Bombardement de Bouaké : le rôle trouble de Robert Montoya, marchand d’armes

Ce marchand d’armes établi au Togo est à l’origine de la vente des avions qui ont attaqué le camp français de Bouaké. Robert Montoya est également soupçonné d’avoir facilité la fuite des pilotes biélorusses après l’assaut.

Robert Montoya © SAAD pour JA

Robert Montoya © SAAD pour JA

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Publié le 4 août 2017 Lecture : 6 minutes.

Bouaké, la contre-enquête. © JA
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Bombardement de Bouaké : la contre-enquête

Le 6 novembre 2004, deux avions Sukoi de l’armée ivoirienne bombardaient le camp français de la force Licorne. Bilan : 10 morts et 38 blessés. Tournant du conflit politico-militaire ivoirien, ce drame aura également de lourdes conséquences sur les relations entre les deux pays. JA lève un coin du voile.

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«Son nom me dit quelque chose, mais dans la Françafrique de Mitterrand, et non pas de Chirac. […] Il s’est installé en Afrique, car personne ne voulait travailler avec lui en France. » Quand Michel de Bonnecorse, conseiller Afrique de Jacques Chirac, évoque le nom de Robert Montoya devant la juge chargée de son audition en avril 2015, il n’ose le faire que du bout des lèvres.

Dans le milieu des marchands d’armes, ce personnage secret au crâne dégarni, qui arbore souvent un petit sourire en coin, n’est pas connu pour être un gros bonnet. C’est pourtant lui, intermédiaire entre la Biélorussie et la Côte d’Ivoire, qui a fourni les deux Sukhoi 25, responsables du bombardement du camp Descartes à Bouaké le 6 novembre 2004, ayant entraîné la mort de dix personnes et blessé trente-huit autres.

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Le parcours de cet adjudant, retraité de la gendarmerie française et du Groupe de sécurité de la présidence de la République (GSPR), né le 11 octobre 1948 à Sidi Bel Abbès, en Algérie, oscille entre ombre et lumière. Fonctionnaire du GSPR, il se retrouve impliqué, au cours des années 1980, dans la fameuse affaire dite des écoutes téléphoniques de l’Élysée. Exilé au Togo en 1993, il n’en abandonne pas pour autant ses pratiques.

Écoutes illégales d’opposants au Togo

On le retrouve à la manœuvre, au milieu des années 1990, dans l’installation d’écoutes illégales au profit, cette fois, du général Gnassingbé Eyadéma, ancien président du Togo, et à l’encontre de quelque 300 opposants togolais. À la même période, le renseignement français le signale dans une affaire de recrutement de mercenaires, au profit de l’ex-président de la République du Congo Pascal Lissouba.

L’affaire ne dépassera pas le stade préparatoire, mais les réseaux Montoya tournent donc déjà à plein régime, notamment via sa société SAS Togo. Parmi ses proches, Ricardo Ghiazza, le représentant au Congo de Belspetsvneshtechnika, la société biélorusse d’exportation d’armement, les Français Maurice Guy Pouzou, ancien chef d’escadron de la gendarmerie nationale, Georges Nieto, ancien colonel des services spéciaux passé par le Tchad, ou encore Lionel Ganne, ancien militaire ayant participé à l’opération Barracuda visant la destitution de Jean-Bedel Bokassa en 1979.

Fin 2002, quand Robert Montoya offre ses services à Laurent Gbagbo, ce dernier a vu son pouvoir considérablement fragilisé par la tentative de coup d’État de septembre. Le Français propose d’abord la fourniture de matériel de guerre serbe, avant de choisir des équipements provenant de Biélorussie, ce qui deviendra l’une des principales filières d’approvisionnement en matériel de guerre des autorités ivoiriennes.

Fin 2002, Robert Montoya offre ses services à Laurent Gbagbo

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Il utilise alors trois sociétés : Gypaele, Darkwood Logistics et Darkwood Limited, toutes liées ensuite à RM Holdings, enregistrée à Riga, en Lettonie, le 18 juillet 2003, et dont l’épouse de Montoya assurait officiellement la présidence. Il s’est également associé à un autre Français, Daniel Taburiaux. Conseiller en sécurité du président Gbagbo, ce colonel à la retraite de la marine française dirige à l’époque la société française Sofrecap, qui dispose d’une représentation à Abidjan dénommée Stonedbury.

Montoya parvient à se rapprocher du chef de l’État, mais aussi de son épouse, Simone, et du pasteur Moïse Koré, conseiller spirituel du couple. Il bénéficie en outre du soutien de Kadet Bertin Gahié, à l’époque ministre de la Défense par intérim et considéré comme le principal acteur ivoirien dans l’achat d’armes. Entre eux, une connaissance commune : Christian Garnier, ancien officier de l’armée et ancien de la DGSE passé dans la vente d’armes. Garnier aurait, selon la DGSE, travaillé avec Kadet Bertin Gahié.

