RDC : Corneille Nangaa a réponse à tout

Corneille Nangaa, le président de la commission électorale de la RDC, n’est pas épargné par les critiques, à moins de six mois du vote. Mais il promet un scrutin exemplaire.

Corneille Nangaa en 2016, dans son bureau de Kinshasa. © Gwenn Dubourthoumieu pour JA

Corneille Nangaa en 2016, dans son bureau de Kinshasa. © Gwenn Dubourthoumieu pour JA

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Publié le 3 juillet 2018 Lecture : 5 minutes.

À Kinshasa, sa résidence se situe à quelques mètres seulement des bureaux du chef de l’État, mais n’y voyez aucun symbole. « Corneille Nangaa ne roule pas pour Joseph Kabila », insiste le président de la Commission électorale nationale indépendante (Ceni), qui, à l’occasion, ne rechigne pas à parler de lui-même à la troisième personne du singulier. En poste depuis près de trois ans, ce quadragénaire natif de Wamba, bourgade perdue dans le nord-est de la RD Congo, promet de conduire le pays vers « les meilleures élections de son histoire ».

Problème : sa profession de foi ne convainc pas grand monde, ni à l’intérieur ni à l’extérieur du pays. Et c’est la raison pour laquelle, une semaine avant de nous recevoir chez lui, par un beau dimanche de juin, il a séjourné à Washington, fait appel aux services d’une agence de relations publiques et rencontré « douze médias en trois jours ». « J’ai même eu une séance de travail avec le futur sous-secrétaire d’État américain aux Affaires africaines [Tibor P. Nagy, qui attend son entrée en fonction] », s’enthousiasme Nangaa. A-t-il convaincu ses interlocuteurs ?

Nous, les Congolais, nous aimons tout politiser au point de passer sous silence les exploits du TP Mazembe !

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Arborant ce jour-là claquettes et tee-shirt, l’homme qui a la responsabilité du bon déroulement de la présidentielle, des législatives et des provinciales de décembre prochain paraît aussi décontracté que serein. Installé dans son salon climatisé de La Gombe, il commence par parler foot : de cette fois où, adolescent, il a failli être recruté par un club de Kisangani et de son amour inconditionnel pour le TP Mazembe, dirigé par l’opposant Moïse Katumbi.

« Je suis un grand fan ! lâche le patron de la Ceni. Malheureusement nous, les Congolais, nous aimons tout politiser au point de passer sous silence les exploits de cette équipe, qui fait pourtant la fierté de notre pays. » Et de brandir les statistiques du quintuple vainqueur de la Ligue des champions africaine.

Crispation autour des machines à voter

Mais Nangaa le sait : ce n’est pas sur sa passion du ballon rond qu’il est attendu. « Le 23 décembre, si les scrutins ne sont pas bien organisés, c’est à moi que l’on demandera des comptes. » Or, à moins de six mois de l’échéance, beaucoup reste à faire. La machine à voter, innovation qu’il a lui-même introduite dans le pays, demeure contestée par toute une partie de la classe politique et boudée par les partenaires extérieurs. Rebaptisé « machine à tricher » par ses détracteurs, « ce dispositif n’est en réalité qu’une imprimante qui permet de choisir son candidat, d’imprimer son bulletin de vote et de le glisser dans l’urne », insiste Nangaa. Il s’est même envolé avec l’une de ces machines aux États-Unis.

« Les Américains étaient convaincus que nous avions décidé de recourir à un vote électronique et que nous devrions revenir aux bulletins papiers. Il fallait leur montrer ce que c’était pour qu’ils comprennent qu’il y en aura bel et bien », raconte-t-il. Mais compte tenu de cette défiance et des critiques, la RD Congo ne pourrait-elle pas se passer de ces engins ? Inimaginable, pour cet ancien élève du Sacré-Cœur-de-Jésus qui fut le bras droit d’Apollinaire Malumalu, emblématique président de la Ceni, aujourd’hui décédé. « Que ceux qui n’en veulent pas aillent voter ailleurs ! »

Peu lui importe la controverse autour du contrat passé de gré à gré entre la Ceni et le Sud-Coréen Miru Systems

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Nangaa ne cédera pas. Peu lui importe la controverse autour du contrat passé de gré à gré entre la Ceni et le Sud-Coréen Miru Systems, qui a conçu les machines « équipées d’un écran tactile, d’une imprimante, d’un scanner et de batteries », précise-t-il fièrement. Un troisième avenant au contrat a été signé « début mai », et « plus de 58 millions de dollars ont été versés à titre d’acompte », poursuit-il, sans s’étendre sur le coût global de la transaction.

