Sommet UA-UE : les grands enjeux

Le changement de nom de la rencontre entre l’Europe et l’Afrique qui se tiendra les 29 et 30 novembre à Abidjan annonce-t-il un changement de ton ? Alors que les États africains peinent à cacher leurs différends, des voix s’élèvent pour exiger la mise en place d’une véritable politique de développement.

Les chefs d’État africains lors du sommet de l’UA, à Addis-Abeba, en Ethiopie, le 30 janvier 2017. © Mulugeta Ayene/AP/SIPA

Les chefs d’État africains lors du sommet de l’UA, à Addis-Abeba, en Ethiopie, le 30 janvier 2017. © Mulugeta Ayene/AP/SIPA

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Publié le 27 novembre 2017 Lecture : 6 minutes.

Lors du sommet UA-UE à Abdijan, le 29 novembre 2017. © Geert Vanden Wijngaert/AP/SIPA
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Sommet UA-UE : une nouvelle ère ?

Le « sommet UA-UE », premier du nom mais cinquième du genre, s’est tenu les 29 et 30 novembre à Abidjan. Retour sur les enjeux, les débats et les principales déclarations et décisions.

Sommaire

Les 29 et 30 novembre, Abidjan va accueillir le 5e sommet entre l’Union africaine (UA) et l’Union européenne (UE). Premier du nom. Depuis le rendez-vous initial, organisé au Caire en 2000, l’UE rencontrait « l’Afrique ». Mais l’intégration du Maroc dans l’UA en début d’année a rebattu les cartes. « Tous les pays africains sont aujourd’hui membre de l’Union. Ce changement de nom est donc tout à fait justifié », explique Koen Vervaeke, directeur général pour l’Afrique au sein du Service européen pour l’action extérieure (SEAE), observant sur le sujet la même prudence que l’institution qu’il représente.

La question perturbe pourtant les préparatifs du sommet depuis des mois. La nouvelle dénomination ouvre en effet la porte à la République arabe sahraouie démocratique (RASD) qui, conviée pour la première fois à l’événement, comme l’ensemble des 55 membres de l’UA, s’est empressée d’accepter l’invitation. Provoquant simultanément le mécontentement de Rabat et l’embarras d’Abidjan ainsi que d’une large partie des pays participants.

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Le label « Afrique-UE » a même resurgi l’espace de quelques semaines, avant de s’effacer, semble-t-il pour de bon, fin octobre, après un ballet diplomatique effréné des deux côtés de la Méditerranée et moult tractations durant lesquelles le sommet a même failli être déménagé à Addis-Abeba.

Toutes ces tergiversations intra-africaines « ont bien failli gâcher la fête »

L’appellation et la localisation enfin confirmées, tout le monde attend maintenant de connaître la composition de la délégation marocaine. Mohammed VI, qui fera certainement le déplacement à Abidjan, peut difficilement soustraire son pays à la première grande rencontre internationale organisée depuis le retour de ce dernier au sein de l’UA. D’autant qu’elle concerne deux continents aux destins scellés par des intérêts communs et dont le Maroc constitue l’un des traits d’union naturels les plus évidents.

Toutes ces tergiversations intra-africaines « ont bien failli gâcher la fête », confirme un observateur européen, alors que des querelles à propos du financement de l’événement lui-même risquent de plomber l’ambiance jusqu’aux dernières heures des préparatifs. Les organisateurs africains et européens pensaient pourtant bien avoir fait le plus dur en parvenant à s’accorder sur un thème officiel pour ce cinquième rendez-vous : la jeunesse.

Décisions en coulisses

« La question est bien entendu très importante, mais elle ne suscite aujourd’hui aucune divergence profonde », constate Geert Laporte, vice-directeur du Centre européen de gestion des politiques de développement (ECDPM), un think tank bruxellois.

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Comme si l’essentiel était surtout d’éviter les sujets qui fâchent entre deux institutions bousculées en interne : l’UA par une réforme censée lui donner les moyens de ses ambitions ; l’UE à la suite du Brexit, dont les effets restent à mesurer, et de la recomposition d’un couple franco-allemand aux visions parfois contradictoires en matière de politique extérieure. Exit donc, les thématiques sécuritaires, migratoires, économiques ?

« Le thème de la jeunesse est justement suffisamment central pour pouvoir traiter de toutes ces questions », affirme Koen Vervaeke. Mais également suffisamment large pour rester « de l’ordre du symbolique », comme le craint déjà le représentant d’une ONG. Avec le risque de n’apporter que demain des réponses aux problèmes qui se posent aujourd’hui aux deux unions et à leurs populations.

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Comme pour les sommets précédents, les décisions se prendront davantage en coulisses que lors des plénières programmées pendant les deux jours de festivités. « C’est tout le paradoxe de ces rendez-vous multilatéraux qui servent surtout des intérêts bilatéraux, regrette un diplomate, mais c’est essentiel pour les bonnes relations que l’Europe entend développer avec l’Afrique et pour le rôle que les deux comptent jouer, ensemble, sur la scène internationale, en matière de politique environnementale notamment. »

Déficit d’image

Dix ans après la définition de la Stratégie conjointe Afrique-UE (JAES), lors du sommet de Lisbonne, l’UE estime toujours souffrir d’un déficit d’image de l’autre côté de la Méditerranée. Sans rapport avec sa contribution sur le continent en matière financière ou sécuritaire.

