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Le quartier du Plateau, à Abidjan, où l’entreprise rénove la tour Shell. © Jacques Torregano pour JA

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Côte d’Ivoire : deuxième souffle

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Culture

Côte d’Ivoire : quand le peintre Jean-Michel Basquiat découvrait Korhogo

En 1986, alors qu’il est déjà une icône de l’underground new-yorkais, le peintre américain Jean-Michel Basquiat se rend à Korhogo, en Côte d’Ivoire, où la sculpture a conservé toute sa puissance mystique.

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Mis à jour le 29 juin 2018 à 15:03

L’artiste devant ses toiles au Centre Culturel français d’Abidjan, octobre 1986. © Monique Le Houelleur

En cette fin d’octobre 1986, Jean-Michel Basquiat prend la route du nord de la Côte d’Ivoire. Le peintre américain est arrivé quelques jours plus tôt à Abidjan pour une exposition présentant certains de ses tableaux au Centre culturel français (CCF). C’est la première fois qu’il met les pieds en Afrique. Du haut de ses 25 ans, il est déjà une icône de l’underground new-yorkais. Le monde s’arrache ses toiles, mais dans la cité ivoirienne, son œuvre torturée laisse plus dubitatif.

Il m’a simplement dit : je veux découvrir l’Afrique

« Je ne resterai pas longtemps devant ces tableaux », aurait ainsi lâché Georges Courrèges, l’influent directeur du CCF, devant Kaïdin. De son vrai nom Monique Le Houelleur, cette artiste alors installée en Côte d’Ivoire depuis quelques années est chargée de guider Basquiat. Le jeune homme d’origine haïtienne n’a qu’une envie, quitter la grande ville. Cela fait longtemps qu’il fantasme le continent. « Il m’a simplement dit : je veux découvrir l’Afrique », se souvient-elle.

Terre d’inspiration

À l’improviste, elle emmène Basquiat, sa petite amie Jennifer Goode, le marchand d’art Bruno Bischofsberger et sa femme à Korhogo. « Y aller semblait une évidence. C’était une terre d’inspiration pour beaucoup d’artistes, et ça l’est devenu pour Basquiat », explique-t-elle. Une journée de route plus loin, là où la forêt laisse place à la savane, la capitale du pays sénoufo est installée sur une terre d’artisans et de croyances. Ici on tisse et on sculpte de génération en génération.

Les charlatans viennent nous voir chaque jour pour que l’on sculpte les objets avec lesquels ils prodiguent leurs conseils

Assis à l’ombre de son kiosque en bois du quartier Koko, Mamadou Sorho promène ses doigts avec aisance sur le bois. C’est ainsi, à Korhogo, on naît sculpteur. Calao, masques…, les objets s’accumulent sur les petites étagères. Aujourd’hui ils sont surtout là pour contenter les badauds de passage. Mais dans cette région où règne le rite initiatique du poro, la sculpture a conservé toute sa puissance mystique. « Les charlatans viennent nous voir chaque jour pour que l’on sculpte les objets avec lesquels ils prodiguent leurs conseils. »


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Trésors sénoufos

Objets rituels, les fétiches ivoiriens sont devenus des œuvres d’art exposées dans les musées. Warhol, Fernand Léger ou Picasso ont été marqués par les trésors sénoufos. « Des sculpteurs ivoiriens viennent jusqu’ici pour s’imprégner de notre savoir-faire. Beaucoup d’autres ont été influencés par nos œuvres », assure Sorho. Il était déjà là, il y a plus de trente ans, lorsque Basquiat est passé dans la ville. « Il était fasciné », croit se souvenir le vieil homme. « Il était fou de joie, abonde Kaïdin, il s’arrêtait dans tous les marchés, il était comme un gosse. » De son voyage, Basquiat rapportera un fétiche et l’envie de retourner sur ces terres.

Deux ans plus tard, tout est prêt. Ouattara Watts, un jeune artiste rencontré à Paris, s’est occupé de tout. Il est originaire de Korhogo, comme un signe. Ce 23 décembre 1960, Basquiat doit prendre l’avion. Watts, parti en avance, l’attendra en vain. La veille de son départ, Basquiat est découvert mort d’overdose dans son appartement new-yorkais du 57 Great Jones Street.