Énergie : pourquoi l’Afrique met les gaz

«Le gaz est le nouveau pétrole ! », affirmait à la fin du mois d’octobre Rodney MacAlister, président du cabinet Monetizing Gas Africa, aux participants de l’Africa Oil Week, la grand-messe annuelle des hydrocarbures.

Usine de mise en bouteille de gaz. © Photo de Olivier pour Jeune Afrique

Usine de mise en bouteille de gaz. © Photo de Olivier pour Jeune Afrique

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Publié le 20 novembre 2017 Lecture : 7 minutes.

Vue d’une centrale électrique alimentée au gaz au Botswana.
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Le marché du gaz en voie d’explosion en Afrique

Découverte de nouveaux gisements, réorganisation du secteur, perspectives d’avenir… Le marché du gaz est en expansion sur le continent.

Sommaire

Après trois éditions au cours desquelles les échanges avaient tourné autour des plans d’économies engagés par les compagnies à la suite de la chute des cours du baril, la manifestation s’est cette fois-ci conclue sur une note positive, avec un seul sujet au centre des débats : comment exploiter les gigantesques réserves de gaz mises au jour ces cinq dernières années. Depuis les découvertes majeures faites par l’américain Anadarko et l’italien ENI, en 2012, au large du Mozambique – estimées à 180 000 milliards de pieds cubes –, les géologues ont trouvé une série d’importants gisements dans une dizaine de pays, essentiellement en offshore.

Si l’Algérie, l’Égypte, l’Angola et la Guinée équatoriale ont déjà une grande expérience dans le secteur, d’autres comme le Sénégal et la Mauritanie sont de nouveaux entrants. C’est à la frontière de ces deux pays, au large de la ville de Saint-Louis, que l’américain Kosmos energy, déjà célèbre pour avoir découvert le gisement pétrolier de Jubilee, au Ghana, a identifié, en 2016, le mégacomplexe gazier de Grand-Tortue-Ahmeyim, qui pourrait receler 50 000 milliards de pieds cubes de gaz. Le britannique BP a investi à ce jour près d’un milliard de dollars pour s’associer à sa future exploitation.

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Actuellement, seule une minorité des projets gaziers offshore a fait l’objet d’une décision d’investissement. « Les géologues ont fait leur travail. Au tour des États africains, des compagnies pétrolières et des partenaires financiers d’en faire quelque chose », estime le géologue britannique Mike Lakin, directeur du cabinet de conseil Envoi.

Plus complexe à écouler

Techniquement plus difficile à exploiter que le pétrole, notamment en raison de sa dangerosité, le gaz est aussi commercialement plus complexe à écouler. Car il n’y a pas un, mais plusieurs marchés. Ceux du gaz naturel liquéfié (GNL), obtenu par refroidissement, facilement exportable par bateau, dont le prix varie selon les grandes régions de consommation (surtout l’Asie et l’Europe).

Et ceux du gaz comprimé, qui est transporté par gazoduc, acheté par les producteurs d’électricité à un prix réglementé, là encore différent pour chaque territoire (c’est le système choisi pour les programmes « Gas to Power » au Nigeria). Le cours du baril de brent – le prix de vente de 90 % du pétrole dans le monde – a certes une influence sur ces différents marchés du gaz, mais il n’y a pas de stricte corrélation entre le prix du pétrole et celui du gaz.

Toutefois, cette complexité, technique et commerciale, qui pouvait auparavant rebuter les groupes pétroliers, ne les empêche plus d’avancer. Les prévisions désormais alléchantes de croissance de la consommation de gaz naturel – sous toutes ses formes – ont fait fondre leurs craintes.

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Un marché attractif

« Le marché du gaz croît de 2 % par an, et au sein de celui-ci le GNL de 5 %. Ce sont par conséquent des marchés très attractifs, alors que le pétrole ne croît que de 1 % chaque année », se félicite Laurent Vivier, le directeur gaz de Total. Selon une étude de BP, la consommation de gaz va bondir entre 2015 et 2035 de 77 % en Asie-Pacifique, de 28 % en Amérique du Nord… et de 80 % en Afrique, même si le continent ne représentera dans vingt ans que 5,1 % de la consommation mondiale de gaz (3,9 % aujourd’hui).

Présenté comme une énergie propre pour l’électrification, surtout par rapport au charbon, le gaz naturel « classique » – contrairement au gaz de schiste, extrait par fracturation hydraulique – apparaît pour bon nombre de compagnies électriques et de gouvernements comme une voie alternative à privilégier.

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Avec ces perspectives commerciales appétissantes, l’attitude des compagnies pétrolières vis‑à-vis du gaz a profondément changé, d’autant plus que développer des projets gaziers importants leur permet aussi de bénéficier de prix moins volatils que ceux du pétrole.

Majors du secteur et nouveaux venus

Le britannique BP affiche désormais son ambition de devenir le numéro un mondial du secteur, notamment grâce à ses projets égyptiens et mozambicains. Même le français Total, jusqu’à présent peu porté sur le gaz en Afrique, annonce sa volonté d’y développer sa nouvelle division gaz et énergies renouvelables, établie à la mi-2016. Le PDG de la major, Patrick Pouyanné, a d’ailleurs confirmé le 23 octobre son intention d’acquérir les activités amont du français Engie (production et transport de GNL), présentes notamment en Algérie et en Égypte, pour se renforcer dans un domaine jugé crucial pour l’avenir de son groupe.

