Dans ce dossier
Côte d’Ivoire : deuxième souffle
Depuis neuf mois, une femme à poigne a pris les manettes du parti au pouvoir. « Un honneur », assure cette proche du Premier ministre, Amadou Gon Coulibaly, mais surtout une tâche lourde et périlleuse. À deux ans de la présidentielle, Kandia Camara a hérité d’une formation aux alliances incertaines, en proie aux critiques des militants et aux tensions internes.
Alors que le Rassemblement des républicains (RDR) a adopté sans ciller le projet de parti unifié lors de son congrès extraordinaire du 5 mai, son allié, le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), n’a cessé de tergiverser. Pourtant, des échéances électorales se profilent. Avant la fin de l’année, les municipales et les régionales auront valeur de test.
Jeune Afrique : En mai, le RDR a adopté le projet de parti unifié. Avez-vous compris les atermoiements de votre allié, le PDCI ?
Kandia Camara : En plus du RDR, trois partis ont immédiatement accepté ce projet. Un autre, l’UPCI [Union pour la Côte d’Ivoire], l’a rejeté. Concernant le PDCI-RDA [PDCI-Rassemblement démocratique africain], je n’ai jamais douté. Comme le président Ouattara, Bédié a été à l’origine du RHDP et il a été le premier à évoquer la mise en place d’un parti unifié. Cette alliance tient bon depuis 2005 et, grâce à elle, nous avons gagné la plupart des élections depuis la présidentielle de 2011 et gérons ensemble le pouvoir. Nous sommes un couple, et c’est parce que nos fiançailles marchent si bien que nous avons décidé de nous marier.
Des élections municipales et régionales doivent se tenir avant la fin de l’année. Si le PDCI n’a pas tranché d’ici là, cela sonnera-t-il la fin de votre union ?
Je suis confiante. Le PDCI va nous rejoindre avant les élections locales.
Il y a neuf mois, lorsque vous avez été nommée secrétaire générale, vous avez pris les manettes d’un RDR en proie aux critiques de vos militants. Notez-vous, sept ans après son arrivée au pouvoir, une certaine désaffection ?
Pendant ses années d’opposition, le RDR a traversé des périodes très difficiles. Nos militants avaient placé tous leurs espoirs en notre arrivée au pouvoir, et cela a décuplé leurs attentes. C’est vrai, il y a de l’impatience. Ils nous ont dit qu’ils voulaient un parti plus fort, plus proche d’eux, une machine à gagner les élections. Et je crois que nous les avons entendus.
>>> A LIRE – Parti unifié en Côte d’Ivoire : les dessous du bureau politique du PDCI
La machine était donc rouillée ?
Non, le RDR n’a jamais été un parti rouillé. Mais, comme en toute chose, il faut chercher à s’améliorer.
Le RDR avait obtenu 95 des 197 mairies en 2013. Quels sont vos objectifs pour les municipales ?
Remporter plus de 50 % des mairies et des régions ! Même en étant dans le cadre du RHDP, nous voulons que les élus issus du RDR soient majoritaires. C’est important car c’est ainsi que nous pourrons développer le pays.
Si vous voulez tant de sièges, les négociations avec vos alliés autour des investitures ne risquent-elles pas d’être difficiles ? Ces tensions avaient conduit à la rupture avec l’Union pour la démocratie et la paix en Côte d’Ivoire (UDPCI) et l’UPCI lors des législatives de 2016…
Il faut être réaliste. Depuis 2011, le RDR est arrivé en tête de toutes les élections. Ce n’est pas manquer d’humilité que de dire que nous sommes la première force politique en Côte d’Ivoire. Cela doit compter.
Depuis plus d’un an, les tensions sont vives entre certains dirigeants du RDR et Guillaume Soro. Quelles sont vos relations avec le président de l’Assemblée nationale ?
Elles sont excellentes ! Guillaume Soro est notre vice-président. Ce n’est pas un poste qu’on lui a imposé : avant d’être nommé, il avait donné son accord.
Certains au RDR doutent de sa loyauté…
Personne n’a mis une arme sur la tempe de Guillaume Soro en lui disant : « Il faut que tu sois membre du RDR. » Il est là de son plein gré, et si un jour il ne veut plus y être militant, il partira. Je lui fais confiance. N’oublions pas non plus que c’est en tant que militant de ce parti qu’il a été élu président de l’Assemblée. Je peux le dire avec un mégaphone : ce qu’il est aujourd’hui, il le doit au président Ouattara et au RDR. Et il le sait.
Il est la personne qui a été la plus applaudie lors de votre congrès extraordinaire, début mai… Sa popularité semble d’ailleurs déranger certains membres de votre parti, n’est-ce pas ?
Non, il n’a tout de même pas été plus applaudi que le président Alassane Ouattara ! Henriette Dagri Diabaté [présidente du RDR] et Amadou Gon Coulibaly, le Premier ministre ont eux aussi été très applaudis.
Je n’ai jamais pensé à être candidate à la prochaine présidentielle
Mais ses ambitions à la présidentielle ne sont pas du goût de tout le monde…
Là-dessus, le président Ouattara a mis tout le monde très à l’aise : tous ceux qui souhaitent briguer ce poste le peuvent. La direction du RHDP étudiera ces candidatures et choisira le meilleur d’entre nous.
Il s’agira donc d’un choix de la direction. Pas des militants ?
Ce n’est pas encore défini. Mais, à la fin de notre congrès, le président Ouattara est allé voir Amadou Gon Coulibaly, Hamed Bakayoko et Guillaume Soro, et leur a dit : « Vous m’avez entendu ? Vous pourrez tous être candidats ! » Puis il s’est adressé à moi : « Kandia, toi aussi, si tu veux, tu pourras l’être en 2020 ! » Que le meilleur gagne !
Vous souhaitez être candidate à la prochaine présidentielle ?
Non, je n’y ai jamais pensé.
Un candidat indépendant est un mauvais militant, un mauvais perdant, un indiscipliné
Sur cette question, le désaccord persiste avec le PDCI. Après avoir soutenu Alassane Ouattara en 2010 et en 2015, il veut que l’un de ses militants soit le candidat du RHDP. Cette alternance n’est-elle pas une exigence légitime ?
Nous ne parlons pas d’alternance car nous ne sommes pas dans un jeu à deux. Nous sommes cinq, et Albert Toikeusse Mabri, le président de l’UDPCI, a déjà annoncé qu’il souhaitait se présenter en 2020. Que faire d’une telle candidature ? La piétiner ? Si le meilleur d’entre nous est un cadre du PDCI-RDA, alors ce sera notre candidat et nous ferons campagne pour lui. À eux de présenter le meilleur !
Lors des législatives de 2016, de nombreux militants du RDR non investis par le parti s’étaient présentés en indépendants contre les candidats « officiels ». Plusieurs l’avaient emporté. Ne redoutez-vous pas que ce scénario se reproduise ?
Un candidat indépendant est un mauvais militant, un mauvais perdant, un indiscipliné. Je ne peux pas accepter de telles pratiques. Soit on se soumet à la discipline de son parti, soit on se démet. C’est au président de déterminer d’éventuelles sanctions. Mais si ça ne tenait qu’à moi, je n’hésiterais pas.