Macron et l’Afrique : le discours de Ouaga au banc d’essai

Dans son célèbre discours devant les étudiants burkinabè, en novembre 2017, le chef de l’État français avait pris un certain nombre d’engagements en faveur de l’Afrique. Ont-ils été tenus ?

À Ouagadougou, le 28 novembre 2017. © Philippe Wojazer/REUTERS

À Ouagadougou, le 28 novembre 2017. © Philippe Wojazer/REUTERS

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Publié le 7 juin 2018 Lecture : 5 minutes.

Emmanuel Macron lors de sa visite aux troupes de l’opération Barkhane, Gao, Mali, le 19 mai 2017. © Christophe Petit Tesson/AP/SIPA
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Emmanuel Macron et la Françafrique

Les dirigeants africains le découvrent après beaucoup d’autres : le président français est un grand séducteur. Mais ses gestes hautement symboliques en faveur du continent sont subordonnés à un objectif prioritaire : la lutte contre les vagues migratoires.

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Devant 800 étudiants burkinabè, le président français avait promis, le 28 novembre dernier, en ouverture de son discours de Ouagadougou, la rupture. Et s’était essayé à un exercice périlleux : convaincre un auditoire « marxiste et panafricain » plus hostile que conquis. Alors que son cortège était arrivé sous des jets de pierre, l’habile orateur était parvenu à retourner la salle.

Sur la forme, le pari a été gagné, mais c’est sur le fond qu’il sera jugé. En cent minutes d’un discours parfois tranchant, il a décliné les principaux axes de son action, multipliant promesses et engagements pour les cinq années à venir. Six mois plus tard, lesquels ont été tenus ? Bilan d’étape.

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Des dossiers en attente

« Les documents relatifs à l’assassinat de l’ancien président seront déclassifiés à l’intention de la justice burkinabè, qui y aura librement accès. »

Six mois après cette annonce, qui avait suscité l’enthousiasme des étudiants burkinabè, le contact a été établi entre les autorités des deux pays. Mais aucun document n’a pour l’instant été déclassifié. La levée du secret-défense sur les archives françaises est réclamée depuis plus de trente ans par les proches de l’ancien président burkinabè afin de répondre aux interrogations sur le rôle de la France dans son assassinat, le 15 octobre 1987.

« Je veux que d’ici à cinq ans les conditions soient réunies pour des restitutions temporaires ou définitives du patrimoine africain à l’Afrique. »

Alors que le Bénin réclame depuis des années la restitution de ses œuvres d’art pillées pendant la colonisation, Macron a attendu la visite en France de Patrice Talon pour annoncer la nomination de l’écrivain sénégalais Felwine Sarr et de l’historienne de l’art Bénédicte Savoy. Ces deux personnalités ont été chargées de réfléchir aux conditions matérielles et juridiques dans lesquelles les œuvres pourront être rapatriées. Leurs conclusions sont attendues en novembre.

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Une politique migratoire contestée

« Je proposerai […] une initiative euro-africaine pour mettre un terme à cette stratégie portée par tous ceux qui veulent notre destruction. »

Alors que, en 2017, 205 000 personnes sont entrées illégalement en Europe, un plan en neuf points a été adopté par les pays africains et européens lors du sommet d’Abidjan, au lendemain du discours de Ouagadougou. Afin de rapprocher les services de renseignements et de police, une première réunion de coordination des ministres de l’Intérieur et des Affaires étrangères a eu lieu à Niamey, en mars.

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Depuis son élection, la politique migratoire de Macron est très critiquée. En juillet 2017, l’annonce de la création de hotspots au Tchad et au Niger avait provoqué un tollé, de nombreuses associations estimant que la France souhaitait ainsi créer des « camps » afin de « trier » les migrants. Contraint de rétropédaler, le président français avait décidé de constituer des « missions d’identification ». Depuis que celles-ci ont débuté en octobre 2017, plusieurs dizaines de personnes ont été identifiées. Soit sensiblement moins que les 3 000 réfugiés que la France a promis d’accueillir d’ici à la fin de 2019.

