
Le 23 juillet, à Bamako, lors d'une caravane citoyenne organisée par le Prgramme des Nations unies pour le développement. © REUTERS/Luc Gnago
Entre soupçons de fraude, crainte de contestation et menace terroriste, la perspective de la présidentielle préoccupe toute la région. Et au-delà.
D’un côté, le président Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) et son entourage promettent le « takokelen », une victoire dès le premier tour. De l’autre, les opposants, Soumaïla Cissé en tête, qui n’envisagent pas d’autre option qu’une défaite du président sortant. Au milieu, un océan de craintes sur la tournure que pourrait prendre la présidentielle, dont le premier tour doit se tenir le 29 juillet.
Pour l’opposition, pas de doute : IBK ne peut l’emporter sans frauder. Ces derniers mois, ses adversaires n’ont cessé de dénoncer la volonté du pouvoir de fausser le scrutin. Remplacement de sous-préfets et de préfets, révision du fichier électoral, mode de compilation des résultats, taux de distribution des cartes d’électeur… Les griefs sont nombreux.
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« Les préparatifs des élections ont été inclusifs. L’opposition a été associée à tout le processus et aura des représentants dans chacun des 23 000 bureaux de vote, répond le Premier ministre, Soumeylou Boubèye Maïga. Je ne comprends pas pourquoi certains parlent de risques de fraude ou de crise postélectorale alors que nous n’avons même pas encore voté. Ils feraient mieux de se concentrer sur leur campagne. »
Environnement favorable au pouvoir
Mais les opposants ne sont pas les seuls à nourrir de tels soupçons. Diplomates, experts et autres observateurs étrangers surveillent de près la préparation de cette présidentielle. « Il y a une réelle volonté de frauder, assure une source européenne sous le couvert de l’anonymat. Peut-être pas en bourrant des urnes comme cela se faisait auparavant, mais le pouvoir a créé un environnement général qui lui est favorable. »
Opposants et leaders de la société civile avaient mobilisé des dizaines de milliers de personnes contre le gouvernement d’IBK
Comme en 2013, l’Union européenne (UE) a déployé une mission d’observation électorale au Mali. Dirigée par l’Italienne Cécile Kyenge, elle est censée être l’un des outils garantissant la sincérité des résultats. Qu’adviendra-t-il s’ils sont contestés par l’opposition ? Les grandes marches contre le projet de révision constitutionnelle à Bamako, il y a un an, sont encore dans toutes les têtes.
À l’époque, opposants et leaders de la société civile avaient mobilisé des dizaines de milliers de personnes contre le gouvernement d’IBK, qui avait fini par retirer le texte. En cas de litige, il n’est pas à exclure que de nombreux manifestants foulent à nouveau le macadam. « Nous craignons deux choses : des fraudes et le refus de la défaite par l’opposition », indique-t-on à l’Élysée.
Crainte d’un troisième tour dans la rue
Premiers concernés, certains Bamakois s’inquiètent d’un troisième tour dans la rue. En cette période de vacances scolaires, les familles qui en ont les moyens ont prévu de quitter la capitale pendant l’élection, dont l’éventuel deuxième tour est prévu pour le 12 août. Certaines écoles privées ont, elles, repoussé leur rentrée. Quant aux chancelleries étrangères, elles ont réparé différentes hypothèses de crise et encouragent leurs ressortissants établis au Mali à la plus grande prudence, voire à quitter le pays le temps de l’élection.

Ibrahim Boubacar Keïta, président du Mali. © Zihnioglu Kamil/SIPA
Autre crainte qui plane au-dessus de cette présidentielle incertaine : la menace d’attaques de groupes jihadistes. Capables de frapper n’importe où, Iyad Ag Ghaly et ses sbires donnent des sueurs froides aux responsables sécuritaires maliens et à ceux de la Minusma. « Ce que je crains le plus est une attaque de grande ampleur la veille ou le jour du vote, qui remettrait en question l’ensemble de l’élection et pourrait faire basculer le pays dans une situation de flottement préoccupante », confie un haut responsable de l’ONU.
