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Cameroun : l’éternel retour
Une tranchée de 60 m au milieu de nulle part – les prémices du futur poste de péage de Nkolkoumou, dans la banlieue ouest de la capitale – marque le point de départ de l’autoroute Yaoundé-Douala (196 km). De là, deux rubans noirs de 7 m de largeur chacun, séparés par un terre-plein, s’enfoncent dans la forêt équatoriale, sur plus de 20 km.
« Il ne reste plus qu’à poser la signalisation et les glissières », précise Liu Chengkun, l’ingénieur en chef de la première phase de ce chantier réalisé par China First Highway Engineering Company (CFHEC), filiale du conglomérat China Communications Construction Company (CCCC).
Les soixante premiers kilomètres, qui vont coûter 345 milliards de F CFA (près de 526 millions d’euros), devraient en principe être terminés en octobre. Mais le retard pris dans l’indemnisation des riverains ralentit quelque peu la progression des travaux, réalisés à 62 %.
Combler son retard
Un problème qui ne se pose plus sur le chantier de l’autoroute Édéa-Kribi (130 km). La première phase, entre ce port et Lolabe (38,5 km), dont le coût est estimé à 250 milliards de F CFA, est achevée à 86 %, et les employés de China Harbour Engineering Company (CHEC), autre entité de CCCC, posent des glissières et tracent déjà le marquage sur la chaussée.
Le gouvernement souhaite ainsi accroître les échanges et renforcer la compétitivité de l’économie nationale
Encore dépourvu d’autoroute, après bientôt soixante ans d’indépendance, le Cameroun entend combler son retard avec ces deux premiers gigantesques chantiers, en comptant sur China Eximbank, qui en assure 85 % du financement.
Dans un contexte de concurrence pour la conquête de l’hinterland, ces choix obéissent à une volonté de conforter son rôle de hub sous-régional, en sécurisant et en fluidifiant les corridors routiers reliant ses complexes portuaires à N’Djamena, au Tchad, et à Bangui, en Centrafrique. « Le gouvernement souhaite ainsi accroître les échanges et renforcer la compétitivité de l’économie nationale et de celle de ses voisins », assure le ministre des Travaux publics, Emmanuel Nganou Djoumessi.

Pose de la couche définitive du bitume, à Yaoundé. © Fernand Kuissu pour JA
Après avoir privilégié le financement direct pour la première partie de chaque projet, Yaoundé envisage de changer son fusil d’épaule pour leur seconde phase. « Nous adopterons des partenariats public-privé [PPP], poursuit Emmanuel Nganou Djoumessi. Les entreprises retenues par adjudication pourront exploiter ces ouvrages, dégager suffisamment de ressources pour se rémunérer, entretenir l’infrastructure, contribuer au remboursement de la dette et financer la suite des travaux. »
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Dans la droite ligne de la stratégie d’émergence du pays, le ministère des Travaux publics mène plusieurs études afin de porter le linéaire autoroutier à 800 km d’ici à la fin de la prochaine décennie. Les projets portent sur les liaisons Douala-Limbe et sur le triangle Yaoundé-Douala-Bafoussam, sans compter les voies de contournement des métropoles de Yaoundé et de Douala, ainsi que de la cité industrielle d’Édéa, à une quarantaine de kilomètres de Douala.

Repandage de la couche de fondation, à Yaoundé. © Fernand Kuissu pour JA
Aléas conjoncturels
Une ambition certes noble, mais qui se heurte, pour l’heure, à une économie morose. Comme le montre le lent va-et-vient, à la mi-juin, de quelques camions de CFHEC sur le chantier de la première autoroute (Yaoundé-Douala), où 70 % des autres engins restent immobilisés faute de moyens.
CHEC a mis ses employés en congé technique en mai, pour attirer l’attention des autorités
« Cela fait presque un an que nous n’avons pas reçu d’argent. Nous continuons de préfinancer la majeure partie des travaux pour montrer notre bonne volonté et participer aux “grandes réalisations” du président, mais nous ne pouvons plus tenir », explique Liu Chengkun. L’entreprise estime avoir déjà déboursé près de 100 milliards de F CFA.
En mai, sur le chantier Kribi-Lolabe, CHEC a mis ses employés en congé technique, comptant ainsi attirer l’attention des autorités sur l’extrême tension de sa trésorerie, à force de préfinancer le chantier. Une visite du ministre des Travaux publics a permis la reprise de l’activité.
Le retard dans le paiement ne signifie aucunement que les crédits budgétaires n’existent pas », indique le gouvernement
En cause : l’indisponibilité des fonds de contrepartie (15 % de l’enveloppe globale) du Cameroun, qui retarde le déblocage des ressources par China Eximbank. Un souci que le gouvernement ne nie pas. « Le retard dans le paiement ne signifie aucunement que les crédits budgétaires n’existent pas. Nous sommes engagés dans plusieurs projets d’infrastructures, sans compter les défis sécuritaires auxquels le Cameroun doit faire face bien malgré lui. Les délais peuvent ne pas être respectés, mais nous payons toujours pour inciter notre partenaire financier à remplir son obligation », rappelle Emmanuel Nganou Djoumessi. Des aléas conjoncturels qui n’empêcheront certainement pas Yaoundé de concrétiser son rêve autoroutier.