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Côte d’Ivoire : deuxième souffle
L’effervescence règne, en cette fin de mai, devant le siège du parti présidentiel. « La politique, c’est bon pour le commerce ! » s’exclame Maimouna, les bras chargés de pagnes, de torchons, de pin’s et de mille autres gadgets à l’effigie du président Alassane Ouattara. Commerçants ambulants et militants tentent de se frayer un chemin au milieu du ballet des berlines à vitres teintées. Un à un, les candidats à l’investiture s’engouffrent derrière les murs orange du quartier général du Rassemblement des républicains (RDR). Ils n’ont que quelques jours pour déposer leur candidature aux élections municipales et régionales – des scrutins très prisés et toujours âprement disputés.
Intimidations, intrigues, menaces, violences… En 2013, les locales avaient été particulièrement tendues. De la campagne à la proclamation des résultats, des dizaines d’incidents avaient été recensés. « L’élection du maire, c’est un peu comme celle du chef de village, c’est très important et cela fait remonter les aigreurs et les jalousies. Tous les coups sont permis », commente un cadre du parti présidentiel. Un contexte inflammable qui a longtemps poussé Alassane Ouattara à ne pas organiser de scrutin cette année.
Accentuer les difficultés
Alors que 2017, marquée par des revendications sociales et militaires ainsi que par des tensions au sein du parti présidentiel, a été pénible pour le pouvoir, le chef de l’État a longtemps préféré ne pas prendre le risque d’accentuer les difficultés. Jusqu’à la fin de l’année dernière, il avait choisi de proroger le mandat des élus locaux en place jusqu’en 2021, soit après la prochaine présidentielle. Pour finalement décider de se conformer à la durée légale de cinq années de mandat afin de ne pas donner prise aux critiques.
Si la date n’a pas encore été fixée – la Commission électorale indépendante a proposé le 29 septembre, mais le gouvernement n’a pas tranché –, la bataille a déjà commencé. Depuis plusieurs semaines, les cadres des différents partis passent leurs week-ends dans leurs circonscriptions pour encourager les électeurs à s’enregistrer à l’occasion de la révision de la liste électorale, qui doit débuter le 18 juin. Sensibilisation, pédagogie, voire financement par certains candidats des pièces d’identité nécessaires à l’enrôlement, tous les moyens sont bons pour multiplier le nombre des inscrits.
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« Même dans nos bastions, il y a un réel déficit de mobilisation. Ces dernières années, nous pensions toujours gagner facilement les scrutins, mais nous nous sommes fait surprendre par la faiblesse des taux de participation », estime l’un des proches collaborateurs du Premier ministre, Amadou Gon Coulibaly, chargé de mobiliser les militants du fief de ce dernier, Korhogo. L’enjeu est d’autant plus important qu’une maigre participation serait perçue comme une victoire pour l’opposition. Si la frange du Front populaire ivoirien (FPI) emmenée par Pascal Affi N’Guessan participera au scrutin, celle d’Aboudramane Sangaré le boycottera vraisemblablement.
Ne reconnaissant pas la Commission électorale indépendante (CEI), qu’ils jugent « illégale », ces compagnons de l’ex-président Laurent Gbagbo ont déjà appelé leurs partisans à bouder l’opération de révision de la liste électorale.
Bras de fer interne
Face à des opposants divisés et affaiblis, une rude bataille interne s’engage au sein du Rassemblement des houphouétistes pour la démocratie et la paix (RHDP), la coalition au pouvoir. Un bras de fer qui s’annonce d’autant plus intense qu’il intervient en pleine tourmente autour de la laborieuse construction du parti unifié.
Gagner moins de cent mairies serait une déception », confie de son côté un dirigeant du RDR
Si la constitution de listes RHDP communes au RDR, au Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), à l’Union pour la démocratie et la paix en Côte d’Ivoire (UDPCI), au Mouvement des forces d’avenir (MFA) et au Parti ivoirien des travailleurs (PIT) est validée, les négociations sur le choix de la couleur des têtes de liste promettent d’être serrées. Chacun dévoile, sous le manteau, ses ambitions.
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« La moindre des choses est que le PDCI obtienne les têtes de liste des circonscriptions qu’il détenait jusqu’ici », soit un tiers d’entre elles, assène ce cadre du parti de Félix Houphouët-Boigny, tandis qu’un autre pourfend les « chasses gardées » : « Pourquoi le Nord irait-il au RDR et le pays baoulé au PDCI ? » s’agace-t-il. « Gagner moins de cent mairies serait une déception », confie de son côté un dirigeant du RDR, alors que l’UDPCI réclame des têtes de liste hors de ses bastions traditionnels de l’Ouest. Les rivalités promettent d’être particulièrement aiguisées dans certaines communes stratégiques d’Abidjan telles que le Plateau, Treichville et Port-Bouët, où plusieurs poids lourds vont se lancer dans la mêlée.
Les risques pour la majorité présidentielle
Rien qu’au RDR, 335 militants se sont proposés pour être têtes de liste dans l’une des 201 communes du pays, et ils sont 49 pour les 31 régions ivoiriennes. Au PDCI, les chiffres devraient être comparables au moment de l’ouverture du dépôt des candidatures, prévue fin juin. Sans compter les plus petits partis du Rassemblement, qui comptent bien prendre toute leur place. Une foultitude de prétendants et autant de déçus potentiels.
Officiellement, tout le monde jure fidélité, mais c’est un jeu de dupes ! » sourit un proche de Guillaume Soro
Le risque ? Voir fleurir les listes indépendantes, comme lors des locales de 2013 et, plus récemment, des législatives de 2016. Près de la moitié des sièges de l’Assemblée avaient alors été raflés par des indépendants, issus, pour un certain nombre, des rangs mêmes des partis de la majorité. Une trahison pour l’état-major du RDR, qui a demandé, cette fois, à tous ses candidats à l’investiture de s’engager à ne pas se présenter seul en cas de non-sélection par le RHDP.
« Officiellement, tout le monde jure fidélité, mais c’est un jeu de dupes ! » sourit un proche de Guillaume Soro, l’ambitieux électron libre du parti présidentiel. Au PDCI comme au RDR, beaucoup se préparent déjà à soutenir en sous-main une liste concurrente à la liste officielle.
Manque de discipline au sein de la majorité, concurrence interne, désaffection des électeurs…, les derniers scrutins ont à chaque fois sonné comme des « alertes » pour la majorité présidentielle, reconnaît le bras droit du Premier ministre. Alors que chacun des partis s’interroge sur l’espérance de vie de l’alliance au pouvoir, ces municipales et régionales sonnent comme l’ultime test électoral avant la présidentielle de 2020.
Duel Phare