Tunisie – Hichem Ben Ammar : « J’ai cru que la mémoire audiovisuelle était une cause perdue »

Dans un entretien accordé à Jeune Afrique, le cinéaste Hichem Ben Ammar, revient sur la création de la Cité de la culture en Tunisie.

Hichem Ben Ammar, producteur et réalisateur, directeur de la Cinémathèque tunisienne. © Ons Abid pour JA

Hichem Ben Ammar, producteur et réalisateur, directeur de la Cinémathèque tunisienne. © Ons Abid pour JA

Publié le 6 décembre 2017 Lecture : 4 minutes.

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Sur l’avenue Mohammed-V, en plein cœur de Tunis, la construction de la Cité de la culture s’achève. L’inauguration est prévue pour le 20 mars 2018, jour de la Fête de l’indépendance. L’un des pôles majeurs de cet immense complexe sera la Cinémathèque tunisienne : un projet vieux de cinquante ans qui prend enfin corps et dont la direction a été confiée en juin 2017 à Hichem Ben Ammar. Pour le réalisateur, la préservation du patrimoine audiovisuel est un projet beaucoup plus global.

Jeune Afrique : La plupart de vos documentaires portent sur la mémoire culturelle et sociale du pays. Le projet de la Cinémathèque tunisienne s’inscrit-il dans ce registre ?

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Hichem Ben Ammar : C’est vrai, à travers mes films, je n’ai jamais cessé de me poser la question de la mémoire. Mais mon engagement pour sauvegarder celle du cinéma s’est affirmé dès le début des années 1980… Avant même que je me consacre au devoir de mémoire en tant que documentariste. Je le suis d’ailleurs devenu presque en désespoir de cause ! Pratiquement tous les ministres de la Culture [depuis 1958] annonçaient la création d’une cinémathèque nationale, sans jamais approfondir le sujet ni envisager de lui donner un statut qui garantisse sa viabilité.

La Cinémathèque tunisienne peut nouer un partenariat avec la Fiaf qui favorise les échanges entre les 164 cinémathèques de son réseau

Voyant le projet stagner, j’ai donc changé mon fusil d’épaule et commencé à réaliser des films qui m’ont permis d’être reconnu comme un cinéaste engagé. Aujourd’hui, le rêve se concrétise enfin. Alors que je croyais sa cause perdue, la Cinémathèque tunisienne est là. Sa naissance a été officiellement annoncée le 14 octobre, à Alger, lors du colloque organisé par la Fédération internationale des archives du film [Fiaf] sur la préservation du patrimoine cinématographique.

Elle a donc enfin un statut et un cadre ?

La Cinémathèque est rattachée administrativement et financièrement au Centre national du cinéma et de l’image, qui, dans son règlement, en définit le fonctionnement et les attributions. La conservation des films sera assurée par la Bibliothèque nationale et les Archives nationales, afin d’optimiser les ressources et de mettre à profit la complémentarité entre ces institutions concernées par la conservation et la diffusion du patrimoine culturel.

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Grâce à ce statut, la Cinémathèque tunisienne peut nouer un partenariat avec la Fiaf, qui favorise les échanges entre les 164 cinémathèques de son réseau. Le dépôt légal étant le moyen le moins onéreux de collecter les films et de constituer des collections, elle devra notamment militer pour que les lois existantes soient appliquées, ou que de nouvelles soient promulguées, afin de lui permettre de se doter d’une collection exhaustive issue de la production cinématographique nationale.

Quelles sont les actions à engager dans l’immédiat ?

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Il faut avant tout procéder à l’inventaire des stocks de films existants, vérifier l’état des copies et des négatifs. Il faut aussi prendre en charge la numérisation des Actualités tunisiennes (tournées entre 1955 et 1980), transférer les films dans des locaux offrant plus de garanties de sécurité, établir et mettre en ligne des bases de données, commencer à restaurer les films de patrimoine, engager la recherche de longs-métrages tunisiens détenus à l’étranger par des laboratoires ou des centres d’archives…

L’un des enjeux est de susciter la curiosité et l’intérêt des jeunes à l’égard des films de patrimoine

C’est un travail considérable ! Nous pensons raisonnablement pouvoir établir un premier bilan dans un délai de trois ans et, pour y parvenir, nous comptons sur la persévérance, la motivation et la solidité du cadre mis en place.

Restauration, conservation et restitution… Quels sont les autres enjeux ?

La Cinémathèque collecte, conserve et valorise le patrimoine cinématographique. Elle célèbre ses œuvres, ses auteurs, ses acteurs, ses techniciens, elle met ses collections au service des chercheurs et, à partir d’un minutieux travail muséographique, elle joue aussi un rôle fédérateur en formant le public, en rassemblant les professionnels et en réparant la fracture intergénérationnelle. L’un des enjeux est d’ailleurs de trouver les formes de communication les plus à même de susciter la curiosité et l’intérêt des jeunes à l’égard des films de patrimoine.

Pour atteindre ces objectifs, notre institution doit être en phase avec la corporation des cinéastes et avec la société, elle doit s’adapter aux mutations actuelles, celles d’une Tunisie qui tente de se reconstruire. C’est un véritable défi, car il s’agit de rattraper un retard de soixante ans, pendant lesquels l’écart technologique entre le Nord et le Sud s’est creusé. La Cinémathèque s’inscrit dans le cadre de la restructuration du secteur audiovisuel tunisien et n’a pas le droit à l’erreur. La réussite de ce projet patrimonial sera également celle d’un pays qui tient à sa transition démocratique.

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