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Le Congo à l’heure des comptes
Héritière d’une lignée de trois générations de couturières, Adriana Talansi s’est dans un premier temps orientée vers une tout autre carrière. Après un baccalauréat en gestion, elle a fait des débuts en tant qu’assistante de direction. Le décès d’un proche, en 2011, agit comme un électrochoc. La jeune femme, qui a alors 20 ans, démissionne, prend des cours de dessin en ligne et se forme pendant deux ans auprès des couturiers Maître Fall et Aimé Christian. En 2014, elle lance sa première collection, qu’elle baptise « Simple et sublime ». La même année, elle remporte la première édition du prix Sorom Fashion Independance Women, à la Brazza Fashion Night, et est choisie par le comité de Miss Cabinda, en Angola, pour habiller ses candidates.
Depuis, les collections de la maison Talansi s’enchaînent, les prix et les podiums aussi. La créatrice a participé à des festivals de la mode à Dubaï (Émirats arabes unis), Londres (Royaume-Uni), Mombasa (Kenya), Lomé (Togo) et Pointe-Noire – où la 5e édition du Carrousel international de la mode s’est tenue à la mi-mai. Ses modèles ont défilé sur le catwalk du Radisson Blu lors de la Fashion Week de Dakar. Ils seront à Lagos, à la mi-septembre, pour l’Africa Fashion Week Nigeria.
Être Africain, c’est utiliser les tissus de chez soi
Tissu typiquement local
« En général, les gens m’assimilent au wax, parce que mon atelier est basé en Afrique, mais je ne suis pas une “créatrice africaine” : je suis d’abord une créatrice, tout simplement, et une créatrice de haute couture », insiste-t-elle. Elle n’en défend pas moins l’identité de la culture africaine. Les matériaux qu’elle travaille – raphia, pagne tissé, bogolan, etc. – soulignent son positionnement et son engagement dans la défense des savoir-faire et des artisans du continent. « Le wax est fabriqué quasi exclusivement aux Pays-Bas et en Chine. Ce ne sont donc pas les économies de nos pays qui en bénéficient, déplore-t-elle. Être Africain, c’est utiliser les tissus de chez soi. »

Adriana Talansi et ses modèles à la Fashion Week de Dakar, au Sénégal, en juin 2018 © Youri Lenquette pour JA
Tous les modèles de la maison Talansi sont fabriqués au Congo, dans son atelier de Pointe-Noire. À son grand dam, les deux entreprises de textile locales, Sotexco et Impreco, ayant fermé au début des années 1990, les tissus sont importés.
Je veux rendre le raphia doux à porter, varié, comme à l’époque de nos ancêtres
Elle a d’ailleurs pour ambition de réhabiliter le raphia – tissu typiquement local –, qu’elle se procure auprès d’artisans au Congo et au Cameroun. « Avec ma précédente collection, “Héritage”, j’ai essayé de mettre en valeur ce tissu qui représente davantage notre identité, explique la créatrice. J’aimerais qu’on ne le porte pas que pour les dots ou les cérémonies du village. Je veux rendre le raphia doux à porter, varié, comme à l’époque de nos ancêtres, où il y avait différents styles de textiles. Je suis allée chercher les personnes qui maîtrisent encore ce savoir-faire. »
À raison d’une collection de haute couture par an, de 12 à 20 pièces, et d’une collection de prêt-à-porter par trimestre, Adriana Talansi est parvenue à se constituer une clientèle au Congo, mais aussi à l’étranger, surtout aux États-Unis. Il faut compter entre 600 et 1 000 euros pour un modèle original, et entre 20 et 45 euros pour un vêtement de confection.
« Les clientes africaines ne sont pas prêtes à acheter du prêt-à-porter confectionné en Afrique. Beaucoup considèrent encore que tout ce qui est beau vient d’Europe, alors qu’aujourd’hui on retrouve l’Afrique chez tous les grands créateurs du monde ! Il est temps que nous dépensions notre argent sur le continent pour renforcer son économie. »