Nasser Bourita : les relations Maroc-Algérie « sont au point mort à tous les niveaux »

Sahara, Union africaine, Cedeao… Dans un entretien exclusif, le ministre marocain des Affaires étrangères et de la Coopération internationale revient sur les dossiers chauds de la diplomatie chérifienne.

Nasser Bourita , ministre marocain des Affaires étrangères. © Georges Boulougouris/EU

Nasser Bourita , ministre marocain des Affaires étrangères. © Georges Boulougouris/EU

ProfilAuteur_NadiaLamlili

Publié le 10 septembre 2017 Lecture : 7 minutes.

Caler un rendez-vous avec Nasser Bourita, ministre marocain des Affaires étrangères et de la Coopération internationale, relève de la gageure. La faute à un emploi du temps surchargé partagé entre les avions, les salles de réunion et… le téléphone, mais aussi à l’extrême discrétion que cultive ce technocrate qui aura fait toute sa carrière, amorcée au début des années 1990, au service de la diplomatie du royaume.

Même depuis qu’il s’est vu confier, début avril, le portefeuille des Affaires étrangères, Nasser Bourita rechigne à se mettre en avant. Bras exécutif de la politique étrangère royale, sherpa du roi, il ne goûte guère les interviews et les caméras. Pourtant, c’est de mémoire qu’il cite les plus infimes détails de l’histoire diplomatique du royaume ou encore toutes les résolutions de l’ONU adoptées sur le Sahara.

« Le diable est dans les détails », aime rappeler Nasser Bourita

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Il reprend son interlocuteur sur chaque mot qu’il estime imprécis ou qui n’aurait pas une forme diplomatiquement correcte. « Le diable est dans les détails », aime-t‑il à rappeler. Sous des dehors affables, Nasser Bourita, 48 ans, est un technicien implacable qui, dit-il, « aime agir plutôt que parler ».

Dans l’entretien qu’il a accordé à JA, il revient sur le bilan de l’action du Maroc depuis son retour en janvier au sein de l’Union africaine (UA), sur son projet d’adhésion à la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) et sur sa stratégie pour neutraliser les pays alliés du Polisario.

Jeune Afrique : Quel bilan dressez-vous, sept mois après, du retour du Maroc au sein de l’UA ?

Nasser Bourita : Le retour au sein de l’UA est une étape charnière, mais il n’est pas une fin en soi. Il procède de la politique africaine de Sa Majesté le roi. Dans ses discours de Kigali [juillet 2016], de Dakar [novembre 2016] et d’Addis-Abeba [janvier 2017], Sa Majesté le roi a fixé deux objectifs. D’une part, contribuer à l’action collective pour l’Afrique. C’est ce que nous faisons : le Maroc est actif dans toutes les réunions de l’UA.

Le Maroc a transmis au président Paul Kagame une contribution écrite sur la réforme de l’UA

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Sa Majesté le roi, désigné leader sur la thématique de la « migration », a déjà présenté au dernier sommet de l’organisation [les 3 et 4 juillet à Addis-Abeba] la proposition d’un « agenda africain pour la migration ». Le Maroc a transmis au président Paul Kagame une contribution écrite sur la réforme de l’UA. Ce ne sont là que quelques exemples.

Mais il s’agit aussi, d’autre part, de faire entendre la voix du royaume au sein de l’UA, notamment sur le Sahara marocain. D’ailleurs, dès sa première participation à un sommet de l’Union, le Maroc a dû corriger les contre-vérités distillées allègrement des années durant par certains.

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Est-ce la raison pour laquelle vous contestez la pertinence de certains rapports de l’UA sur le Sahara ? Qu’est-ce qui vous dérange dans la terminologie employée par l’Union ?

Il ne s’agit pas simplement d’une question de terminologie, mais d’une démarche visant à adapter le langage de l’UA au droit international.

En l’absence du Maroc, l’UA était prise en otage par certains qui l’ont déconnectée de la réalité et de l’examen du dossier au sein de l’ONU

Le rapport de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples évoquait par exemple des « territoires occupés » ; celui du Conseil de paix et de sécurité parlait de « décolonisation » et « d’annexion ».

Ces termes sont en porte-à-faux avec les fondamentaux de l’ONU. En l’absence du Maroc, l’UA était prise en otage par certains qui l’ont déconnectée de la réalité et de l’examen du dossier au sein de l’ONU.

Nous avons pu corriger ces perceptions fallacieuses grâce à la compréhension de nombreux États membres et de la présidence de la Commission de l’UA.

Depuis le retour du Maroc au sein de l’UA, avez-vous noté un changement d’attitude de l’Algérie ?

Malheureusement, les relations avec l’Algérie ne connaissent aucune évolution. Aucune visite bilatérale au Maroc depuis plus de sept ans.

Les réunions de l’Union du Maghreb arabe [UMA] ne se tiennent plus et le Maghreb demeure la région la moins intégrée du continent

La coordination est au point mort à tous les niveaux. Les réunions de l’Union du Maghreb arabe [UMA] ne se tiennent plus et le Maghreb demeure la région la moins intégrée du continent.

Même lorsque le Maroc a annoncé, en juillet 2016 à Kigali, son intention de regagner sa place au sein de sa famille panafricaine, l’Algérie a mené des campagnes diplomatique et médiatique acharnées contre ce retour…

La demande d’adhésion du Maroc à la Cedeao a été officiellement approuvée. Où en est ce processus ?

