
Christian Penda Ekoka. © Iboga studio Cameroun
Conseiller du président et membre du RDPC, cet économiste inclassable ne fera pourtant pas campagne pour la réélection de Paul Biya le 7 octobre. Christian Penda Ekoka explique à JA les raisons de cette prise de position aussi retentissante que courageuse.
Il avait déjà refusé de signer la pétition des dignitaires du Littoral – sa région d’origine – appelant Paul Biya à briguer un septième mandat. À 66 ans, l’économiste Christian Penda Ekoka tourne une nouvelle fois le dos au locataire du palais d’Etoudi dont il est pourtant l’un des conseillers : il ne fera pas campagne pour la réélection de Paul Biya. Et ce n’est pas tout. Encarté au Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC) depuis vingt-deux ans, ce militant connu pour ses vidéos virales sur la Toile devrait aussi prendre fait et cause publiquement pour l’un des candidats de l’opposition. S’il affirme ne pas avoir encore décidé lequel, il confesse des convergences de vues avec certains d’entre eux. Mais il avertit qu’il ne leur accordera pas de blanc-seing.
Christian Penda Ekoka reproche au président camerounais sa stratégie des petits pas, qu’il juge dépassée et inopérante au regard de l’importance des enjeux. « Le monde va très vite, le Cameroun, trop lentement », résume celui qui se présente comme un libéral de gauche. Selon lui, c’est ce décalage qui crée des dysfonctionnements et engendre les crises dans lesquelles le pays s’enlise. « Le Cameroun souffre de ses défaillances de leadership et d’insuffisances institutionnelles. »
Mais Penda Ekoka est persuadé que le pays peut encore tenir son rang. « Cela exige des réformes en profondeur des institutions, certes. Il faut un dirigeant qualifié pour impulser le changement escompté, un leader qui cesse d’isoler le pays du reste du monde, qui s’arrime au train de la modernité. »
Paul Biya en a-t-il encore la force, l’énergie et surtout la volonté ? L’économiste rétorque que ce n’est pas à lui d’en juger, mais glisse : « Après une cinquantaine d’années au service de l’État, on devrait aspirer au repos. »
Il se dit également convaincu de ne pas être la seule voix dissonante au sein du RDPC. À l’en croire, beaucoup n’osent pas formuler leur désir de changement. « Nous avons au Cameroun une formule très contre-productive : ”On va faire comment ?” Comme s’il n’y avait pas de solution. La société est résignée, défaitiste, fataliste. C’est cette pensée monolithique qui est dangereuse. »
Électron libre
Interrogé sur l’incongruité qu’il pourrait y avoir à être membre du RDPC et à refuser de soutenir son candidat, il explique que la présidentielle n’est pas une élection de partis : « Je ne voyage pas avec l’étiquette RDPC collée au front, mais avec des convictions. »
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Il y avait pourtant au départ une certaine alchimie entre la classe politique et cet ingénieur diplômé de Polytechnique Montréal qui a suivi des études d’économie, de finance et de management. Haut cadre de la Société nationale d’investissement (SNI) à tout juste 30 ans, il démissionne au début des années 1990 pour créer un cabinet de conseil international. Alors qu’il parcourt l’Afrique et les Caraïbes pour le compte de diverses institutions internationales (dont la Banque mondiale et la Banque africaine de développement), il est régulièrement sollicité par les autorités camerounaises que ses analyses et sa liberté de ton séduisent.
Le RDPC aussi le repère. Sans le consulter et alors même qu’il n’en fait pas encore partie, la formation le nomme chargé de mission en 1992. Ce qu’il décline. Il ne rejoindra finalement le parti présidentiel qu’en 1996. Le voici membre d’un groupe de réflexion au côté de Joseph Charles Doumba, alors secrétaire général du parti. En 2004, l’électron libre participe à la création d’un courant moderniste et réformateur, pour faire du RDPC un vrai parti de développement. « Nous voulions libérer le président Paul Biya, pris en otage par quelques-uns de nos militants. »
Prôner la sécession, c’était simplement adopter une position extrême de négociation
Ce courant a vite disparu, victime de camarades qui voulaient l’utiliser comme tremplin pour leur carrière. « Un jour, Martin Belinga Eboutou [l’ancien directeur du cabinet civil] m’a demandé si je voulais être ministre ou directeur général de l’une de nos grandes entreprises d’État, raconte Penda Ekoka en évoquant les circonstances de sa nomination comme conseiller du chef de l’État. Mais cela ne m’intéressait pas. » Après deux années de travail sans contrepartie – une étrangeté au Cameroun, où tout se monnaie – dans l’ombre de Belinga, Christian Penda Ekoka se voit proposer en 2010 ce poste qu’il dit n’avoir jamais convoité. Très critique envers le système, il accepte néanmoins « pour changer les choses de l’intérieur ».
En huit ans, il rédige une centaine de notes sur des sujets aussi divers que la promotion du bilinguisme – avant la crise anglophone –, le rétablissement d’une liaison ferroviaire expresse entre Yaoundé et Douala, la renégociation des droits de transit du pipeline Tchad-Cameroun… « Biya lit toutes les notes qui lui sont adressées », dit Penda Ekoka, qui sait que ses recommandations n’ont pas toujours été suivies, et c’est peu dire !
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Aux premières semaines de la crise anglophone, il a ainsi appelé en vain à l’ouverture de négociations, y compris avec les sécessionnistes. « Prôner la sécession, c’était simplement adopter une position extrême de négociation. On aurait pu trouver des compromis et éviter l’escalade dans la violence. » Il ajoute que cette crise aura été une occasion manquée de réformer les institutions, en optant par exemple pour une autonomisation profonde des régions.
Ni aigri ni frustré
Penda Ekoka reproche aussi à l’exécutif de laisser libre cours à la corruption en tardant à faire appliquer l’article 66 de la Constitution, qui impose aux personnes occupant de hautes fonctions dans l’administration de déclarer leur patrimoine. « Des fonctionnaires blanchissent en toute impunité, notamment dans l’immobilier, l’argent qu’ils détournent. Ils construisent des immeubles de standing aux loyers prohibitifs qui restent vides. Les propriétaires sont pourtant connus ! » Et d’ajouter : « Ce qui manque au Cameroun, c’est une classe politique responsable, qui s’exprime vraiment au nom de la population. Il n’y a pas chez nous, comme au Sénégal, un personnel politique varié de remplacement. »
Père de trois enfants, deux fois grand-père, ce conseiller pas comme les autres travaille depuis un an à la mise sur orbite, en dehors du RDPC, d’un mouvement, Agir, qui entend influencer la politique camerounaise et pousser les mentalités à changer. À ceux qui lui font remarquer qu’il aurait pu contribuer à l’élaboration du programme du candidat Biya, il rétorque : « Pourquoi me battrais-je pour un candidat que je ne soutiens pas ? »
Pour oser quitter ainsi le camp présidentiel, n’aurait-il pas quelque aigreur, comme l’affirment ses détracteurs ? « Ni aigreur ni frustration. Mes convictions reposent sur des faits et non sur la colère. » A-t-il conscience que ce retrait est un suicide politique ? « Être conseiller n’est pas mon oxygène. On ne fait rien d’extraordinaire la peur au ventre. »
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