Augmenter l’APD, une promesse récurrente

« Aussi ai-je pris l’engagement d’atteindre à la fin de mon mandat le chiffre de 0,55 % du revenu national brut en termes d’aide publique au développement. »

C’est une promesse récurrente des présidents français, mais elle est rarement tenue. Comme Macron, Hollande avait promis au début de son mandat d’augmenter l’APD, ce qui ne l’a pas empêchée de baisser, avant de rebondir l’an dernier. En 2017, l’APD française a atteint 0,43 % du revenu national brut, une hausse largement imputable à la mise en place du Fonds vert pour le climat. Afin de tenir sa promesse, Macron a prévu une augmentation progressive : l’APD doit atteindre 0,44 % en 2018 et en 2019, 0,47 % en 2020 et 0,51 % en 2021. Si l’objectif de 0,55 % a généralement été salué, il est néanmoins très en deçà des 0,7 % fixés par les Nations unies il y a cinquante ans.

« Concrètement, la France investira plus de 1 milliard d’euros pour soutenir les PME africaines. »

Destiné aux petites et moyennes entreprises et piloté par l’AFD, ce fonds vise essentiellement à renforcer certaines initiatives existantes. Les trois quarts du milliard d’euros promis seront financés par Proparco, la filiale de l’AFD pour le secteur privé. Une deuxième version du fonds Fisea, qui cible les pays fragiles, sera également lancée cette année. Il sera doté de 120 millions d’euros. Enfin, l’AFD et la Banque publique d’investissement française consacreront 60 millions d’euros à la création d’un nouveau fonds d’investissement en Afrique baptisé Averroès IV.

Des visas longue durée pour étudiants diplômés

« C’est le sens du fonds doté de 300 millions d’euros destiné au soutien des projets d’infrastructures en Afrique. Les premiers investissements auront lieu dans les toutes prochaines semaines. »

C’est à Ouagadougou, le 4 avril, que Rémy Rioux et Pierre-René Lemas, les directeurs de l’AFD et de la Caisse des dépôts, ont annoncé la création d’un fonds de 600 millions d’euros chargé d’investir dans des projets d’infrastructures dans les pays en développement. La moitié est destinée à l’Afrique.

« Je souhaite que tous ceux qui sont diplômés en France puissent y revenir quand ils le souhaitent, et aussi souvent qu’ils le souhaitent, grâce à des visas de circulation de plus longue durée. »

Cette annonce a été acclamée par l’amphithéâtre de Ouaga-I, tant elle représente une ouverture importante pour des milliers d’étudiants africains. La France reste en effet l’une de leurs destinations de prédilection : un quart des 432 000 Africains, selon l’Unesco, qui poursuivaient des études hors du continent l’avaient choisie en 2015. Le visa longue durée français n’est pourtant pas une nouveauté, mais son usage va être élargi. Une note en ce sens vient d’être envoyée aux consulats français.

Aujourd’hui souvent réservé aux personnalités politiques, ce visa longue durée, baptisé Passeport Talent, va être ouvert aux étudiants – à condition qu’ils soient titulaires d’un diplôme d’enseignement supérieur français –, mais aussi à des « porteurs de projets innovants » et à des acteurs du monde culturel et du monde sportif. Ces visas peuvent avoir une durée aussi longue que celle du passeport du bénéficiaire.

200 millions pour la scolarisation

« Je serai aux côtés de tous les chefs d’État et de gouvernement africains qui feront le choix de la scolarisation obligatoire des jeunes filles. »

Lors de sa visite à Dakar, en février, Macron a précisé son engagement : la participation de la France au partenariat mondial pour l’éducation, destiné à soutenir la scolarisation des enfants dans 65 pays en développement, va passer de 17 millions d’euros pour la période 2014-2017 à 200 millions en 2018-2020. Le président français a également annoncé l’octroi de 100 millions d’euros d’aides bilatérales, dont 15 millions pour la scolarisation des jeunes filles et la lutte contre le mariage précoce au Niger.

À Ouagadougou, il avait également promis de « s’engager massivement » dans la formation des professeurs africains, sans préciser quelle forme prendrait cette aide. « Cent mille professeurs pour l’Afrique », la dernière initiative française en ce domaine, date de 2014. Elle était essentiellement consacrée au développement d’outils de formation à distance.

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