Quant à ENI, il est en pleine réorganisation de ses filiales négoce et ingénierie, pour passer d’un statut d’acheteur à celui de vendeur de gaz, du fait de ses grandes découvertes égyptiennes et mozambicaines. Derrière les majors du secteur, des compagnies juniors misant essentiellement sur le gaz ont aussi émergé, telles les britanniques Victoria Oil & Gas, active au Cameroun, et SDX Energy, présente au Maroc et en Égypte.

Enfin, des sous-traitants spécialisés se sont logiquement positionnés sur le créneau, notamment OneLNG, filiale du géant de la sous-traitance pétrolière Schlumberger et du spécialiste du gaz anglo-norvégien Golar, actif sur le projet Fortuna en Guinée équatoriale. Cette société, pilotée par le Français Pierre Raillard, espère installer des barges de production-liquéfaction de gaz (FLNG) un peu partout au large du continent.

Chaque projet gazier est unique

Les industriels du secteur se sont donc déjà mis en ordre de bataille, mais, pour que la filière gazière africaine prenne son essor, les États doivent à leur tour comprendre les différents modèles économiques gaziers et leur lien avec leur propre secteur énergétique pour orienter les investissements sur des projets adaptés. « Chaque projet gazier est unique, fait valoir Luca Bertelli, vice-président chargé de l’exploration d’ENI.

En Égypte, quand nous avons trouvé en 2015 le gigantesque gisement de Zohr, en Méditerranée, estimé à 32 000 milliards de pieds cubes, une bonne partie des pièces du puzzle étaient déjà en place pour bâtir un projet rentable pour tous rapidement : une consommation locale de gaz importante, avec une population de 80 millions d’habitants, un réseau de production et de distribution électrique et des prix d’achat garantis par les autorités », rappelle Luca Bertelli, qui se prépare à le faire entrer en production dès décembre 2017 après un investissement massif de 12 milliards de dollars – conjoint avec BP et Rosneft –, mais seulement trente-six mois de chantier.

« A contrario, poursuit le cadre italien familier du continent, même si les découvertes faites au Mozambique sont encore plus importantes, le marché domestique d’énergie y est encore balbutiant, il n’y a pas d’autres choix que de bâtir un projet principalement tourné vers l’exportation de gaz liquéfié depuis une barge offshore (FLNG), favorisé par la proximité géographique des marchés asiatiques en forte croissance », explique-t-il.

Peu de coopération entre les États de la région

« Les gouvernements font logiquement le rapprochement entre les découvertes gazières faites dans leur sous-sol, et leur besoin d’électrification, mais les projets “Gas to Power” tels que ceux menés depuis une décennie au Nigeria, ne sont pas la panacée quand les infrastructures – gazoducs, mais aussi centrales et réseau électriques – sont insuffisants ! » avertit le Nigérian Toyin Akinosho, rédacteur en chef de la revue Africa Oil+Gas Report, qui regrette que la piètre gouvernance du secteur de l’énergie de son pays et les prix trop bas de l’électricité aient fait échouer nombre de ces projets.

« Le Nigeria pourrait indubitablement devenir, grâce à son gaz, un centre majeur de production électrique pour toute l’Afrique de l’Ouest, mais il n’y a pas ou peu de coopération entre les États de la région. Résultat, plusieurs pays ouest-africains préfèrent implanter des terminaux d’importation de GNL venu de loin plutôt que d’acheter de l’électricité à l’étranger ou d’investir dans des projets transnationaux », regrette quant à elle Subha Nagajaran, directrice du bureau ivoirien de l’agence publique américaine Overseas private investment corporation, pour qui les projets devraient être pensés à une échelle régionale.

En matière de coopération pour l’électrification, la Mauritanie et le Sénégal, deux États dont les relations sont compliquées, mais qui devront nécessairement s’entendre pour l’exploitation du gisement de Grand-Tortue‑Ahmeyim, feraient bien de s’inspirer du projet Mozambique‑Afrique du Sud mené par Sasol et entré en production en 2004, l’un des rares succès transfrontaliers sur le continent.

Développer le secteur électrique

Certains pays qui ne disposent pas de réserves importantes de gaz peuvent espérer eux aussi, grâce aux terminaux d’importation et de regazéification de GNL, développer leur secteur électrique. Le ministre ivoirien du pétrole et de l’énergie, Thierry Tanoh, a dans ce domaine affirmé l’ambition d’Abidjan, qui, grâce à un partenariat avec Total, entend vendre de l’électricité produite à base de GNL importé à ses voisins.

En se développant, ce type de projet pourra offrir un nouveau débouché aux mégagisements majoritairement tournés vers l’exportation – tels ceux du Mozambique, de la Mauritanie et du Sénégal. Ce sera alors la possibilité de créer un circuit court d’approvisionnement en GNL africain sur le continent. À condition que les états s’entendent pour rendre ce marché attractif du point de vue des compagnies en baissant les barrières douanières.

Mozambique : 16 milliards de dollars pour un seul gisement

Au Mozambique, Claudio Descalzi, président de la compagnie italienne ENI, a révélé au début de l’année 2017 que le gouvernement allait récupérer 16 milliards de dollars (environ 14 milliards d’euros) sur vingt-cinq ans grâce au seul gisement de Coral Sud.

Au Sénégal aussi, les sommes en jeu sont considérables. Pour assurer la bonne gestion de cette manne, une délégation de hauts fonctionnaires venant pour partie de Petrosen, de Senelec et du ministère de l’Économie, des Finances et du Plan a été dépêchée aux Pays-Bas au début du mois d’octobre en vue de s’imprégner de l’expérience de leurs homologues néerlandais

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