
Le chef de gouvernement Youssef Chahed, lors de la conférence de presse de clôture de Tunisia 2020, le 30 novembre 2016. © Nicolas Fauqué pour JA
La Tunisie est dos au mur. Avec un déficit qui dépasse les 6% du PIB, le pays ne doit de rester relativement à flot que par l’aide conjuguée du Qatar et de l’Union européenne. Pour sortir de l’ornière, il faut un sursaut de volontarisme que les perspectives électorales rendent peu probable.
Décryptage. «Faites-moi de bonnes politiques, je vous ferai de bonnes finances. » La phrase prononcée en Conseil des ministres en 1830 par le baron Louis, ministre des Finances du roi Louis-Philippe, va comme un gant à la Tunisie, dont l’économie est malade des décisions politiques prises – ou pas – depuis le Printemps de 2011.
Dos au mur
En ce mois de mars, le pays est le dos au mur : le déficit budgétaire dépasse les 6 % du PIB, et ce sont les fonds du Qatar et de l’Union européenne qui permettent de le rendre supportable, la balance courante n’a jamais été aussi négative, l’inflation remonte à 5 %, le dinar s’est déprécié de 22,8 % en un an par rapport à l’euro, la dette publique a bondi de 39,7 % du PIB en 2010 à 70 % fin 2017. Autant dire que le pays emprunte pour rembourser ses dettes et non pour investir. De ce fait, la croissance demeure trop faible (1 % en 2016, 2,3 % en 2017) pour réduire le chômage massif de 30 % chez les jeunes et les femmes. La faillite rôde.
Comment en est-on arrivé là ? Le laxisme de l’après-Printemps a été catastrophique, car les dépenses de l’État ont progressé deux fois plus vite que ses recettes. Le gouvernement Jebali a embauché à tour de bras des fonctionnaires pas toujours dotés des compétences et des motivations requises ; la masse salariale de la fonction publique dévore désormais les deux tiers des recettes fiscales.
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Mis en difficulté par la multiplication des grèves et des manifestations, les gouvernements Essid et Chahed ont ensuite cédé aux revendications salariales des fonctionnaires, oublié de repousser l’âge de la retraite, traîné les pieds pour redresser les entreprises publiques déficitaires, mené à très petite allure la lutte contre la corruption. Les réformes structurelles mettent des mois à être votées, puis des mois supplémentaires avant d’être appliquées.
Dégâts de la procrastination

© Infographie jeune Afrique
On a vu spectaculairement les dégâts de cette procrastination lorsqu’en décembre 2017 l’Union européenne a placé la Tunisie sur la liste noire des pays « non coopératifs » parce que susceptibles de couvrir des opérations de blanchiment. Les documents requis pour lui éviter cette humiliation n’avaient pas été transmis à Bruxelles en temps utile, dit-on.
Faute de stratégie économique, les six gouvernements qui se sont succédé depuis la fin de 2011, de Jebali à Chahed, ont été à la remorque des événements. Au lieu d’imaginer un nouveau modèle pour remplacer celui de Ben Ali, à bout de souffle, fondé sur les bas salaires dans les industries textile et mécanique, les productions et le tourisme low cost, ils ont géré à la petite semaine sans changer grand-chose.
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Le FMI en terrain conquis
Incapables de tenir tête au FMI faute de vision sur la façon de faire repartir la croissance, ils ont accepté ses remèdes tels qu’ils leur étaient présentés. Ils n’ont pas anticipé les inévitables réactions populaires à une baisse des subventions aux carburants ou aux produits de première nécessité et à la hausse d’impôts – déjà inégalitaires, car frappant surtout le secteur formel et ses salariés.
La tension sociale du début de l’année a été aggravée par une absence de pédagogie. Ce n’est pas parce qu’il est inévitable de faire se serrer la ceinture à une population qui vit au-dessus de ses moyens collectivement (pas individuellement) que cela dispense de trouver les mots et les méthodes pour lui faire accepter la nécessité d’un effort équitablement réparti. La perspective des élections locales ne laisse guère augurer de sursaut en matière de volontarisme, d’imagination ou de justice. Inquiétant.
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