Municipales en Tunisie : les spécificités locales enfin au cœur des débats

Nouveau cap dans le processus démocratique et dernier test avant les législatives et la présidentielle de 2019, le scrutin municipal du 6 mai va surtout changer la vie quotidienne des Tunisiens.

Près de 5,37 millions d’électeurs inscrits sont invités à voter © Nicolas Fauqué/www.imagesdetunisie.com

Près de 5,37 millions d’électeurs inscrits sont invités à voter © Nicolas Fauqué/www.imagesdetunisie.com

Publié le 29 mars 2018 Lecture : 4 minutes.

Une Tunisienne dépose son bulletin dans un bureau de vote, à La Marsa, banlieue de Tunis (Tunisie), le 21 décembre 2014. © Hassene Dridi/AP/SIPA
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Municipales en Tunisie : le grand test

Les Tunisiens vont encore faire un pas en avant avec les municipales, les premières depuis la Constitution de 2014, consacrant la libre gestion des communes. De quoi remettre sur les rails la vie locale mais aussi l’économie, qui en a bien besoin.

Sommaire

Reportées quatre fois depuis 2014 – année de l’adoption de la nouvelle Constitution, des élections législatives et présidentielle –, les municipales du 6 mai* revêtent un caractère particulier, puisque la Constitution de 2014 consacre la décentralisation et la démocratie participative, conférant la gestion des communes et régions aux collectivités territoriales. Elles devraient donc marquer la fin d’un pouvoir central tout-puissant, où Tunis décide pour tous sans toujours être au fait des spécificités locales.

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Avant tout, ce scrutin va mettre fin à l’administration provisoire des communes, les dernières élections municipales datant de mai 2010. Quelle que soit la participation, les habitants attendent donc beaucoup des futurs conseils municipaux.

Notamment qu’ils apportent rapidement des solutions aux problèmes locaux qui se sont accumulés dans la plupart des circonscriptions du pays (collecte des ordures ménagères, entretien de la voirie…), qu’ils assurent une gestion transparente du foncier, une qualité et un cadre de vie décents, et une interface efficace avec les entreprises publiques chargées de la distribution de l’eau, de l’électricité et du gaz, ainsi que la promotion des communes auprès d’investisseurs.

Parité verticale

Pour constituer les conseils municipaux des 350 communes du pays, 2 067 listes ont d’ores et déjà été validées par l’Instance supérieure indépendante pour les élections (Isie, qui pourra en accepter quelques autres d’ici au 4 avril, après examen d’éventuels recours), soit plus de 57 000 candidats, dont 75 % ont moins de 45 ans.

L’exercice démocratique ne peut réussir que dans la stabilité, ce que n’offre pas la proportionnelle

Afin de respecter les obligations de parité verticale, chaque liste doit comporter autant d’hommes que de femmes, au moins trois candidats de moins de 35 ans et une personne présentant un handicap.

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« Beaucoup de démocraties établies pourraient nous envier de telles exigences, se félicite Sami Bahri, un ancien activiste. Le grand pari de nos constituants de faire de la démocratie locale un vivier de futurs leaders est en passe de réussir. » Parmi ces listes, 1 060 sont partisanes, 157 émanent de coalitions et 850 sont indépendantes.

Ces chiffres ont surpris les observateurs, puisque l’apparente démobilisation laissait présager que l’ensemble du territoire ne serait pas couvert. Certains estiment cependant que le nombre est en deçà des attentes et dénoncent les contraintes de parité, qui ont compliqué la formation des listes pour les petits partis. D’autres, comme le constitutionnaliste Sadok Belaïd, remettent en question le scrutin à la proportionnelle à un seul tour et au plus fort reste.

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« L’exercice démocratique ne peut réussir que dans la stabilité, ce que n’offre pas la proportionnelle », explique-t-il, invitant à une révision du code électoral.

Tour de chauffe

Les principales formations politiques, par le nombre de listes présentées sur tout le territoire, entendent montrer leur poids et font de ces municipales un tour de chauffe avant les législatives et la présidentielle de 2019.

À tel point que certains mettent en doute l’indépendance de quelques listes sans étiquette, chevaux de Troie des deux partis majoritaires, Ennahdha et Nidaa Tounes, qui pourraient ainsi, sans afficher leur suprématie, « tenir » quand même les conseils municipaux. Une suspicion que confirmeront ou infirmeront les résultats du scrutin, sans pour autant en amoindrir les enjeux et les attentes.

Ces élections locales pourraient être une simple formalité, une suite logique dans le processus démocratique engagé depuis l’adoption de la Constitution. Mais certaines conditions restent à remplir pour parfaire ce processus, à commencer par l’adoption du code des collectivités locales, qui doit conférer aux communes l’autonomie administrative et financière.

Ce texte est toujours en discussion à l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), qui s’est engagée à se prononcer d’ici à la fin du mois de mars. « Les élections municipales supposent deux choses : la décentralisation et la discrimination positive. Or il manque encore un cadre légal pour y parvenir », précise Mondher Belhaj Ali, député du bloc national (il a quitté Nidaa).

Service minimum

Selon le Centre Carter, une fondation indépendante chargée de veiller au bon déroulement des élections, ce texte fondateur de la gouvernance locale, dont le projet a été élaboré par le gouvernement, présente des insuffisances. Notamment en maintenant un important contrôle de l’État, comme si ce dernier peinait à définir clairement les responsabilités de chacun et à se départir de certains pouvoirs de décision, contrevenant ainsi aux principes d’autonomie et de gestion participative.

Les communes manquent de ressources et ont du mal à assurer un service minimum

« Il ne suffit pas de vouloir que la gestion des municipalités change en instaurant un nouveau mode de gouvernance. Il faut leur donner les moyens financiers et humains pour travailler. Actuellement, les communes manquent de ressources et ont du mal à assurer un service minimum, comme la collecte des ordures ménagères », explique Noura Arfaoui, une commerçante du Bardo, à Tunis.

Difficile pour les candidats d’affiner leur programme tant que le code des collectivités locales n’est pas adopté, mais il devrait l’être avant le début de la campagne, le 14 avril. Il leur faudra alors convaincre un électorat qui, ces derniers mois, a exprimé un profond rejet de la politique. Toutefois, selon un sondage publié mi-février par l’institut de sondages Sigma Conseil, 33,2 % des Tunisiens interrogés déclaraient qu’ils n’iraient pas voter aux municipales et 37,5 %, qu’ils étaient encore indécis sur leur participation au scrutin ou sur le choix de la liste pour laquelle ils voteraient…

Les municipales seront un succès démocratique, encore un dans la longue marche de la citoyenneté retrouvée des Tunisiens

Un mieux par rapport à l’enquête réalisée au deuxième semestre 2017, où près de 70 % des sondés disaient vouloir s’abstenir. « Les municipales seront un succès démocratique, encore un dans la longue marche de la citoyenneté retrouvée des Tunisiens », espère l’analyste Hassen Zargouni. Même s’ils sont loin de tous partager son enthousiasme, nombre de Tunisiens savent que ce scrutin tant attendu est indispensable pour parvenir à une meilleure gestion de proximité.

(*) Le 6 mai, les électeurs choisiront les membres des 350 conseils municipaux du pays, sur la base d’un scrutin de liste proportionnel au plus fort reste et à un seul tour. La campagne électorale débutera le samedi 14 avril et s’achèvera le vendredi 4 mai à minuit.

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