Côte d’Ivoire : le Bushman Café, un incroyable bric-à-brac

Entre bar, restaurant, hôtel et musée, cet établissement abidjanais unique ouvert en 2016 cultive sa différence.

Bushman café à Abidjan (Côte d’Ivoire), le 18 mai 2018 © Issam Zejly/Truthbird Medias pour Jeune Afrique

Bushman café à Abidjan (Côte d’Ivoire), le 18 mai 2018 © Issam Zejly/Truthbird Medias pour Jeune Afrique

leo_pajon

Publié le 6 juin 2018 Lecture : 4 minutes.

Un antique piano aux touches en ivoire de mammouth, un empilement effarant de livres d’art mariant Klimt au Sahara, des fresques gigantesques invitant des héros noirs dans les œuvres de Michel-Ange, des bustes africains posés sur un meuble Boulle, une photographie de l’Ivoirien Paul Sika près d’une tapisserie d’Aubusson, un fauteuil ayant appartenu à Houphouët-Boigny, d’autres à Valéry Giscard d’Estaing…

On pourrait continuer cet inventaire à la Prévert pendant des pages sans épuiser l’incroyable et majestueux bric-à-brac du Bushman Café. Et pourtant, on a seulement décrit quelques mètres carrés de ce grand bâtiment de deux étages niché dans le quartier de la Riviera M’Badon, non loin de l’Unicef.

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Anomalie magique

Le Bushman Café est une anomalie magique, une bizarrerie grandiose dans le paysage abidjanais. D’abord parce que cet établissement singulier ouvert il y a deux ans ne rentre dans aucune case et n’est même pas réellement un café. Certes, la plupart des clients passent se désaltérer ou se rassasier sur la vaste terrasse du deuxième étage bercée par des rythmiques afro-house.

Elle accueille une cafétéria où l’on peut déguster un café ivoirien grillé et moulu devant le client. Ainsi qu’un restaurant, le Wêlé, qui affiche à la carte un hamburger « gaou » à 3 000 F CFA (4,50 euros), un demi-poulet gnamakoudji (gingembre) ou un steak… de chameau à 6 000 F CFA. Des tarifs très honnêtes pour une gastronomie copieuse, étudiée et locale.

On vient pour un verre entre amoureux fauchés mais de bon goût, la tête sous les étoiles

C’est le chef Dieuveil Malonga, originaire de la République du Congo et nouvelle référence de la cuisine afro-fusion, qui a composé le menu avec des aliments piochés sur place, toujours frais.

On vient pour un verre entre amoureux fauchés mais de bon goût (la bière n’est pas beaucoup plus chère que dans un maquis), la tête sous les étoiles, ou pour des cocktails, des soirées d’anniversaire, des repas de groupe, de grandes tablées pouvant être servies après un peu d’attente.

Un incroyable et majestueux bric-à-brac, au Bushman Café (Abidjan) © Issam Zejly/Truthbird Medias pour Jeune Afrique

Un incroyable et majestueux bric-à-brac, au Bushman Café (Abidjan) © Issam Zejly/Truthbird Medias pour Jeune Afrique

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Mais la restauration n’est que la partie émergée de ce drôle d’iceberg. Huit chambres au premier étage (de beaux espaces décorés de bois, de raphia, de pierres, baignés dans le même jus arty que le reste de l’établissement) peuvent accueillir des hôtes fortunés : il faut compter entre 60 000 et 100 000 F CFA la nuit, petit déjeuner compris.

Au rez-de-chaussée, on trouve encore un bar lounge parfois prêté pour des concerts, une salle de conférences, un espace d’exposition qui a récemment accueilli le peintre malien Daniel Coulibaly et s’ouvre aussi à des cours de yoga…

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Tandis que d’autres recoins dissimulent un sauna, une salle de sport et une petite piscine dont le fond est recouvert de sable en provenance d’Assinie, la station balnéaire du sud-est de la Côte d’Ivoire.

Un diplomate à la barre

Le patron de cet établissement atypique n’est pas un inconnu. Alain Kablan Porquet est diplomate, amateur d’art passionné, collectionneur depuis vingt ans, et même parfois artiste (il a commis une scène végétale grand format au fusain accrochée près du hall).

Accessoirement, ce haut fonctionnaire de 46 ans est aussi le fils de Jeannette Koudou (et donc le neveu de l’ex-président ivoirien Laurent Gbagbo) et du poète et dramaturge Niangoran Porquet.

Ce lieu, dont il a lui-même patiné les parquets à l’huile de palme, c’est son bébé. Il a cherché à lui insuffler un peu de la folie du Shrine, le célèbre club de Fela, enclave de liberté, mais aussi de sa propre excentricité.

Dans les endroits convenus et bien léchés, on nous regardait avec beaucoup de condescendance » sourit Alain Kablan Porquet

« Le Bushman Café, explique-t-il, a été conçu au départ comme un havre, un endroit où les journalistes, les artistes, les nomades en général peuvent se poser, se rencontrer, échanger. » Le projet n’allait pas de soi : « Dans les endroits convenus et bien léchés, on nous regardait avec beaucoup de condescendance », sourit Alain Kablan Porquet.

Aujourd’hui, l’établissement, classé 8e meilleur B&B d’Abidjan par le site Tripadvisor, emploie 30 personnes à temps plein, et reçoit le gotha patronal de la ville et d’ailleurs, qui vient aussi ici pour réseauter.

Bushman café à Abidjan (Côte d'Ivoire), le 18 mai 2018 © Issam Zejly/Truthbird Medias pour Jeune Afrique

Bushman café à Abidjan (Côte d'Ivoire), le 18 mai 2018 © Issam Zejly/Truthbird Medias pour Jeune Afrique

Bâtons de pouvoir

Bien plus qu’un simple spot branché, le lieu véhicule aussi un projet culturel fort. D’abord (et c’est pour nous du jamais-vu), il met littéralement l’art à portée de main… à tel point que certains objets précieux, comme des bâtons de pouvoir, ont été dérobés, ce dont ne semble pas se soucier le propriétaire outre mesure. Il s’est depuis simplement équipé de quelques caméras de surveillance.

Alain Kablan Porquet change « l’accrochage » de son lieu dès qu’il s’ennuie, « c’est-à-dire en moyenne tous les trois mois »

Pas de vitrine, pas de cartel dans la brocante géante et décomplexée du Bushman, les amateurs sont seulement invités à poser des questions sur les pièces qui les intéressent. L’autre axe fort, c’est le métissage à marche forcée des œuvres américaines, africaines, asiatiques et européennes. Alain Kablan Porquet change « l’accrochage » de son lieu dès qu’il s’ennuie, « c’est-à-dire en moyenne tous les trois mois ».

Il s’amuse des correspondances entre un motif Art déco et une œuvre tribale, propose aux peintres locaux de reprendre à leur manière les génies de la Renaissance italienne, crée des chemins de traverse entre figurines japonaises et statuettes africaines… Une manière de replacer la création du continent dans l’histoire de l’art.

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