La réponse positive des chefs d’État de la Cedeao, le 4 juin, à la lettre royale du 23 février traduit une conviction partagée par le Maroc et les quinze membres de la Communauté que l’adhésion du royaume sera bénéfique pour tous.

L’adhésion est un processus progressif, en phase avec le contexte régional et ses réalités. Après l’accord politique, nous en sommes à la phase juridique.

Une étape de négociations techniques suivra. Nous sommes en contact avec la commission de la Cedeao dans la perspective du sommet de Lomé [prévu en décembre].

La polémique « géographique » est-elle dépassée ?

Elle n’a jamais vraiment tenu. Le nom même du Maroc, Al-Maghrib al-Aqsa, le positionne dans l’ouest de l’Afrique. En outre, la Cedeao est une CER, c’est‑à-dire une communauté économique – et non pas géographique – régionale.

Regardez la Tunisie : elle est candidate à l’entrée dans le Comesa

La Mauritanie, membre de l’UMA, était d’ailleurs membre de la Cedeao avant d’en sortir en 2000. L’UA est structurée autour de huit CER, qui ne répondent pas nécessairement à une logique géographique.

Regardez la Tunisie : elle est candidate à l’entrée dans le Comesa [Marché commun de l’Afrique orientale et australe] !

Quelle évolution attendez-vous de l’Angola après la visite de son ministre des Affaires étrangères en juin, la première depuis un quart de siècle ?

La visite de Georges Chikoti est un développement positif. Le dialogue avec l’Angola est une déclinaison de la démarche royale.

Le ton a été donné par les visites de Sa Majesté le roi dans des pays qui reconnaissent encore la pseudo-RASD [République arabe sahraouie démocratique], comme le Rwanda, l’Éthiopie, la Tanzanie, le Ghana, le Nigeria et le Soudan du Sud.

Le Maroc est disposé à travailler avec tous les pays qui ne font pas montre d’hostilité, même s’ils ont hérité de positions d’une époque révolue sur le Sahara marocain.

Y compris ceux où le Polisario dispose d’un soutien historique ?

Je ne sais pas ce que vous appelez « soutien historique ». En tout cas, ce n’est pas en tournant le dos à un pays qu’on peut lui expliquer notre cause. Sérénité et pragmatisme sont les maîtres mots de la politique africaine de Sa Majesté le roi.

Lors de certaines visites royales, la question du Sahara n’a même pas été posée comme un préalable. Les discussions portaient sur le partenariat et la coopération.

Tous ces pays n’en ont pas moins soutenu le retour du Maroc au sein de l’UA et adoptent aujourd’hui des positions constructives sur la question du Sahara marocain.

Y a-t‑il des démarches visant un rapprochement avec Pretoria ?

Nous travaillons dans le cadre d’une vision royale limpide : le Maroc dialogue avec tous les pays qui ne sont pas hostiles. Il est ouvert, mais jamais au prix de ses intérêts supérieurs.

C’est à l’Afrique du Sud de voir si elle a atteint ses objectifs et d’évaluer sa position en conséquence

L’Afrique du Sud a adopté une attitude antimarocaine en 2004. Depuis, nos positions sur le Sahara ou sur l’Afrique ne se sont pas affaiblies.

Bien au contraire ! C’est à l’Afrique du Sud de voir si elle a atteint ses objectifs et d’évaluer sa position en conséquence. Entre États, les divergences sont admises. Mais lorsqu’elles se transforment en hostilité primaire, se défendre devient un droit. Un devoir, même.

Peut-on parler de réconciliation avec la Mauritanie depuis la crise diplomatique provoquée par le secrétaire général de l’Istiqlal, Hamid Chabat ?

Nul besoin de réconciliation. L’incident a été clos par l’intervention de Sa Majesté le roi. Nos relations sont importantes au regard de nos liens historiques, économiques, sociaux et culturels.

Le bon voisinage et la coopération sont au cœur des relations avec notre voisin du sud.

Sa Majesté a réitéré son attachement à ces relations lors de ses derniers contacts avec le président Mohamed Ould Abdelaziz. C’est dans ce cadre qu’un nouvel ambassadeur à Nouakchott a été nommé.

Qu’en est-il des relations de Rabat avec l’Union européenne (UE) ?

Le partenariat avec l’UE est un axe traditionnel de nos relations extérieures. C’est une construction de près d’un demi-siècle, voulue autant par le Maroc que par l’UE.

En raison des réalisations importantes qu’elle a pu consolider, elle fait l’objet ces derniers temps d’attaques extérieures qui nécessitent une gestion vigilante dans un esprit de partenariat.

Avec l’UE, nous avons parfois des divergences, mais nous dialoguons sans exclusive et, surtout, nous trouvons des solutions, toujours.

Nous sommes confiants dans le fait que, face à toute éventuelle difficulté, nous trouverons les moyens et les ressources d’une sortie par le haut qui renforcera notre partenariat et démontrera à tous sa solidité et sa résilience.

En quoi la délimitation maritime avec les îles Canaries touche aux relations avec l’Espagne ?

Il ne s’agit pas de délimitation maritime. C’est beaucoup plus simple que cela. Le Maroc a procédé à une mise à jour élémentaire des textes concernant ses espaces maritimes sur l’ensemble de ses côtes.

Ces textes – qui remontent à 1973, 1975 et 1981 – étaient en décalage avec les réalités du terrain, en déphasage avec les dispositions de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer et en retrait par rapport aux données scientifiques disponibles aujourd’hui. C’est désormais corrigé.

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