans le même sillage, le Plastique projet pochette, abrégé en « P3 ». « On parvient à recycler 50 sachets en fabriquant un cabas », s’enthousiasme Gaëlle Nougarede, fondatrice du concept né en 2014 à Ouahigouya, dans le nord du pays. Une dizaine de femmes, dans leur atelier, s’attellent à transformer les sachets Pure Water, ces poches d’eau potable qui jonchent les rues burkinabè, en sacs à main, trousses, sets de table, cache-pots et autres fanions cousus de wax.

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« L’idée de départ est de travailler un objet dont on ne peut plus rien faire après utilisation », rappelle la diplômée en développement durable et en environnement, qui propose un produit fini localement. Vendus à moindre coût (5 euros la petite pochette et 15 euros le plus grand sac), les produits P3 ont aussi le mérite de défier la concurrence chinoise.

Au départ, on recueillait le plastique dans les caniveaux, les gens du village se demandaient ce qu’on était en train de faire

Un positionnement stratégique pour la marque, qui lui permet de toucher un public de touristes à la recherche de cadeaux souvenirs éthiquement corrects. On retrouvera ainsi certains de ses articles du côté de la Zone du bois, à Ouaga, dans la boutique de la charmante Umoja Guest House, ou encore sur les étals de plusieurs marchés d’Europe.

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Si la transformation représente une étape cruciale, celle du ramassage demeure essentielle. Aussi, Gaëlle Nougarede a installé 30 poubelles publiques à Ouahigouya, grâce au soutien du maire, pour faciliter ses collectes et, surtout, sensibiliser la population. « Au départ, on recueillait le plastique dans les caniveaux. Les gens du village se demandaient ce qu’on était en train de faire. C’est de cette manière que l’on a commencé à les alerter sur les dangers de la pollution environnementale », souligne celle qui espère mettre en place quatre ateliers de recyclage d’ici à 2020.

Greenwashing

Delphine Kohler a, elle aussi, été confrontée au même problème. « À un moment, j’ai été dépassée par mon projet. Les couturières achetaient des sacs en plastique neufs ! s’étonne-t-elle encore. Aujourd’hui, elles ont conscience et sont fières de produire des objets respectueux de l’environnement. »

Malgré des débuts bancals, l’association Gafreh, de Bobo-Dioulasso (dans le sud du pays), peut se flatter de commandes de choix. Elle a collaboré avec l’enseigne française Monoprix à l’occasion de la semaine du développement durable, un an seulement après le lancement de Recycsacplastic.

« En travaillant avec nous, les marques s’achètent aussi une image », reconnaît Delphine Kohler. En 2011, l’enseigne de luxe Yves Saint Laurent passait commande auprès de la coopérative d’un sac recyclé en édition limitée vendu à plus de 1 000 euros pièce. Un moyen pour la griffe française, pas franchement championne de l’éthique (notamment au regard de la préservation des ressources naturelles comme la fourrure), de s’engager sur le terrain vert.

Nos clients ne sont pas les magasins bio, mais les boutiques hype qui repèrent avant tout le design, sans voir le sac en plastique

Mais c’est aujourd’hui grâce à la créativité de l’atelier Swop (Sachets Worodogo Ouagadougou Paagba) et de ses 50 artisanes que Delphine Kohler peut se targuer de rendre le plastique fantastique. À l’aide de sachets rouges, verts, blancs ou roses, les créations sont désormais ornées de couleurs et de motifs.

Une originalité qui a permis à la marque made in Ouaga de participer au célèbre Salon Maison et Objet en 2015, à Paris, et de retenir l’attention des acheteurs venus des capitales de la mode comme Tokyo, New York et Londres. « Nos clients ne sont pas les magasins bio, reconnaît Delphine Kohler, mais les boutiques hype qui repèrent avant tout le design, sans voir le sac en plastique. »

Bonne nouvelle, celui-ci tend à disparaître au Burkina depuis l’apparition de son cousin oxodégradable. Conçu pour se détruire par oxydation, ce sac ne fait pourtant pas l’unanimité auprès des green lovers – il laisserait des particules dans la terre, une fois fragmenté. Mais les ambassadrices de la mode durable ne sont jamais à court d’idées. « On est déjà dans l’avenir », s’exclame Delphine Kohler, qui travaille aujourd’hui le plastique vintage pour la confection de nouvelles lignes… rétrofuturistes.

Yoda, maître de récup

Le Burkinabè Philippe Yoda est devenu en l’espace de quelques années la figure de proue du recyclage dans son pays. L’ancien plombier à l’origine de l’Association pour l’innovation et la recherche technologique appropriée en environnement (Airtae) transforme le moindre bout de plastique en or. Ses pavés, tables d’écolier, loges de compteurs de l’Office national de l’eau et de l’assainissement (Onea) confectionnés à partir de déchets plastique recyclés puis fondus lui ont valu de remporter le prix du président en 2008.

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