Patrice Nganang : « C’est le tragique de leur histoire qui unit les Camerounais »

Écrivain, professeur de littérature à la Stony Brook University, à New York, le Camerounais Patrice Nganang évique pour Jeune Afrique la source de l’union camerounaise, dont il situe le cœur battant dans la ville de Foumban, dans l’Ouest.

L’écrivain Patrice Nganang a été arrêté au Cameroun le 6 décembre. © Lina Pallotta pour JA

L’écrivain Patrice Nganang a été arrêté au Cameroun le 6 décembre. © Lina Pallotta pour JA

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Publié le 7 novembre 2017 Lecture : 2 minutes.

Un jeune homme tenant le drapeau du Cameroun. © Sunday Alamba/AP/SIPA
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Jeune Afrique : Existe-t-il une identité nationale camerounaise ?

Patrice Nganang : Le Cameroun est encore trop jeune pour détenir déjà une identité fixée. Mais celle-ci est en cours de formation, et la ville de Foumban, dans l’Ouest, en est le centre de gravité. Pas tant parce que la dynastie des sultans issus de Nchare Yen y règne que parce que les premiers ouvrages de la pensée camerounaise, les premiers textes de loi, les premiers recueils sur la pharmacopée et même une ars erotica y ont été produits.

C’est à Foumban que palpite l’âme de notre pays

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Foumban est au Cameroun ce que Weimar est à l’Allemagne. On lui doit des personnalités comme Ibrahim Njoya, Nji Mama et Nji Fransawaya. Elle forme aussi le soubassement de ce pays inventé et nommé par les Européens, recomposé plusieurs fois par eux sans notre avis. Les pères fondateurs de l’État camerounais, y compris Ruben Um Nyobè et Félix Moumié, ne s’y sont pas trompés : ils se sont toujours référés à Foumban, parce que c’est là que palpite l’âme de ce pays.

Quels sont les marqueurs de cette identité ?

Hélas, les marqueurs historiques de l’identité camerounaise sont de grandes tragédies. Le premier, c’est le génocide commis contre les Bamilékés entre 1960 et 1970 et l’exécution d’Ernest Ouandié, en 1971.

Derrière ce moment théâtral qui a vu l’État s’affirmer sur un cadavre ont aussi eu lieu des rites animistes au cours desquels des Camerounais ont prêté serment à l’État, toujours pour lui permettre de s’affirmer.

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Le deuxième marqueur, c’est l’exécution de centaines de nordistes en 1984 à Mbalmayo et à Mfou (Centre). Le troisième date de la fin du mois de septembre 2017, quand la répression s’est abattue sur les villes anglophones d’Enoka et de Buea.

Au-delà de ce qui divise les Camerounais, qu’est-ce qui les unit ?

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Ce qui unit ce peuple, de manière viscérale, ce sont ses humanités et son histoire, son âme et son parcours. C’est essentiel dans un pays où, dans les langues maternelles, l’étranger est bien souvent celui qui appartient à une autre tribu.

Nous devrions être préoccupé par la téléologie de la violence qui se dessine dans le squelette de l’État

Ce qui unit le peuple, c’est aussi le tragique de son histoire, qui lui fabrique un destin commun. Chacun de nous devrait de ce fait être préoccupé par la téléologie de la violence qui se dessine pas à pas dans le squelette de l’État camerounais. Je veux parler de cette tendance de l’État à se retourner contre une partie de sa population pour s’affirmer à ses dépens. Cela crée une peur intime qui, si elle maintient le peuple sous une perpétuelle épée de Damoclès, lui fabrique un futur cadenassé qui l’effraie.

Uni dans la peur, le peuple devient tatillon, prompt à choisir la fuite devant son destin historique. Et quand il reste, il se soumet trop facilement. C’est une unité négative, certes, mais elle dure plus longtemps que les heures de fête lors des victoires des Lions indomptables, qui ne sont que des feux d’artifice, pas de mémorables épousailles.

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