Peu lui importe aussi que, début avril, le gouvernement sud-coréen ait prévenu Miru Systems contre les « risques potentiels en cas d’exportations de ces machines [en RD Congo] » – une mise en garde formulée à la suite d’une enquête sur la transparence des élections en Afrique parue dans nos colonnes. Cela « pourrait donner au gouvernement congolais un prétexte pour des résultats indésirables liés aux élections, notamment le retard additionnel à la tenue des élections [sic] », selon le document traduit par l’ambassade sud-coréenne à Kinshasa. « Fake news ! » rétorque Nangaa, qui affirme avoir rencontré l’ambassadeur à ce sujet. À l’en croire, celui-ci lui aurait expliqué que son pays « faisait l’objet de pressions de la part des États occidentaux, hostiles au recours à la machine à voter en RD Congo ». « J’ai demandé aux Américains s’il n’y avait pas un malentendu : nous, nous traitons avec une firme de Corée du Sud, pas avec la Corée du Nord, s’amuse-t-il. Et puis il s’agit d’un contrat passé entre la Ceni et une entreprise privée. Séoul n’a rien à dire. »

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Une élection présidentielle encore en chantier

Autre polémique : le nouveau fichier électoral et ses 40 millions d’électeurs, dont près de 17 % sans empreintes digitales. L’opposition n’en veut pas, mais Nangaa en est fier et donne une explication à cette « petite anomalie » : « Dans nos milieux ruraux, beaucoup travaillent durement dans des champs et les mines. Parfois, leurs empreintes ne sont plus lisibles. Devrait-on les exclure du vote ? Non, la loi nous l’interdit. Le jour de l’élection, on ne vérifie d’ailleurs que le nom et la photo de l’électeur. » Nangaa reprend ensuite à son compte les conclusions de l’audit de l’Organisation internationale de la francophonie selon lesquelles la RD Congo dispose désormais d’un « fichier électoral inclusif, exhaustif et actualisé mais perfectible ». Un fichier « prêt pour les élections », conclut-il.

Il ne resterait donc plus au gouvernement qu’à débloquer les fonds nécessaires – ce qu’il n’avait pas pu faire à la fin de 2016, date initiale de ces scrutins. Mais Nangaa se veut optimiste. « La RD Congo est capable de financer seule ses élections. Nous avons tiré les leçons de 2011, nous ne devons plus prendre le risque de ne compter que sur les partenaires extérieurs », plaide-t-il. Un discours aux accents souverainistes que ne renierait pas le président Kabila. Mais ce n’est que pure coïncidence.

Livraison en cours…

La Ceni a commandé 106 000 machines à voter à Miru Systems, négociées 1 430 dollars l’unité. Son président, Corneille Nangaa, dévoile la « planification rigoureuse de l’arrivée » de ces ordinateurs controversés : 10 000 fin juin, 30 000 fin juillet, 36 000 fin août et un dernier lot de 30 000 attendu le 30 septembre. Ils seront ensuite répartis sur l’ensemble du territoire à compter du 15 octobre.

En attendant, la Ceni dit poursuivre son « programme national de sensibilisation, de formation et d’éducation » dans des chefferies. Objectif : montrer aux habitants des milieux ruraux comment voter avec une machine. « Contrairement à ce que l’on peut penser, dans nos villages, personne n’est plus impressionné par un ordinateur. Depuis 2006, la Ceni recourt à ce type d’équipement pour enrôler les électeurs sur toute l’étendue du territoire. »

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