L’UE et ses États membres représentent 33 % de tous les investissements étrangers réalisés à travers l’Afrique, absorbent 41 % de ses exportations et fournissent 33 % de ses importations, transfèrent 36 % des fonds expédiés aux pays par la diaspora et participent à hauteur de 50 % à l’aide publique au développement versée chaque année au continent.

L’UE doit vite sortir du paternalisme pour entrer dans une nouvelle démarche, analyse Cécile Kyenge

« Mais être le premier bailleur ne suffit pas pour être bien considéré, déplore Cécile Kyenge, l’ancienne ministre italienne pour l’Intégration, aujourd’hui députée européenne. L’arrivée de la Chine sur le continent ressemble à un avertissement pour l’UE, qui doit vite sortir du paternalisme pour entrer dans une nouvelle démarche. »

L’absence d’engagements collectifs pour l’Afrique à Hambourg début juillet, lors d’un G20 dont la seule ambition était de souligner la position allemande et le désengagement des Américains consécutif à l’arrivée de Donald Trump à la Maison-Blanche, donne à Bruxelles une belle carte à jouer lors de ce sommet.

« À condition d’arrêter de voir l’Afrique comme ce continent qu’il faut forcément aider. Il est temps de passer à une véritable politique de développement, tempête Elissa Jobson, spécialiste de l’UA à l’organisation International Crisis Group. Mais pour cela, il faut se parler et ne plus hésiter à mettre certains dossiers sensibles sur la table, comme celui de la bonne gouvernance par exemple. »

« New Deal »

À l’UE de saisir l’occasion qui se présente pour porter sur les fonts baptismaux ce fameux new deal défendu par Federica Mogherini, la haute représentante de l’UE pour les affaires étrangères, tout au long de la « communication conjointe » publiée par ses services début mai et qui « sert de base à la feuille de route de ce sommet », assure Koen Vervaeke.

Surtout depuis que son contenu a été validé dans ses grandes lignes par la Commission de l’UA, qui l’a donc trouvé compatible avec les objectifs qu’elle s’est elle-même fixés dans son Agenda 2063.

Faute de mieux, diront les mauvaises langues, car, comme l’Afrique lors des sommets précédents, l’UA n’arrive toujours pas à parler d’une seule voix, comme l’a encore illustré la question de la présence de la RASD ces dernières semaines, ou l’absence d’un ambassadeur de l’organisation panafricaine à Bruxelles, sur le modèle de celui envoyé par l’UE à Addis-Abeba depuis juin 2016.

L’intégration africaine n’est pas assez avancée pour que l’UA puisse vraiment peser sur les négociations, estime Elissa Jobson

Bien sûr, le camp d’en face affiche également ses désaccords, notamment sur l’évolution à donner au partenariat avec les pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP) après l’expiration des accords de Cotonou, en 2020.

Mais tous les pays membres se sont rangés derrière l’UE lorsque celle-ci a sorti son document-cadre sur la question l’année dernière. Comme cela avait déjà été le cas à La Valette en novembre 2015 sur le dossier migratoire.

« L’intégration africaine n’est pas assez avancée pour que l’UA puisse vraiment peser sur les négociations, affirme Elissa Jobson. Tant que son financement sera assuré par les contributions extérieures, à commencer par celle de l’UE, l’idée d’un partenariat d’égal à égal reste une vue de l’esprit. » Et ce n’est pas la nouvelle dénomination du sommet, désormais organisé entre deux structures institutionnelles comparables, qui va mettre un terme à cette asymétrie.

À Abidjan, comme auparavant au Caire, à Lisbonne, à Tripoli et à Bruxelles, « l’UA va venir avec une liste de courses qu’elle va demander à l’UE de financer et cette dernière risque d’en profiter pour imposer un agenda sur lequel les pays africains n’auront aucune prise », craignent de nombreux spécialistes.

L’arrivée de la très attendue réforme de l’UA, confiée au chef de l’État rwandais Paul Kagame, est justement destinée à faire en sorte que l’Afrique bénéficie au mieux de ce genre de rendez-vous. Un impératif alors que le monde entier cherche, ces dernières années, à tisser des relations privilégiées avec le continent.

Une foule de rendez-vous

Comme à chaque édition du sommet, d’autres manifestations sont organisées en parallèle. Si le Forum de la société civile s’est tenu à Tunis, du 11 au 13 juillet, tous les autres rendez-vous ont lieu à Abidjan, comme cela a été le cas pour le 4e Forum de la jeunesse, accueilli du 9 au 11 octobre, ou celui des acteurs économiques et sociaux, du 16 au 17 novembre.

En attendant le 6e forum des affaires et le sommet parlementaire, dès le 27 novembre.

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