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Enfin, Robert Montoya entretient également des relations avec le capitaine Anselme Séka Yapo, aide de camp de Simone Gbagbo. Ce dernier a d’ailleurs reçu à plusieurs reprises des virements de la part de Darkwood Limited. En janvier 2003, Robert Montoya se retrouve donc détenteur d’un passeport diplomatique ivoirien en qualité de conseiller spécial du président de la République chargé des affaires militaires et diplomatiques.

Intermédiaire entre la Côte d’Ivoire et la Biélorussie

C’est lui qui joue l’intermédiaire entre la Côte d’Ivoire et la Biélorussie. Ses contacts se nomment Anatoli Damuivitch Kolesnikov, directeur général de Belspetsvneshtechnika, et Mikhaïl Kapilov, son représentant à Abidjan. Ce dernier, selon une source « habituellement fiable » des agents de renseignements français, est d’ailleurs hébergé, lors de ses séjours à Abidjan, par la présidence ivoirienne, dans une villa luxueuse du quartier des Deux-Plateaux, en plein Cocody.

Les trois hommes ont leurs entrées à la présidence ivoirienne. Des accords de défense sont signés entre Abidjan et Minsk fin 2002. Ils comprennent notamment la livraison de deux hélicoptères de combat Mi-24, d’un Antonov An-124, un avion de transport immatriculé RA-82042, et de quatre Sukhoi 25, mais aussi de véhicules blindés BTR-80, de lance-roquettes multiples BM-21, ainsi que d’importantes quantités d’armes et de munitions de tous types.

Ces appareils ont de l’importance : ils sont censés donner à l’armée ivoirienne l’avantage sur les rebelles du Nord. Laurent Gbagbo n’a d’ailleurs pas l’intention de se contenter de cette première livraison. Il en attend une autre, similaire et prévue pour 2004, puis une troisième.

L’ensemble de la livraison, chapotée par Montoya lui-même, prend fin le 17 octobre 2004. Aux abords du tarmac de la capitale politique ivoirienne, des observateurs français s’inquiètent. Dans son rapport à la DGSE, l’un d’entre eux écrit : « Avec quatre appareils de ce type [des SU25], l’armée de l’air ivoirienne disposera d’une puissance de feu réelle et bien adaptée à un éventuel emploi contre la rébellion ivoirienne. »

Blanchiment d’argent

Chaque fois, ces livraisons sont accompagnées de la mise à disposition de personnels d’origine slave chargés de mettre en œuvre, d’entretenir et de former les militaires ivoiriens sur le matériel. La DGSE, attentive à toutes ces ventes d’armes, observe également de près les activités de l’ancien gendarme de l’Élysée à Riga. Le Service de coopération technique internationale de police écrit, via son attaché de sécurité intérieure adjoint en Lettonie, le 16 novembre 2004, au sujet de la prise d’actions, cette année-là, de RM Holdings dans la Parex Banka, la plus grande banque lettone : « L’ancien gendarme du GSPR a désormais un pied fermement ancré au sein du système bancaire et financier letton, européen et international. »

« Cela pourrait lui permettre le cas échéant de blanchir, pratiquement en toute impunité, des capitaux d’origine suspecte – trafic d’animaux et ventes d’armes. Quand on sait l’appétit de certaines organisations criminelles pour “se payer une banque”, l’on ne peut qu’être davantage inquiet, même en se gardant de porter un jugement de valeur sur les activités commerciales des sociétés dirigées par Robert Montoya. »

Et de conclure : « En effet, s’il ne semble pas s’agir, a priori, d’organisations criminelles, il n’en demeure pas moins que certaines activités de ce groupe commercial semblent pour le moins suspectes, voire à la limite de la légalité. » Quelques jours après le bombardement de Bouaké, le renseignement français réunit donc des informations sur les activités « pour le moins suspectes » de Robert Montoya.

Auditionné par la juge Brigitte Raynaud en 2006, ce dernier décline toute responsabilité dans le bombardement de Bouaké et assure que ses activités étaient légales. Pourtant, selon les services français, le sulfureux Montoya a bien joué un rôle dans l’exfiltration des pilotes. Le 16 novembre, quand ces derniers débarquent à Lomé en compagnie de six autres Biélorusses et de deux Ivoiriens, c’est la secrétaire de Montoya, Gallyna Nesterenko, une femme d’origine biélorusse mariée à un Togolais et servant d’interprète, qui était chargée de les accueillir à la frontière togolaise.

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