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Face à ce contexte pesant, les sept voisins du Mali suivent évidemment de près ce qui se trame de l’autre côté de leurs frontières. « Tous nos partenaires sont très attentifs, reconnaît un proche d’IBK. Nous faisons partie d’un même espace sahélien en crise, où la sécurité est le problème de tous. » Pour les opposants, ces voisins ne sont pas seulement attentifs, ils sont surtout inquiets. « Ils sont très préoccupés par ce qui se passe au Mali car IBK n’a fait qu’empirer les choses depuis cinq ans », tacle Tiébilé Dramé, le directeur de campagne de Soumaïla Cissé.
Le Mali, zone sensible pour la sous-région
De Dakar à Ouagadougou en passant par Abidjan ou Alger, tous voient le Mali comme le principal foyer de déstabilisation de la région. Les groupes jihadistes y ont toujours leurs bases arrière, d’où ils mènent régulièrement des opérations de plus ou moins grande envergure dans les pays frontaliers. En coulisses, aucun dirigeant étranger ne se dit satisfait de cette situation ni du bilan d’IBK (lire encadré ci-contre).
Mais aucun ne se risque à se prononcer publiquement en faveur d’un candidat. Si le président malien peut encore compter sur la solidarité du « syndicat » des chefs d’État, la plupart ont toutefois aussi reçu Soumaïla Cissé ces dernières semaines.
« Nos voisins savent se montrer généreux avec les deux camps. Disons que c’est une manière de ne pas insulter l’avenir », sourit un cadre de l’opposition. « Nous veillons surtout à préserver de bonnes relations de voisinage entre nos États. Que le Mali soit dirigé par IBK ou par un autre, cela n’a pas d’importance », résume le conseiller d’un président de la région.
À Paris, les autorités se gardent également d’adouber un candidat
Emmanuel Macron réfléchit avant tout aux intérêts de la France au Sahel, où sont engagés plus de 4 000 de ses militaires dans le cadre de l’opération Barkhane. En arrivant au pouvoir, son entourage ne cachait pas son scepticisme à l’égard d’IBK – probablement nourri par Jean-Yves Le Drian, ex-ministre de la Défense de François Hollande et aujourd’hui ministre des Affaires étrangères, souvent critique à l’égard du président malien. Mais la crainte de l’inconnu et la nomination de Soumeylou Boubèye Maïga, en décembre 2017, ont conduit les responsables français à adoucir leur jugement.
À New York, les pontes de l’ONU garderont aussi un œil attentif sur la présidentielle. Là encore, pas question de s’ingérer dans les affaires politiques internes. Mais dans son dernier rapport, publié en juin, le secrétaire général des Nations unies, António Guterres, s’inquiétait toutefois de la « dégradation continue des conditions de sécurité », en particulier dans le centre du pays.
Pour qui votent les voisins
Pour le président guinéen, Alpha Condé, Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) est un ami de longue date, membre comme lui de l’Internationale socialiste (IS).
Le Nigérien Mahamadou Issoufou et le Burkinabè Roch Marc Christian Kaboré font partie de ce même réseau. S’ils en ont gardé une certaine loyauté vis-à-vis de leur aîné, ils n’en déplorent pas moins, en privé, la détérioration sécuritaire au Mali, qui les touche désormais de plein fouet.
De son côté, le Mauritanien Mohamed Ould Abdelaziz a aplani ses divergences avec IBK et le juge désormais « utile » à la stabilité du Mali. L’Ivoirien Alassane Ouattara et le Sénégalais Macky Sall n’ont pas de proximité particulière avec IBK mais sont en revanche de vieilles connaissances de son rival, Soumaïla Cissé.
Enfin, dans les milieux diplomatiques algériens, on estime que le bilan du chef de l’État est « globalement positif » et qu’IBK est le garant de la mise en œuvre de l’accord de paix, auquel Alger tient pour l’avoir chapeauté.
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